Critique – La loi du marché

Publié le 17 juin 2015 par Avisdupublic.net @avisdupublicnet

Critique de La loi du marché de Stéphane Brizé, cinéma morne plaine!

La loi du marché nous permet de continuer notre promenade critique des films français engagés à Cannes. Présenté en compétition officielle, La loi du marché ne s'est pas contenté de figurer puisqu'il en est reparti avec le prix d'interprétation masculine décerné à Vincent Lindon, le seul acteur professionnel du film. Après les lauriers décernés aux superbes L'ombre des femmes et Trois souvenirs de ma jeunesse, présentés, eux à la quinzaine des réalisateurs, La loi du marché manque cruellement de qualités pour soutenir la comparaison.

Une plongée dans la misère

La loi du marché n'a qu'un but, et il est louable : montrer la misère dans laquelle plonge la fameuse loi du marché. Tout d'abord, une précision sémantique: je crois nécessaire de faire une différence entre économie de marché et capitalisme. Je renvoie à la distinction éclairante qu'en fait Fernand Braudel dans son livre La dynamique du capitalisme (à partir de la page 53). Misère dans laquelle se débat Thierry (Vincent Lindon) dès la première scène du film, où il se confronte à un agent de Pôle Emploi qui convient que le stage précédent de Thierry comme grutier se révèle inutile et inadapté. Long dialogue de sourds où la caméra reste sur le profil de Thierry, longuement, même pendant les réponses embarrassées de l'employé, puis esquisse un mouvement vers ce dernier. La discussion s'éternise, une discussion qu'il nous semble avoir entendu des dizaines de fois, une discussion qui fait d'emblée comprendre au spectateur qu'il va être confronté au réel, au vrai. La loi du marché s'attarde pendant la première moitié du film sur le parcours d'obstacles du chômeur. Nous avons à la suite et dans le désordre: Thierry à Pôle Emploi, Thierry en stage, Thierry en simulation d'entretien d'embauche, Thierry en vrai entretien d'embauche via Skype, Thierry en père de famille (pour ajouter inutilement, à mon avis, à ses difficultés : il est père d'un enfant handicapé), Thierry chez sa banquière, Thierry en vendeur de mobile home. Cette dernière scène devient proprement surréaliste tant l'échange perdure entre Thierry et sa femme et les acheteurs qui négocient le prix. Comment peut-on filmer cela pendant plus de cinq minutes sans toucher au grotesque? Puis la seconde partie du film arrive avec Thierry (Vincent Lindon, impeccable dans son rôle de taiseux, mais que l'on a vu plus à son avantage dans Welcome, par exemple) qui est embauché comme agent de surveillance dans un hypermarché où il guette les éventuels vols, y compris parmi les caissières, ce qui donne là encore des scènes pathétiques, au sens figuré, où l'abus de réalisme, l'unique souci de montrer des faits qui s'enchaînent (quatre personnes sont successivement entendues pour des vols) avec les mêmes questions, le même cérémonial, les mêmes regards vides donne à La loi du marché une coloration documentaire dont il devient l'esclave au fil des scènes jusqu'à la caricature.

La loi de l'aride

La loi du marché se révèle au final comme un film aride, sans idée de mise en scène, au scénario indigent, simple catalogue de situations auxquelles s'efforcent de coller les personnages. Aridité généralisée du passage en revue de ceux qui souffrent des difficultés économiques et sociales, bien réelles et que l'on ne conteste pas le moins du monde, mais La loi du marché est un film de fiction, c'est d'ailleurs à ce titre qu'il a été choisi pour représenter la France en compétition officielle à Cannes (pourquoi un tel choix?) et pas un documentaire que l'on pourrait passer à Envoyé spécial. Où se nichent l'imaginaire, le brin de poésie, et puis la révolte, le combat? Jusqu'au bout, le spectateur assiste à ces effets de vrai avec l'image qui bouge, la caméra qui filme très près et derrière les acteurs, la caméra de surveillance qui remplit l'écran à plusieurs reprises pour amplifier, je suppose, l'effet de réel. Bref, un ennui terrible pendant 1h30, et surtout une question : à quoi sert le cinéma? A se faire le médium d'idées sociales et politiques ou bien faire œuvre de création comme le prochain film de Miguel Gomes, qui sort dans deux semaines sur un sujet similaire: Les mille et une nuits? Pensez aussi comment des films plus anciens ont traité des problèmes sociaux: Les raisins de la colère de John Ford, Le voleur de bicyclette et Umberto. D de De Sica, Raining stones de Ken Loach entre autres. Là on en est loin, bien loin.

Un avis différent sur La loi du marché est à retrouver chez Telerama.

Critique - La loi du marché

  • Le parti pris d'hyper réalisme
  • Un scénario indigent

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