Je dois vous raconter la petite aventure qui m’est survenue il y a quelques jours dans le métro. J’attends à la station Sèvre Babylone. Mon regard se porte toutes les secondes vers la bouche noire et béante qui prolonge le couloir, deux points de lumières scintillent : le métro arrive dans un capharnaüm mécanique. Les portes s’ouvrent, je monte mon Figaro sous le bras et décide de poser rapidement mon cul sur un strapontin. Les stations passent et se ressemblent toutes, les usagers aussi, visages soit consternés ou marbrés par la fatigue sociale ; une veille dame monte à Saint Germain des Prés, je vois ses petits yeux avides se déporter sur moi, moi et mon cul sur mon strapontin, le strapontin qu’elle convoite alors comme un trésor de guerre, oui c’est la guerre entre les jeunes et les vieux, entre les rockers et les cartes vermeilles. Elle veut ma place et me le fait comprendre d’un toussotement sur joué. Je fais mine de ne rien voir. Elle réitère son petit jeu mesquin. Je demeure impassible, plongé dans la lecture de mon journal. Puis, la rombière pomponnée se met à ameuter la foule des badauds qui assiste alors, indifférente, à un pugilat verbal. La vioque m’invective, parle de honte, de scandale, je reste accroché à la colonne de mon journal, rubrique culture, mes pupilles sont dilatées. C’est alors que l’ancêtre accablé par le poids du temps et de ses bijoux saisit ma manche avec un regard de vieille louve édentée. Elle grogne, hurle, vocifère, se donne en spectacle. Mon sang ne fait qu’un tour, je me défais de son emprise, roule mon journal pour en faire un ustensile dur, et frappe sa petite tête permanentée. Et la situation bascule. Le brouhaha fit place à la stupeur générale, mon journal en main, je me levai et descendis de la rame. Sous les applaudissements dois-je dire. Et dans la confusion qui régnait, j’avais cependant pris soin de garder avec moi mon Figaro, précieux sésame de la pensée humaine. Pourquoi allez-vous dire, quelle raison impérieuse m’avait poussé dans un instinct de survie à quitter le champ de bataille avec mon arme ? Ce bouclier d’airain protégeait un secret que j’avais jusqu’alors jalousement gardé. Il renfermait une modeste tribune, maladroitement coincée dans les pages culturelles, entre un papier sur la littérature bourgeoise et un long exercice d’hagiographie sur la variété de droite, quelques lignes imprimées et qui bousculaient toutes les prévisions, tous les sondages d’opinions, anticipant les tendances qui commençaient à se dessiner en cette année 2008 déjà bien avancée. Je voulais parler des 10 meilleurs albums pop/rock de l’année 2007, LE fameux classement que pondent dans un respect quasi religieux toutes les rédactions, et je dois m’en excuser auprès de mon public, car j’accuse un retard de publication considérable. Mais ce petit jeu avec le temps allait m’autoriser toutes les audaces, toutes les analyses, il y avait là matière à proposer partis pris, thèses en forme de sublimation mais empruntant également à la consternation, aux coups de gueule. Car un fait saute aux yeux à l’heure où je consigne ces derniers mots encore frais sous mes doigts, un constat lucide qui pourrait laisser sur la langue un goût amer mais qui me semble fondamentalement juste, totalement à propos. En faisant table rase des bassesses habituelles, de la flagornerie accréditée qui fait et défait les buzz, non je me refuse à faire figurer dans cette short list la dernière production de Radiohead ; il n’y a pas écrit les Inrocks !
