Hurricanes – Le succès, mode d’emploi

Publié le 13 juin 2015 par Sudrugby

Mais alors, à quoi tient ce changement spectaculaire d’une équipe ces dernières années systématiquement médiocre et décevante ? Quelle est la recette de réussite d’une équipe classée seulement 7ème en 2014 et 11ème en 2011 ? La réponse est multiple mais elle s’explique globalement par un effort immense de structure, de patience et de précision dans le rugby de la franchise. Ceci tient directement de l’apport du nouveau duo d’entraîneur Chris Boyd-John Plumtree, en poste depuis le début d’année. L’apport de ce tandem sera le fil rouge de l’article et est absolument à la base du succès des Canes version 2015.

Une osmose collective sans égale

Le premier grand ajustement dans la franchise consiste en sa gestion d’effectif, ce qui, il faut le reconnaître reste la base d’une bonne équipe. Pas de réussite sans bonne gestion d’effectif et sans individualités. La première chose à noter est le renouvellement de l’effectif des Hurricanes et l’apparition au grand jour d’une nouvelle génération de joueurs. En effet, 2014 marquait la fin d’une ère pour la franchise avec le départ de nombreux cadres des années 2000-2010 (Lam, Taylor, Levave, Lowe, Leuia, Bateman) et on aurait pu croire à un effondrement de la franchise. Au contraire, l’équipe s’était depuis deux/trois années reformée en profondeur et les A. Savea, Goodes, Broadhurst, Shields, Marshall autrefois malmenés sont désormais les tauliers et les joueurs jouant le plus pour la franchise. Ils forment une osmose unique avec des All Blacks dans la forme de leur vie (Coles, Perenara, J. Savea, Barrett) et des vieux briscards plus expérimentés et légendes de la franchise (Smith, Nonu, Jane, Thrush, B. Franks). Boyd a parfaitement su allier jeunesse et expérience pour former ce qui constitue le meilleur effectif du championnat.

Chris Boyd, le nouveau boss des Hurricanes, a changé le jeu des Canes.

Si cette qualité d’effectif remonte à une mutation progressive échelonnée sur les dernières années, elle tient aussi – et surtout – à la cohérence des choix de Chris Boyd. On a souvent attribué l’échec de la franchise jusqu’ici aux choix malencontreux et discontinus de Mark Hammett, head coach de 2011 à 2014. La troisième ligne bougeait sans arrêt et Hammett a retardé l’éclosion réelle d’Ardie Savea en ne le titularisant que rarement. Ou il a parfois mis de côté Perenara, lui préférant Chris Smylie. Ou encore James Broadhurst n’était pas forcément tout le temps dans ses plans. Ce sont des exemples typiques qui aujourd’hui révèlent au grand jour l’échec d’Hammett de composer avec un effectif déjà regorgé de talents. Autre point : Boyd a su faire de joueurs average en Super Rugby de grandes utilités pour le roulement d’effectif de la franchise. L’utilisation de joueurs comme James Marshall, Blade Thompson ou Rey Lee-Lo est typique de l’intelligence de Boyd. Ces joueurs – plus du standard de l’ITM Cup – ont enfin eu leur chance comme impact player et/ou comme remplaçants de choix. Autre point important : Boyd a extrémement bien géré les indisponibilités des All Blacks, coupe du monde oblige après la décision de la NZRFU d’accorder trois matchs de repos aux cadres des Blacks. Boyd a affirmé dès le début vouloir tout miser sur les derbys néo-zélandais et cette stratégie s’est avérée payante. Les confrontations entre kiwis sont les plus tendues, les plus dures à gagner et Boyd a eu raison de conserver ses meilleurs joueurs pour ses rencontres au sommet. Il a fermement tenu cette position et n’y a jamais dérogée. Les matchs à l’extérieur contre des équipes australiennes et sud-africaines étaient souvent le moment de roulements dans l’effectif.

