L’Aica Caraïbe du sud a proposé un challenge critique le 10 avril dernier pour créer un espace de réflexion, d’échanges, d’émulation entre critiques et un espace de valorisation des artistes.
Pour en savoir davantage :
http://aica-sc.net/2015/04/10/challenge-critique-2015-de-laica-caraibe-du-sud/
Les textes sont publiés les uns après les autres sur le blog tout au long de ce mois de juin et les résultats seront annoncés en fin juin, le temps pour les membres du jury de se réunir et de délibérer.
Ernest Breleur
Photo n°1
Série des Christ 1993
Lecture d’une œuvre de Ernest BRELEUR de sa Série des Christ 1993.
Longiligne, racé, le pas silencieux, la démarche souple d’un félin, toujours de noir vêtu : un puma, Ernest Breleur. Derrière les verres cerclés de ses lunettes, un regard indifférent, parfois hautain, assoupi, voire glacial ou portant ailleurs…et tout à coup de sous la paupière, un éclair acéré, un sourire fulgurant avant de s’éteindre semble-t-il, pour s’éveiller, transpercer et saisir à nouveau, le secret des choses.
Une carapace qui se dévoile chaleureuse, ainsi s’offre son œuvre aux chanceux qui ont pu voir ses rares expositions ou visiter son atelier : de grands formats généreusement colorés, où s’équilibrent autour du sujet central, brutal, des objets de lumière et d’apaisement, nécessaires. Ce sont des roses de porcelaine qui stylisent des pierres tombales ou des collages, fenêtres découpées dans des cartes routières telles les barques égyptiennes guidant les âmes au royaume des morts…Elles ne se donnent pas immédiatement.
Je parle, pour l’heure, car Ernest Breleur est un serial killer, de sa Série des Christ, et non pas d’un de ses tableaux en particulier, ils n’ont pas de titre, ils sont peints à deux moments de la vie de l’artiste. La Série dans son ensemble (donc incluant pour moi le prélude que sont les Mythologies de la Lune) constitue en elle-même une œuvre, parfaite, que chacun se construit dans son imaginaire. Comme une tomographie ou un scanner qui après avoir découpé en fines lamelles un organe le présente en trois dimensions à l’œil du médecin. Ernest Breleur aime les radiographies. Et s’il présente avec une telle succession ses Christ, c’est qu’il examine une à une toutes les possibilités de cette figure. Or avant même que ne soit reconstituée en volume l’image parfaite, chacun de ces tableaux-lamelles doivent être eux-mêmes analysés, strate par strate, couche après couche : ce qui construit le fond du tableau n’est pas simple décorum mais élément constitutif d’une vérité.
L’œil du médecin traque la tumeur, mais que cherche Ernest Breleur ?
Dans son long chemin de croix initié dès Les Mythologies de la Lune, il n’a de cesse de s’interroger. Déjà les larges coups de pinceaux maltraitant le corps Du Supplicié, déjà la décapitation. Déjà le sombre questionnement (avec, cependant, une lune promesse d’espoir ?). Déjà on perçoit que ce qui est représenté est moins la chair tuméfiée que le geste, la frappe du bourreau : c’est à dire l’invisible, l’indicible, ce qui est en creux, ce qui a été, ce qui n’est plus et…la meurtrissure qui nous en reste est ainsi distanciée. L’émotion existe pour autant, car sans elle il n’y a pas d’œuvre, mais, sobre, minimalisée, elle ne pollue pas la lecture de l’oeuvre.
Dans la Série des Christ, années 90, la Question, poussée à son paroxysme moyenâgeux de Torture, ne représente plus qu’un corps démembré : les moignons peu à peu réduits se transforment en un seul, qui saigne, sans signe, sans croix, un sexe, un vit…Car ce que révèle finalement cette quête de la mort, c’est la quête de la vie !
Une série de tableaux apparemment répétitifs, inertes, uniques mais qui sont la variation non pas d’un même mais la dynamique d’une recherche douloureuse menant à la découverte de l’Essentiel.
Qui la motive ? Quel est son objet ? De quelle quête s’agit-il ?
Du divin ?
Du Beau, du Sublime plutôt. Car cette quête plus philosophique que religieuse a convaincu Ernest Breleur que seul l’œuvre artistique peut affranchir de la mort. Seul l’art peut apaiser la douleur d’être inscrit dans le Temps.
Mais plus encore peut-être, du haut de la sagesse de ses 70 ans, il semble (à voir l’explosion de couleurs et de joie de ses recherches actuelles, tant il prend plaisir à assembler ses œuvres aériennes, combinaisons de colifichets féminins), il semble donc que vivant intensément l’instant, il a déjà aboli le temps.
Peut-être lui suffit-il désormais de Savoir Fabriquer de belles choses ? Peut-être lui suffit-il de s’interroger sur « l’énigme du désir » : la réponse important moins que la question car au fond il la connaît déjà.
Mais vérifions notre hypothèse selon laquelle chaque toile de la série des Christ n’est qu’un moment de la grande sculpture-peinture métaphorisant la quête de Ernest Breleur.
Comment intituler cette toile de 1993 ? Certes un titre donné par l’artiste appauvrirait limiterait l’imaginaire du spectateur trop docile, mais ce respect scrupuleux de l’autre ne facilite pas la critique ou le simple désir de communiquer sur une œuvre. L’arbitraire et l’insuffisance de « Christ jaune » invite à un autre baptême…Opus1993-15B ? Musical, mais sans références plus précises, très inexact…
Ernest Breleur
Série des Christ