Hum, voici donc ma sélection, tatata, rideau…
01/ The Besnard Lakes Are The Dark Horse
02/ The Coral, Roots & Echoes
03/ The Shins, Wincing The Night Away
04/ Amy Winehouse, Back to black
05/ Soft Hearted Scientists, Take Time To Wonder In A Whirling World
05/ Caribou, Andorra
06/ The Warlocks, Heavy Deavy Skull Lover
07/ Turzi , A
08/ Matthieu Persan, There's A Monster In Every Head
09/ Patrick Watson, Close To Paradise
10/ Robert Wyatt, Comicopera
… Applaudissements, OUI, BRAVO, gloire à l’intégrité, superbe, encore, on en redemande, oui, l’indépendance est l’opium de ceux qui n’appartiennent pas au peuple de province, wouahaha, hourra… Hum…
Premières remarques, le jury (en gros moi) a souhaité saluer le retour de la Pop, quels que soient ses atours, abrasifs avec Besnard Lake, vintage avec The Coral, parfaitement modernes avec les Shins, soul et noirs avec la Wino, typiquement anglais avec Soft Hearted Scientists, mathématiques avec Caribou. Dans le deuxième peloton, nous nous sommes employés à récompenser des œuvres dépressives et psyché, The Warlocks ayant la palme dans cette catégorie, à noter l’émergence du Krautrock en France avec Turzi qui semblait encore il y a quelque temps chose impossible, à mettre à l’honneur l’écriture et la solitude avec Mathieu Persan qui mieux que Radiohead avec une légitimité d’airain utilisa en cette année le media web pour porter haut et fort son message musical. Nous avons souhaité gratifier nos amis montréalais sans pour autant céder à la facilité en citant Arcade Fire ; l’album luxuriant de Patrick Watson s’est ainsi imposé à nos oreilles dévouées et réceptives. Enfin, la présence discrète du grand Robert Wyatt en fin de classement ne doit heurter aucune susceptibilité, nous avons estimé que l’honneur revenait au grand Bob de clore ce prestigieux classement, comme une sorte d’apothéose dont le bonhomme poético-génial est plus que souvent à l’origine. Voilà, cette décision est sans appel, notre choix entériné, validé par les plus hautes instances, c’est à dire moi. Quant à Radiohead, pourquoi tant de haine, me direz-vous ? Je n’éprouve aucun à priori vis-à-vis de La tête de radio (toi-même), tout juste du mépris pour ceux qui prétendent révolutionner l’industrie du disque en distribuant leur album sur Internet sans aucun label et qui, quelques semaines plus tard, annoncent une sortie CD, la vie est vraiment question de hasard, ah le destin qui semble sourire à Radiohead, petit groupe indépendant dont la foi et la persévérance doublées de la chance du débutant les ont conduits à une signature de contrat !!!! Je crois que je suis aussi lassé par l’estampille « Culte », ou « groupe majeur des 90s » que nous impose à longueur de tribune l’establishment indie rock bobo geek, quoique je ne sois pas convaincu de la nerditude de ceux qui claironnent à la gloire de Radiohead tout en méprisant le prog rock dont cette formation n’est que le prolongement logique, entendu, basique. Ils finiront dans les bacs à solde de l’indifférence universelle, en tout cas la mienne et là vous me direz, que de prétention, mais qui êtes-vous pour affirmer pareille sottise, tout d’abord, on ne tire pas plus sur le pianiste que sur le « journaliste ». Je mets ce dernier mot entre guillemets car je n’ai aucun diplôme pour justifier de ce statut, cependant mes goûts sûrs et les vibrations qui me bousculent à chaque nouvelle découverte me confèrent une certaine crédibilité ; comme me disait un ami haut placé dans mon estime, « Un gars qui aime David Ackles ne peut pas être fondamentalement mauvais », ce à quoi je lui répondis les yeux mouillés de larmes par un sincère « On peut en dire de même du fan de Randy Newman ». Bref, être un nerd des 60s/70s vous garantit une immunité éternelle contre les attaques des terroristes de la pensée unique catholique de gauche peuplant les quartiers chics, très loin du Paris choc. Et puis, je ressens une certaine institutionnalisation du phénomène Radiohead, je ne parle pas seulement de la reconnaissance exagérée dont ils bénéficient honteusement mais d’une certaine forme de déclinaison paresseuse des clichés musicaux qu’ils ont eux-mêmes créés en 1997 avec OK Computer que la presse qualifia à l’époque de rencontre entre Syd Barrett et le Velvet Underground, réécoutez le cerveau calciné du Floyd et le gang band de Lou pour comprendre que tout ceci ne fut qu’excrément de l’esprit. Explication.