Une défense désormais sereine

John Plumtree a énormément apporté à la défense des Hurricanes

Les Hurricanes ont toujours eu une attaque exceptionnelle et des joueurs d’initiatives. C’est une constante et c’est inscrit dans l’identité de jeu de la franchise et même de la région de Wellington. Le bémol, c’était bien ces dernières années la défense. Très souvent les prestations des Hurricanes étaient décevantes et rageantes : bien qu’inscrivant beaucoup d’essais, les Canes en prenaient autant sinon plus en retour. Les Hurricanes étaient seulement l’an dernier la 6ème meilleure défense, en 2013 la 11ème et en 2012 la 10ème. Aujourd’hui les Hurricanes sont la seconde meilleure défense, derrière les Brumbies avec seulement 18,2 points encaissés par match (être en-deçà des 20 points encaissés en Super Rugby est assez rare). C’est en très grande partie ce qui explique le succès désormais de la franchise. Toujours dotés d’une attaque d’exception, les Hurricanes peuvent aujourd’hui compter également sur une défense de fer.

Ardie Savea confirme au plus haut niveau.

Cette réussite en défense est avant tout collective. Les Hurricanes brillent par une organisation collective sans faille et encaissent en vérité peu d’essais. La tournée en Afrique du Sud en tout début de championnat et les matchs gagnés chez les Lions, les Bulls et les Sharks ont été conquis par une défense résistant aux vagues offensives. Les Hurricanes ont souvent dû défendre sur leur ligne et ne dominaient la possession de balle. Ils faisaient systématiquement preuve d’une grande patience et d’une lucidité à toute épreuve. Cette tournée en Afrique du Sud avait d’ores et déjà posé les jalons du succès des Hurricanes en 2015. C’était auparavant précisément ce genre de match que les Canes perdaient – souvent de peu – par manque de lucidité, de concentration et d’organisation. Cette patience en défense fait des Hurricanes la meilleure défense du championnat dans le nombre de plaquages réussis par match : 130 par match. Ce qui veut dire que les Canes attaquent vite et bien et qu’entre-temps ils sont exemplaires dans la gestion de leurs temps faibles. Ce pragmatisme tient encore une fois à la patte du tandem Boyd-Plumtree, et ici peut-être davantage à celle du second. Passé par l’Irlande et les Sharks, Plumtree a amené avec lui sa science de la rationalité et de l’organisation, précisément ce qui manquait aux Hurricanes depuis tant d’années. Ajoutez à cela l’apport de Ma’a Nonu au centre du terrain, impitoyable en défense. Sa cohésion et sa connivence avec Smith ne font plus aucun doute et les deux centres combinent extrêmement bien en défense. Barrett s’est amélioré, Julian Savea également, Perenara pèse beaucoup sur ce secteur de jeu et Milner-Skudder est assez efficace en second rideau. On note que cet effort en défense est avant tout collectif : les Canes possèdent à peu de choses près les mêmes statistiques de plaquages loupés que les années passées (autour de 20 plaquages loupés par match ; 18 cette année). En un-contre-un les Canes restent faillibles mais globalement leur défense est ultra-organisée et perméable. Ajoutez à cela une capacité à créer des turnovers par le biais de gratteurs comme Ardie Savea et Reggie Goodes. Cette réactivité et cette habilité à créer des bons ballons de turnovers à partir de la défense n’est pas sans rappeler la défense des All Blacks.

Le bordélisme en moins, la structure en plus

Nehe Milner-Skudder, révélation du Super Rugby, étincelant toute la saison.

