Article de Elle - Avril 2015
Le Festival de Mode et de Photographie d'Hyères célèbre ses 30 ans. Son fondateur, Jean-Pierre Blanc, nous raconte ses grandes étapes et ses petites histoires tout en fêtes et en paillettes.
D'un festival à l'autre
Nous sommes en 1983. Le nouveau maire d'Hyères décide de supprimer le Festival International du Jeune Cinéma, un événement avec lequel j'ai grandi et qui, chaque année, transformait ma ville durant quelques jours.Ceux qu'on appelait "les Parisiens" arrivaient, habillés de noir, élégants. Inconsciemment, ce festival a été une sorte de guide pour moi. Le Festival d'Hyères, c'est avant tout une histoire d'amour entre la ville et moi.
La lettre de Mugler
Peu après la fin du festival de cinéma, j'ai fait partie d'une commission de jeunes déléguée auprès de la mairie. En charge de la mode, j'ai organisé deux défilés avec les commerçants locaux et des copains, jeunes créateurs. Tout a commencé comme ça, dans l'énergie et la ferveur des années 80. Jack Lang était au ministère de la Culture et tout paraissait possible. Avec des amis, on a décidé d'envoyer une lettre à tous les créateurs importants, sans savoir précisément ce qu'on voulait leur demander. Un seul nous a répondu : Thierry Mugler. Je me souviens encore du papier à lettre bleu au liseré argent. C'était Didier Grumbach (à l'époque PDG de la marque, il deviendra président de la Fédération Française de la Couture) qui, gentiment, s'excusait de ne pouvoir venir pour cette édition. A nos yeux, c'était le signe qu'on était sur la bonne voie.
Annelie Schubert, lauréate 2015
La toute première édition
L'idée était de faire découvrir la ville aux néophytes. On a obtenu l'autorisation de défiler dans une église anglicane désaffectée, un de mes endroits favoris. Je revois encore les mannequins nues dans la sacristie et autour de l'autel. Des souvenirs presque blasphématoires !
Les Belges au pouvoir
Pour la quatrième édition, nous avions un partenariat avec un concours de mode belge très important. Le deuxième lauréat, un étudiant de l'Ecole de Mode de La Cambre, SamiTillouche, défila à Hyères. Sa collection pour hommes était un moment exceptionnel. Tout le monde pleurait tant c'était émouvant. Aujourd'hui, Sami est dans le studio de création de Lanvin, aux côtés d'Alber Elbaz. Après cet événement, on est devenu des superstars en Belgique, et, depuis, tous les créateurs qui sortent de La Cambre ou de l'Académie Royale veulent participer au festival !
Le mystérieux dossier
Pour l'édition 2006, se présente un dossier en cuir tressé noir d'une rare beauté. Parfois, rien qu'à la présentation d'une candiature, on peut parier sur les chances d'un créateur de remporter le grand prix. Avec celui-ci, c'était très bien engagé. Son nom ? Anthony Vaccarello.
Caroline de Monaco faisait partie du jury 2015
A la piscine avec Alaïa
Je n'aurais jamais pensé qu'Azzedine accepterait d'être président du jury et de faire une expo, pourtant il a dit oui en un claquement de doigts. C'était en 2005. On avait installé vingt robes dans la piscine, recouverte d'une dalle de verre, de la Villa Noailles. La nuit d'après, éclate un orage phénoménal. Je me précipite à la Villa, je pousse la porte de la piscine et je vois un geyser de 2 mètres de haut qui jaillit des anciennes rigoles du bassin ! Une canalisation était bouchée. Avec le régisseur, je nous revois, sous la dalle, dans le corridor, barre à mine en main, en train de démolir la conduite d'eau... On a fini les pieds dans l'eau, le compteur électrique juste derrière nous. Je n'en ai jamais parlé à Alaïa. On aurait pu y passer, mais on a sauvé les robes !
Le pionnier Galliano
C'était en 1991, John Galliano venait de faire son premier défilé à Paris, et j'étais tombé sous le charme. Parce qu'il était jeune, on se disait qu'il allait peut-être accepter de faire partie de notre jury. En efet, il a dit oui ! Une fois sur place, il a été un amour. Je me suis dit que, si c'était ça, un créateur difficile, ma vie allait être plus simple que prévu. Il a joué le jeu à fond. Il a même accepté de faire un défilé. Lors du festival, en regardant le lieu du show, je me disais : "Non mais on ne va pas lui imposer ce palais des sports, avec des mannequins amateurs, qui plus est !" Mais il nous a fait la démonstration de tout son talent. Il a transformé les filles en créatures incroyables en leur crêpant les cheveux. Le lendemain, une photo était en couverture de Var Matin. Je revois cette fille blonde avec une coiffure gigantesque, un petit chapeau posé dessus. Elle était méconnaissable, d'une beauté inouïe. Tout le monde a parlé de ce moment de grâce. L'année suivante, le jury comptait Helmut Lang, Martin Margiela, Jean Colonna, Martine Sitbon, Marc Ascoli, Jean Touitou...
Le cas Viktor & Rolf
Un petit séisme pour le festival. On est en 1993. Pour être honnête, leur dossier n'avait pas été retenu par le jury, c'est la direction et moi qui les avons repêchés. On savait qu'ils étaient géniaux.
La chenille de John
L'année où Galliano était juré, une idée saugrenue nous a conduits à organiser une fête dans le club de rugby d'Hyères, au milieu des joueurs. C'était absolument monumental ! Le lendemain matin, Madame Michel, la propriétaire historique de l'hôtel Le Provençal, m'appelle et hurle : " Jean-Pierre, vous pouvez me dire, est-ce que c'est normal que Monsieur Galliano rentre à 6 heures du matin en faisant la chenille dans le hall de l'hôtel ? Avec Michel Perry [le célèbre chausseur] sur son dos ? Hein ? Est-ce que vous croyez que c'est normal ?"
Le Club 203
Au festival, on a toujours fait la fête. Surtout à la fin des années 80 : les invités ramenaient des bouteilles de rosé dans les navettes, qu'ils se faisaient passer de rangée en rangée, avant d'arriver à l'hôtel ! Tout le monde était logé à l'hôtel Le Provençal, où se trouvait le mythique Club 203. C'était en fait la chambre de Claire Dupont [styliste française décédée en 2007, ayant soutenu Martin Margiela, Helmut Lang, Isabel Marant, et travaillé avec les photographes David Bailey, Helmut Newton]. Elle retournait les rideaux à fleurs du côté sombre pour faire de sa chambre une boîte noire. L'hôtel me téléphonait tous les matins pour se plaindre de tapage nocturne. Il a dû se passer des choses dans cette chambre... C'était joyeux, sans jamais rien de pesant...