Début des années 90, Radiohead déboule dans le paysage musical indie et se fond très vite dans la masse. Un premier tube Creep, entre pop et grunge débraillé, le propulse au sommet des hits parades, sans génie aucun, le morceau fit alors les belles heures des BO de teens movies, ce qui aurait dû paraître suspect pour bon nombre de rock critics. Puis, OK Computer amorce un nouveau virage, plus « expérimental », suivi de près par Amnesiac et Kid A qui poursuivent cette veine en mélangeant à la matière rock des sonorités électro. Cette tentative va faire l’unanimité, c’est un triomphe qu’il faut très vite relativiser. Tout d’abord, Radiohead a longtemps nié son affiliation progressive alors que la Trilogie se place fondamentalement dans cette mouvance : ambiances dramatiques, structures complexes, planantes, incursions électro-acoustiques. L’intelligentsia anti-prog est dithyrambique, oubliant au passage l’importance de groupes mythiques comme Can, Pink Floyd, King Crimson, Soft Machine, Van Der Graaf Generator. Autre fait marquant, en dehors de ces 3 « fameux » albums, Radiohead stagne dans sa capacité à se renouveler musicalement, quatre années séparent Hail To The Thief d’In Rainbows sans noter de progression radicale. Le groupe est alors comme paralysé par sa propre révolution. Enfin, Radiohead a été incapable et c’est un euphémisme d’assurer sa propre descendance ce qui paraît inconcevable pour une formation aussi estimée. J’évoquais Can, tous les groupes estampillés Post Rock ou Art Rock se réclament aujourd’hui de son influence. Pour finir, on me dit « Y a-t-il une autre formation des 90s capable de rivaliser avec Radiohead ? ». Oui. Sonic Youth bien que formé au début des années 80 continua d’innover pendant la décennie suivante, malgré un contrat signé avec une major, Geffen. Il ne faut pas non plus minimiser l’apport de Slint avec Spiderland, de Neutral Milk Hotel et du génial In The Aeroplane Over The Sea, ou des fantastiques Hinnies. Plus encore que les Strokes, c’est au White Stripes que l’on doit le renouveau du rock tant ce duo s’est très vite imposé comme un nom pour beaucoup de jeunes rockeurs, un nom, un son, une passerelle entre les 60s et les années zéro. N’oublions pas au passage les inusables Brian Jonestown Massacre qui eux, surent plus que quiconque créer une vraie scène autonome et cohérente avec une progéniture nombreuse, les Black Rebel Motorcycle Club, Out Crowd, Warlocks, Black Angels, Beachwood Sparks et j’en oublie bien d’autres forment le peloton de tête. Contrairement à Radiohead, tous ces musiciens ont eu le cran d’assumer leurs influences, conférant à leurs galettes une authenticité confondante. La vérité est que Radiohead se contente de reproduire à la note près ses albums sur scène, en témoigne sa prestation à Rock en Seine 06, joue dans les stades, quelle honte, et s’use à « innover » en lançant des concours de remix, hum, quel sens aigu de la créativité.
En revanche, je reste convaincu de l’importance d’un album comme The Besnard Lakes are the dark horse, unique support enregistré à proposer en 2007 de vrais soli de guitare à l’ancienne, c’est à dire, longs, construits puis déconstruits, triturés, malaxés dans la dilatation du Temps ce dont beaucoup de formations contemporaines sont incapables. Même constat pour The Shins, incarnation parfaite d’une pop music à la fois actuelle et intellectuelle. Echoes & Roots des Coral porte admirablement bien son nom, les musiciens plongeant leurs Gretsch sublimes dans les racines du Rock et les chœurs et les orgues et les violons et les tambourins de figer cette renaissance magique, ce témoignage prophétique dans la pierre gravée des saintes écritures rock. Quant à Amy la junkie, ses errements médiatico-pharmaceutiques ne pourront faire taire la puissante émotion qui saisit mon âme lorsque je sombrais corps et âme dans Back To Black, éphémère réinterprétation d’une décennie soul produite par autant de Berry Gordy, de Jim Stewart et d’Estelle Axton.
A l’heure où Cannes déploie son tapis rouge en forme de langue obséquieuse caressée par les flashs stridents des paparazzis s’offrant une paparazzia de stars endimanchées, ce palmarès pourrait encore réservé des surprises, des satisfecit de dernières minutes. Et les catégories se bousculent au portillon de la consécration rock. Dans la catégorie Meilleur Single de l’année, je décerne la palme à Xu Xu Fang pour son superbe These Days pressé en format 33 tours mais à écouter en 45 tours sous peine de sombrer dans une pesanteur caoutchouteuse, le morceau tournant déjà au ralenti au moment où l’ingénieur du son fit signe au groupe qu’on enregistrait. Voici maintenant l’enveloppe célébrant le meilleur retour, je la décachette et là, pas de surprise, la victoire revient aux mythiques Stooges. Dans la catégorie Johnny Cash converti au sitar, The Singleman Affair se distingue largement, notez, je ne vois pas d’autres formations jouant dans ce registre au demeurant très pointu. Puis, vient la fameuse distinction du Meilleur espoir et là, je dois dire que la concurrence fut rude, mais deux jeunes groupes ultra-prometteurs s’arrachent à la masse juvénilo-rock, il s’agit de Sourya et de The Agency.
Il est temps de rendre l’antenne et l’antienne, le rideau rouge s’effondra alors sur une année d’écoute rigoureuse et un bon mois de sélection ardue, de centralisation quasi administrative, de ralliements de dernière minute et de coupe franche, mes oreilles heurtées par la rudesse de l’épreuve se consolèrent avec les verroteries ambitieuses assemblées dans l’indifférence générale par de véritables magiciens du son, les Soft Hearted Scientists, simplement anglais avant d’être gallois par leur allégeance à une certaine idée de la Pop typiquement british… Et consciencieusement sixties, mais j’oubliais, rien de vaut et ne vit en dehors d’In Rainbows de Radiohead.