Que ce soit clair : le volume de jeu, le risque et l’attaque en contre ont toujours été le leitmotiv de la franchise et ce depuis ses débuts. Le jeu est l’identité du rugby de la ville et de la région et les Hurricanes n’y ont jamais dérogé. Ils ont les trois années dernières marqué environ en moyenne 50 essais, ce qui n’est pas très loin des quelques 58 réussis cette année, alors même qu’ils étaient largués au classement. Ils ont toujours figuré parmi les meilleures attaques s’ils n’étaient parfois la meilleure. Ce jeu est toujours d’actualité. Les Canes font énormément circuler le ballon – 161 passes en moyenne – via une charnière Perenara-Barrett au sommet de son art. Les joueurs et notamment les avants jouent beaucoup debout – 13 off-loads en moyenne – et le soutien est remarquable à travers et une deuxième et troisième lignes ultra mobiles. Enfin le back three Savea-Jane-Milner-Skudder (et parfois Marshall) a impressionné par sa capacité à franchir et à se créer des situations d’essai (11 franchissements par match ; autant dire qu’il est compliqué de ne pas prendre d’essais par la suite). Enfin, les Canes conservent cette science de la gestion du turnover qui fait tout leur succès et qui les rend si délicat à affronter. Chaque ballon perdu est potentiellement une situation d’essai, même en partant de son propre camp. D’ailleurs, 1 essai sur 6 provient du propre camp des Hurricanes, ce qui témoigne d’une grande prise d’initiative. Mais l’équipe de Wellington s’est améliorée de ce point de vue et a poussé plus loin encore la justesse de ses choix dans le traitement d’un turnover. On peut encore une fois y reconnaître la patte du tandem Boyd-Plumtree. Les 3/4 se replacent à une vitesse remarquable et s’adaptent très bien au changement de possession. Très souvent les 3/4 et la troisième ligne se positionne dans le couloir des 15m et jouent des situations de 3 contre 2, 2 contre 1, à la manière des Blacks. Et comme leurs ailiers sont très rapides et difficilement prenables en un-contre-un, ça fait mouche.

Mais l’attaque comme on vient de le voir n’a pas dérogé à la règle : le jeu d’attaque a gagné en structure. Les joueurs possèdent encore un goût du risque. La prise d’initiatives est toujours perpétuelle. Mais elle reste encadrée par une certaine retenue. On prend des initiatives mais on ne fait pas n’importe quoi pour autant. C’est cette nuance qu’a apporté le duo Boyd-Plumtree et ceci améliore grandement le rugby des Canes. Surtout, c’est dans le jeu courant où les changements sont les plus notables. Dans l’organisation de l’attaque, l’équipe a gagné énormément en patience et en alternance. Les choix sont désormais plus judicieux. Le jeu varie allégrement entre avants, 3/4, jeu au pied sans faire fausse note. Les Hurricanes ne sont plus cette équipe qui sur une bonne occasion veulent tout de suite marquer. Ils ne marquent pas plus d’essais que par le passé mais en vendangent moins et surtout sont désormais capables d’en marquer dans des matchs couperets. Ils ont gagné en réalisme et en finition. Même sur des ballons de turnovers, la patience est de mise et l’on attend bien trois ou quatre temps de jeu pour conclure et sceller l’action de départ. Les Hurricanes possèdent maintenant cette « structure » de jeu, à l’image de ce que les Waratahs faisaient l’an dernier. Ils gardent leur dynamisme d’attaque même en dépassant les dix temps de jeu. Patience, structure et lucidité à travers les différentes initiatives d’individualités, c’est ça le secret des Hurricanes version 2015. C’est comme ça qu’on colle 56 points et 8 essais aux Highlanders, seconde meilleure équipe du championnat (56-20, 17ème journée).

Perenara n’a jamais aussi bien animé le jeu.

Enfin, dernier élément mais pas des moindres : la mutation de jeu de la charnière. La transformation de jeu de la charnière Perenara-Barrett résume en fait à elle seule la transformation de jeu de l’équipe toute entière, vers un certain pragmatisme. TJ Perenara et Beauden Barrett étaient déjà performants auparavant dans la gestion du jeu. Mais ils étaient parfois à l’image de l’équipe : maladroite, irrégulière, brouillonne. Désormais la structure prédomine, et ce en différentes phases de jeu ordonnées, bien récitées et savamment construites. Perenara, autrefois critiquable et manquant de discipline est aujourd’hui au sommet de son art. Il a acquis une certaine expérience, une vision du jeu, une lucidité. Il est sans aucun doute le meilleur demi de mêlée du Super Rugby et ce avant tout par son gestion de jeu hors pair et sa vitesse d’exécution. Barrett lui a été conditionné. Il paraissait presque méconnaissable en début de saison car attaquait moins la ligne d’avantage, jouait un peu plus loin de la défense, jouait plus à la Carter finalement. Mais il est tout aussi bon, anime extrêmement bien, varie et possède une vision du jeu géniale, lui permettant de lire les situations de supériorité numérique et attaque la défense plus judicieusement. Les deux de la charnière se connaissent en plus désormais très bien, ils évoluent ensemble depuis quatre saison. On note que le jeu au pied – dont Barrett abusait souvent auparavant, à plus de 15 coups de pied par match – est bien fait et Perenara est très précieux de ce point de vue. L’apport de Ma’a Nonu a également été important dans cette capacité à poser le jeu, faire de bonnes passes, varier, etc. Et le pack colle réellement au jeu produit. Des joueurs comme Coles, Broadhurst, Savea comptent parmi les plus mobiles à leur poste dans le monde.

