Un salarié est totalement dépendant de son patron. Il en résulte, entre autres, qu’on ne peut parler à son propos de volontariat. Il y a vingt ans, j’ai subi une baisse de salaire collective dite volontaire de 7,7%. Je n’étais aucunement volontaire. Simplement, différence subtile, je ne l’avais pas rejetée. Il en va de même avec le volontariat du travail du dimanche qu’on voudrait étendre. Que se passera-t-il dans un magasin quand il n’y aura pas assez de volontaires pour l’ouvrir ? Restera-t-il fermé ou bien certains ne feront-ils pas l’objet d’amicales pressions ?
Il résulte de cette situation que l’unique protection des salariés est le droit du travail. Les patrons, eux, affichant autrefois clairement la couleur, étaient représentés par leur syndicat, le CNPF, le Conseil national du patronat français. En 1998, ils ont adopté un nouveau nom, le Mouvement des entreprises de France. Ils n’ont sans doute pas prêté attention au fait que, les salariés faisant partie de l’entreprise, il incombait désormais aux patrons de prendre aussi en considération leurs intérêts. Mais depuis que notre premier ministre a déclaré au MEDEF son amour pour l’entreprise, ils n’ont de cesse de rogner les droits des salariés.
Leur premier angle d’attaque est la complexité du droit du travail. Si celui-ci édictait des règles brutales, il régirait indistinctement, ne prévoyant aucun cas particulier, aucune disposition d’allègement. Il pourrait par exemple stipuler : une entreprise ne peut proposer que des contrats à durée indéterminée. Si l’on veut offrir d’autres types de contrat, on est tout naturellement conduit à préciser leurs caractéristiques, leurs conditions d’attribution et… le code s’épaissit. Il n’y a rien d’anormal à ce que les salariés aient des délégués du personnel ni qu’ils disposent d’un comité d’entreprise. Simplement, pour ne pas trop obérer les charges des petites entreprises, la loi a institué des seuils les dispensant de ces obligations. Ces seuils n’ont pas été institués pour alourdir les dépenses des grandes entreprises mais plutôt pour alléger ce qui pourrait menacer l’existence des petites. S’il est injuste de s’élever contre de tels seuils, on doit pouvoir les faire évoluer mais en gardant présent à l’esprit qu’ils créent automatiquement des effets de seuil. Toutes ces considérations viennent nécessairement alourdir le droit du travail mais, plus il est spécifique, précis, ciblé pour chaque circonstance, plus il est volumineux.
Les patrons se plaignent de sa complexité mais, dans la vie quotidienne de leur entreprise, n’ont-ils pas à traiter des problèmes autrement plus difficiles ? La place des salariés, acteurs de l’entreprise, ne mérite-t-elle pas qu’on lui consacre quelque réflexion ?
Le gouvernement, toujours pour les beaux yeux de sa Chimène, se propose maintenant de limiter le montant des indemnités que pourraient accorder les Conseils de Prud’hommes. Sinon, elles pourraient provoquer la faillite de l’entreprise. Personne bien sûr ne souhaite une telle extrémité. À propos, quels sont, pour chacune des cinq dernières années, le nombre des licenciements prononcés, le nombre de ceux contestés devant les prud’hommes, le nombre de ceux déclarés illégaux, le nombre moyen de mois d’indemnités accordés et le nombre de faillites que l’on suppose consécutives à des indemnités extravagantes ?
Il existe un moyen simple de ne pas s’exposer à de tels risques. Il suffit de ne pas prononcer de licenciement illégal. Et si un patron ne parvient pas à se reconnaître dans le maquis du droit du travail, il peut s’en remettre à un conseil, tout comme il ne répugne pas à dépenser pour sa communication. Le fait de plafonner ces indemnités mine leur caractère dissuasif. Considérons par exemple les mairies qui ne satisfont pas à l’obligation de disposer d’un certain pourcentage de logements sociaux. Connaissant le montant de l’amende encourue, elles choisissent souvent de l’acquitter plutôt que de construire les logements souhaités. À partir du moment où les entreprises sauront à quoi elles s’exposent en licenciant sans discernement, elles pourront intégrer le montant de l’amende dans leur processus de décision et accepter ce risque. Par contre, si elles ne peuvent estimer ce montant, on peut penser que, craignant de mettre en péril leur survie, elles se gardent de prononcer des licenciements litigieux.