Posée bouche béante sur mon lit, ma valise vert anis attend mes débordements. La moitié de ma pile de t-shirts, et puis quelques robes, et puis celle-ci, encore, pour si on sort. Quelques gilets, le soir l’air fraîchira sans doute. J’ouvre le tiroir des maillots, et je ne sais pas choisir, alors je les prends tous, tassés dans le petit pochon à fleurs. Je pousse, je tire, j’enlève, je rajoute, je m’assieds dessus, je ferme enfin. J’ai oublié les chaussures. Les sandales pour marcher, celles pour danser. Les Converse des trains et des aéroports, les chaussures de marche, et puis celles de course. J’empile, j’accumule, j’emmènerais ma maison avec moi mais quel est le sens de partir en vacances pour ne rien changer à mes habitudes, alors je repose un pull, une veste polaire. J’écrème, mais pas trop, tout de même. je veux avoir le choix, et l’embarras du choix, une fois là-bas. Je traîne mon lourd bagage dans l’escalier, boum sur chaque marche, je la hisse dans le coffre de la voiture, et puis sur la balance de l’enregistrement, le verdict tombe: excédent.
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J’aurais aimé avoir une valise mais un sac c’est déjà bien. De toutes façons, un sac en plastique suffira pour y glisser tout ce que j’ai. J’emmènerais ma maison avec moi, mais c’est impossible, alors juste les souvenirs. Je n’ai pas de chaussures. Dans ma main un bout de papier chiffonné, avec un nom, un lieu, une heure. C’est tout ce qu’on m’a donné en échange de l’enveloppe. En échange de ma vie, peut-être, mais que vaut-elle encore ici. Il paraît que là.bas, on a le choix, l’embarras du choix. Je ne comprends pas vraiment le sens de ces mots, mais ils chantent dans ma tête. Je traine mon coeur lourd dans l’escalier, boum à chaque marche. Cette nuit je ne dormirai pas, je regarderai une dernière fois le soleil se coucher sur mon pays. Assis sur la colline, je fumerai, peut-être, un peu. Puis je partirai, sans me retourner, je rejoindrai les autres, nous confierons nos espoirs et nos vies à un rafiot misérable. Nous ne serons alors plus des hommes, mais des clandestins. Si le vent est bon, si la mer est clémente, nous nous échouerons quelque part, de l’autre côté. Amassés devant la frontière, crevant la faim et la misère, le verdict tombera alors, dévastant nos vies pour la seconde fois, piétinant nos espérances: excédent.