Expat à Cusco: Sarah et la Boheme

Publié le 15 juin 2015 par Tidus457 @perou_voyage

Crêperie et auberge dans San Blas

Après une bonne montée à travers San Blas, on passe la porte de La Boheme. Dès qu'on emprunte les escaliers d'un vert vif, une odeur réconfortante de crêpe vient nous chatouiller les narines.

Ici, il fait chaud, j'enlève mon manteau avec un plaisir - un vrai petit luxe à Cusco, la belle qui est froide aujourd'hui. Le restaurant vient d'ouvrir ses portes depuis exactement 2 minutes et je suis déjà postée devant Sarah pour lui demander la carte. C'est que je suis déjà venue et je sais à quel point les crêpes sont bonnes.

De beaux planchers en bois, des tissus péruviens colorés, des affiches françaises retro, une playlist entre Manu Chao et Beirut avec en prime un balcon qui donne sur une cour intérieure et une belle vue sur Cusco : l'endroit est certainement un des plus chaleureux de la ville.

Après avoir englouti ma crêpe du jour -à la farine de cañihua- et découvert la Supay, une délicieuse bière de microbrasserie au quinoa de Cusco, je discute avec Sarah, la fondatrice des lieux.

Qu'est-ce qui t'as amenée au Pérou?

Je suis venue une première fois en 2009 pour effectuer un stage de fin d'études en architecture. Pour moi, Cusco est la plus belle vile d'Amérique du Sud, entre architectures coloniale et inca, en plein milieu des Andes. Il y a une magie. J'ai passé mon temps à dessiner Cusco.

Après mon stage, je suis repartie pour passer mon diplôme et j'ai décidé de prendre une année sabbatique pour faire l'Amérique du Sud. Durant mon voyage je suis repassée à Cusco et la même boîte d'architecture m'a proposé un poste. J'ai donc travaillé 2 ans en tant qu'architecte ici à Cusco.

Et comment en es-tu arrivée à ouvrir la Bohême?

Il y a 2 ans que La Bohême a ouvert ses portes. Au début c'était une crêperie de 20m2 dans un autre local. C'était le rêve d'un ami et je l'ai suivi dans l'aventure, puis les choses ont fait que finalement il est parti.

Quatre mois plus tard, j'ai monté l'hôtel. Comme j'ai voyagé presque toute seule pendant 1 an avec mon sac à dos, je me suis rendue compte à quel point les lieux changent ton expérience et je voulais un endroit où les gens se sentent bien, où on se pose comme à la maison. J'adore être à l'hôtel en bas, développer des conversations plus poussées. Les gens en voyage sont plus ouverts à un échange plus profond, des liens se créent. J'aime cet échange autour du voyage et de ce que les gens peuvent traverser.

En plus, j'avais d'abord étudié les beaux-arts, donc ma passion c'est l'art - même si j'avais mon boulot d'architecte. Si l'art traditionnel est très présent à Cusco, ça manque d'art contemporain, de théâtre. J'ai toujours rêvé de créer un espace culturel. On a une salle au fond qui est assez grande. On va la repeindre pour en faire une salle d'expo et j'aimerais y organiser des événements culturels.

Quel est le plus grand défi de travailler ici?

C'est plutôt difficile de comparer parce que je n'ai pas monté d'entreprise en France.

La communication peut être difficile car les codes sont différents. Par exemple, les gens ne disent jamais " non ", mais ça ne signifie non plus qu'ils feront ce qu'on leur demande.

Côté administratif aussi, c'est très compliqué, sans compter les histoires de corruption. J'imagine qu'en France c'est difficile sur d'autres plans, mais ici c'est une lutte au quotidien. En France, j'étais trop stressée. Ici j'ai adopté la vision locale : que todo fluya (tout doit couler). C'est mon idéal.

Comment c'est, être Français à Cusco?

Comme c'est hyper touristique, je crois que je pourrais vivre ici 20 ans et je serais toujours gringa. En France, tu es Français peu importe ton origine.

En même temps, en France je me suis sentie très Péruvienne. Quand l'avion a atterri à Cusco, je me suis dit " enfin à la maison! ". Bon, après le taxi m'a encore demandée " vous allez au Machu Picchu? ", " vous êtes ici depuis combien de temps? ". Elle explose de rire.

Je suis constamment entre deux mondes, mais j'ai trouvé ma place en ouvrant l'auberge. Le fait d'avoir autant de gens qui viennent de partout ça me fait du bien, la France vient à moi. En plus, j'ai l'impression d'aider les gens dans leur cheminement, je ne fais pas le boulot du point de vue resto/hôtel classique, il faut qu'il y ait du cœur dedans.

Est-ce qu'il y a des avantages selon toi d'être Français à Cusco?

Oui, je pense qu'il y en a et je trouve ça injuste par rapport aux Péruviens. Les gens t'ouvrent grand les bras parce que tu es étranger. Ils sont sympathiques avec toi, ils te présentent à tout le monde, ils pensent automatiquement que tu es honnête.