Le titre gagné d’avance ?

Dans ces circonstances et avec toutes ces qualités, on voit difficilement les Hurricanes tomber avant le titre. On les voit même gagner le Super Rugby sans bavure. Les chiffres parlent en leur faveur : ces quatre dernières années le leader de la phase régulière a systématiquement gagné par la suite le Super Rugby. Et il est finalement assez habituel en Super 15 de voir une équipe au-dessus du lot. Ce sont les Hurricanes cette année. Pour autant, les Canes ne sont pas imbattables, surtout en phases finales. A ce titre il est intéressant de regarder les quelques fois où ils avaient été mis à mal et pourquoi ils l’avaient été. A chaque fois, les Hurricanes avaient souffert parce que l’équipe adverse mettait elle-aussi un volume de jeu incroyable. Pour battre les Canes, il faut combattre le feu par le feu, et produire du jeu coûte que coûte. Les deux défaites (25-29 face aux Waratahs puis 35-18 contre les Crusaders) suivent ce constat. Les Waratahs avaient imposé leur jeu de passes et de relais pour finalement rompre la défense des Canes. Plus que les Canes eux-mêmes ils avaient effectué les bons choix en attaque et s’étaient créés des occasions à partir de turnovers. Contre les Crusaders, même constat. Les joueurs de Christchurch avaient imposé leur rugby typique du Canterbury fait de multiplication des temps de jeu et de réalisme autour d’un gros pack mobile. Là encore la défense des Canes cédait et comptait déjà à la 32ème minute 12 plaquages loupés contre 5 côté Saders. On note qu’en une mi-temps, les Crusaders avaient déjà effectué 5 piflers nets, anesthésiant les attaques des jaunes et noirs. Les Highlanders de la même façon avant leur déroute lors de la 17ème journée avaient su prendre les Canes à leur propre jeu dans un rugby fait d’initiatives autour de fortes individualités. Les Hurricanes ne sont pas très sereins non plus contre des équipes très physiques et rugueuses. Le début de match délicat contre les Chiefs (13-0 pour les Chiefs à la 35’) aujourd’hui le montre bien. Les Chiefs parvenaient à imposer leur rythme en défense, mettaient les avants des Canes en difficulté. Surtout, les Chiefs rendaient peu de ballons aux Hurricanes et à l’inverse en gagnaient beaucoup (13 ballons rendus par les Canes à la 32’ seulement).

Moralité : pour battre les Hurricanes il faut 1/ Entreprendre, développer du jeu 2/ Gagner des turnovers et si possible ne pas en rendre 3/ Couper les extérieurs et viser le n°10, en somme imposer le rythme physique en défense. Autrement dit, autant de conditions qui rendent compliqué de battre les Hurricanes. Mais pas impossible et les succès des Waratahs et des Crusaders l’ont montré. La victoire des Tahs a aussi rappelé une chose négative pour les Canes en vue des phases finales : la confiance. En effet, il est apparu assez net que menés au score les Néo-Zeds n’ont pas su retrouver la fibre de leur jeu et devancer les Waratahs. C’est le problème typique des équipes joueuses (les Blacks ont le même problème) : il peut se créer des moments de doute, de latence. Les joueurs osent moins et l’attaque devient plus stérile. Le réalisme ne fonctionne plus et l’équipe perd son mojo en attaque. C’est comme cela qu’on déboussole une équipe extrêmement solide et confiante de ses atouts : en jouant mieux qu’elle et en la faisant perdre ses repères. Avis aux amateurs donc…