Honoré Balzac (1799-1850) jouait aux échecs avec les mots.
Ecrivain particulièrement prolifique, véritable forçat de la page blanche qu'il noircissait durant seize à dix-huit heures par jour, Stefan Zweig que nous connaissons bien pour son oeuvre et la précision de ses textes, affirme que Balzac aurait produit 16 pages imprimées par jour entre 1830 et 1831.
La Comédie Humaine rédigée entre 1829 et 1850 comporte à elle seule 90 ouvrages.
Balzac évoque souvent le jeu d'échecs dans La Comédie humaine, parfois comme simple loisir, mais le plus souvent pour indiquer comment se nouent les intrigues (1).
Mieux, le texte est : "quadrillé par un échiquier imaginaire sur lequel se circonscriraient les rapports des personnages".
Pour comprendre comportons-nous comme le spectateur occasionnel d'un tournoi d'échecs qui ne connaîtrait pas la règle de ce jeu et qui voudrait quand même comprendre ce qui se passe sous ses yeux.
En observant chaque partie, en notant la forme, la position et le mode de déplacement de chaque pièce et en essayant de déceler un certain ordre, symétrique ou dissymétrique, en analysant les "retours" systématiques, nous pourrions commencer à émettre des hypothèses qui amèneraient, peu à peu, à formuler des règles générales. De la même façon, en s'appuyant sur le fait que la "grammaire" de la langue est immanente, comme celle des échecs, et que la valeur des mots, de même que la valeur des pièces, est déterminée par le rapport dans lequel ils entrent avec d'autres mots, il existe une grille de lecture possible (dite "échecs balzaciens" (2)) pour suivre la forme et la fonction des personnages.
Si la multiplication des personnages dans la Comédie humaine obéit à une progression géométrique, elle obéit aussi à une loi échiquéenne que l'on trouve sous la plume de Balzac dans le roman Ursule Mirouët à propos de la bourgeoisie de Nemours : "Il suffirait d'appliquer à la recherche des ancêtres et à leur accumulation que le temps accroît dans une rétrograde progression géométrique multipliée par elle-même, le calcul de ce sage, qui, demandant à un roi Perse, pour récompense d'avoir inventé le jeu d'échecs, un épi de blé pour la première case de l'échiquier en doublant toujours, démontra que le royaume ne suffirait pas à le payer".
Des intellectuels, philosophes ou linguistes réputés, tels Per Nykrog, Ludwig Wittgenstein ou Ferdinand de Saussure ont eux aussi mis en avant le lien entre le jeu du langage et le jeu d'échecs, entre les systèmes de pensée et les règles du jeu d'échecs (3).
Assez de mots, place au jeu.
Voici une petite partie sympathique par un contemporain de Balzac, le réputé Alexandre Deschapelles (1780-1847), un temps meilleur joueur du monde et successeur de Philidor.
Partie à handicap - Deschapelles avec les noirs offre 1 pion (f7) et 1 coup d'avance.
(1)
Balzac et le jeu d'échecs - David Mendelson
Année Balzacienne 1971
(2)
Histoire des échecs à Ville d'Avray (Société des Amis du Musée de Ville d'Avray - 2002)
Les échecs Balzaciens - François Voituron
(3)
Cases d'un échiquier - R. Caillois chez Gallimard (1970)
Chapitre "L'imagination rigoureuse. Etude de l'échiquier"
Cochrane vs Deschapelles (1821)