Comment sont les relations avec les Péruviens?

J'adore les Cusqueños, ils ont un côté naïf au sens noble du terme. Ils sont curieux, ils ont un regard pur. Dès que tu vas dans les petits villages, ils ont un regard d'enfant. Des fois, ils te posent des questions surprenantes comme " tu as combien de frères et sœurs? ". J'aime cette naïveté de la sierra.

Qu'aimes-tu le plus de Cusco?

La lumière. Ici, avec la vue qu'on a, je passe mon temps à regarder Cusco parce qu'elle change tout le temps. Je dis toujours " mais regarde! ". C'est incroyable cette ville dans les montagnes avec les montagnes à moitié à l'ombre et au soleil. Je pourrais passer des heures à regarder. En fait, je n'ai jamais passé autant de temps à regarder le soleil ailleurs dans le monde.

En tant que personne très intéressée par l'art, je suis fascinée ici. Déjà pendant mon stage, je dessinais tout le temps, partout. En ce moment je travaille sur un grand rouleau -1m de haut par 50 m de large- car j'ai envie de faire un méga dessin de Cusco. Comme Cusco change tout le temps, j'ai envie de la dessiner avec différentes lumières. Cette ville est vraiment ma source d'inspiration.

Je me sens bien ici. Je sais que je n'aurais pu monter ça nulle part ailleurs. Non pas parce que c'est facile, mais parce qu'il y a un mouvement, une croissance. Tout se côtoie : les petites mamitas avec leur chapeau et leur jupe, et les gens qui vont travailler en costard. Mais même eux te parleront comme les Péruviens, avec les " ito ", " ita " (suffixe très utilisé comme diminutif au Pérou, et encore plus dans la sierra). J'adore leur espagnol!

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent tenter leur chance au Pérou?

Ce qui a fonctionné pour moi, c'est que j'étais amoureuse de Cusco. Pour que ça marche, il faut forcément l'amour du Pérou. Comme Ingrid (de la boutique l'Atelier). J'adore ses bijoux parce qu'on sent qu'elle aime Cusco et c'est pareil pour Eibhlin (de la boutique Hilo).

Pour monter quelque chose ici, il faut accepter les gens comme ils sont. Je ne pense pas que ça peut marcher si c'est juste pour le business, tu dois t'intégrer dans le système, dans la culture. Par exemple, même si ce n'est pas ma culture, je fais le " pago a la tierra ", le paiement ou le remerciement à la Terre en commençant un business, un projet. Il y a quelque chose de très familial qui s'est installé dans l'ambiance de travail car mon équipe voit que je respecte sa culture et que je suis tombée vraiment amoureuse de Cusco. Lorsqu'on fait des pagos a la tierra, je sens qu'ils sont très fiers et ils me traduisent ce que le chaman dit en quechua.

Il faut accepter que ça prendra du temps, qu'on ne peut pas s'imposer. Il y a des jours où je suis stressée et forcément ça ne marche pas. D'ailleurs, les Cusquéniens disent " Cusco la botó ", " Cusco l'a jeté " si quelqu'un est parti parce que ça n'a pas fonctionné. Cusco est une force et tu dois t'intégrer si tu veux rester.

Quels sont tes endroits préférés à Cusco?

-Le Cristo Blanco pour la vue, pour faire le vide et se rendre compte qu'on est tout petit dans le monde

-Le Mirador de San Blas pour regarder le soleil et Cusco

-La Plaza de Armas où je dois y passer au moins une fois par jour. Je sens que c'est là que je me ressource, je me sens au centre du monde.

-Le Siete & Siete tenu par un Allemand. C'est tout chaud, calme et ils font des bocaditos. J'adore y prendre une coupe de vin.

-La Bodega pour la pizza

-Prendre un thé chez Ingrid sur son balcon. Voir son entrevue d'expat.

-Le Coricancha pour me poser là, dans l'herbe

-Le Mirador de San Blas car il n'y a pas bcp d'endroits où tu peux juste t'allonger au soleil

Un incontournable de Cusco

Les crêpes de La Boheme sont délicieuses, l'espace chaleureux. Si vous êtes un voyageur branché, vous serez heureux d'apprendre qu'on y trouve également plusieurs prises et un excellent wifi. La carte propose plusieurs combinaisons intéressantes à des prix très abordables et le menu du jour est à seulement 15 soles (inclus une crêpe et un jus frais). Notre coup de cœur? La crêpe dessert " La Bohême " (12 soles) avec caramel au beurre salé de sel de Maras, accompagné d'une boule de crème glacée. La combinaison du contraste salé-sucré et ce caramel qui fond dans la crêpe chaude rendent l'expérience vraiment inoubliable.

Hostal & Crêperie La Boheme

Adresse : Carmen Alto 269-283, San Blas, Cusco (à deux coins de rue de la Plazoleta San Blas)

Téléphone: (084) 235694

Heures d'ouverture : mardi au dimanche de midi à 22h

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Copyright photos: Monica Reyes