Deuxième opus de notre enseignante qui, après nous avoir exposé la réforme des collèges vue de l’intérieur, nous décrit ce qu’elle vit au quotidien, dans un lycée français pas trop élitiste.
Par Rara’
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Professeur, c’est un métier formidable et même le plus beau métier du monde selon la rumeur, très varié puisque vous êtes tour à tour flic, nounou, voire éventuellement gardien de zoo. C’est très formateur, cela permet d’envisager tout un tas d’options de reconversion. C’est magique, et je ne vous parle même pas de mon CAP en dépannage de photocopieuses, je ne comprends pas pourquoi certains collègues râlent.
Bon, certes, il existe encore des bahuts, pas nécessairement de centre ville, où il fait bon venir bosser, où les élèves sont de vrais élèves, pas toujours super brillants mais pas non plus super méchants ; j’irai même jusqu’à prétendre que certains sont plutôt bienveillants envers leurs professeurs, même quand on les châtie pour leur manque de boulot ou leurs bavardages.
Je crois que l’on devient professeur parce que l’on est tombé amoureux d’une discipline et qu’on a plus que tout la volonté de transmettre aux plus jeunes ses bienfaits et tout ce qu’elle peut apporter en terme de liberté, d’autonomie intellectuelle et morale. Sauf à être issu de la COTOREP, nous nous doutons bien que les premières années, nous serons confrontés à un public pas tout à fait acquis à la cause et que nous devrons batailler sec pour espérer obtenir un résultat, même minime.
Pourtant, je pense que la réalité, dans certaines enclaves de la République Française, dépasse ce que tout nouveau professeur pourrait imaginer.
Je le dis, et pourtant, je suis une grande planquée de l’Éducation Nationale : professeur de philosophie, je ne peux qu’être face à des classes de Terminale – générales ou technologiques – et donc les rescapés de l’impitoyable sélection zélitiste pratiquée à chaque étape de l’évolution de l’apprenant par de méchants professeurs qui ne pensent qu’à stigmatiser. Quand tout dérape, je pense à ce que subissent les collègues de collège, de lycée professionnel, de seconde et au travail qu’ils fournissent, chaque jour, pour essayer de civiliser des mioches décérébrés qui n’ont parfois plus que leur folie pour s’imposer et exister socialement (Et je pense très fort à Clemenceau).
J’ai eu le privilège de travailler dans le pire établissement de mon académie en termes de résultats – 60% de réussite en terminale au bachot en terminale ES, c’est dire s’il faisait baisser les statistiques nationales – et j’en parle aujourd’hui comme si j’avais survécu à la guerre. Une guerre intellectuelle, une guerre morale, la guerre contre la bêtise et la couche crasse de propagande qui recouvre les cerveaux de certains.
Dans cet échec massif de l’Éducation Nationale à apporter un minimum d’autonomie intellectuelle aux populations les plus défavorisées, il faut pointer les réformes qui ne cessent de s’empiler au nom d’un pédagogisme tout rousseauiste que Rousseau lui-même estime pouvoir être « chimérique et fau[x] ». Même Rousseau le dit, mais ce n’est pas grave, on va continuer quand même, le niveau ne fait que baisser depuis quarante ans, mais ce n’est pas grave, on va continuer quand même : les sciences de l’éducation, c’est comme les fruits et légumes, c’est bon, mangez-en cinq fois par jour.
La méthode globale a été mise en place parce que la méthode syllabique était très très méchante puisqu’elle supposait d’apprendre avant de goûter au plaisir de lire des textes répétant les cinq mêmes mots appris par cœur le matin même; grâce à la loi Jospin, la grammaire ne s’enseigne plus, charge à l’élève de découvrir des régularités dans un texte. Résultat des courses : mes élèves – quel que soit l’établissement, et je suis passée par tout à l’exception des lycées de centre-ville – qui sont pourtant des miraculés et par conséquent, l’élite, confondent, pour la plupart, la monstration et la possession, avoir, savoir et être, tout en s’imaginant que si art est féminin, une « opignion » doit, elle, être masculine. Pire, certains élèves, en fin d’année, continuent à écrire philosophie « phylosophie », en expliquant que ce n’est pas une faute mais de l’anglais, dans un Double Fail à peine perçu.
À vouloir mettre un « apprenant » au centre du système scolaire, en refusant de parler de transmission des savoirs et sauf à croire en la métempsychose, ils ont mis le vide au centre de tout. Malheureusement, on ne raisonne pas sur du vide, on répète ce qu’on entend à la télévision et on fait des dissertations de philosophie à grands coups de proverbes dans ta gueule. (D’ailleurs, je suis devenue super forte en proverbes.)
On s’étonne de l’augmentation des violences dans certaines banlieues mais très honnêtement, je ne serais pas super contente non plus si l’État m’avait dépossédée de mon esprit. Je crois même que je serais très en colère. Privés des mots, et bien qu’ayant étudié à l’école Citoyenne et Festive de la République, il ne leur reste que la violence brute, déchaînée, irraisonnable (et pourtant, je vous jure, j’essaie, je fais de la « remédiation » toute l’année, comme on dit rue de Grenelle, en espérant leur faire comprendre que c’est à eux avant tout qu’ils font du mal en se comportant comme des débiles).
À force de vouloir envoyer des bisous plutôt que des réponses fermes à des individus, on fabrique des bêtes ou des brutes, mais certainement pas des esprits. À force de confondre le savoir, qui se mérite et requiert l’effort d’apprendre, avec un click sur ouikipédia, on forme des consommateurs et des réceptacles à propagande. À force de ne jamais les confronter à l’échec, on forme des gens qui imaginent que tout leur est dû parce que c’est comme ça EPIcétout.
Le résultat, c’est que dans certains bahuts, je n’enseigne pas la philosophie, je suis prof’ de « Devenir responsable de ses actes ».
Déjà, ils se retrouvent face à un mur, l’abstraction n’est pas possible pour ces élèves. Dès lors, le voyage au bout des Idées démarre avec une roue crevée et un réservoir à sec et ils le sentent bien. Je ne dis pas qu’ils sont capables de mettre des petits mots dessus pour identifier le problème mais ils sentent bien que quelque chose dysfonctionne. Comme cela ne peut évidemment pas venir d’eux, cela ne peut venir que de moi. Les élèves diront alors que je suis trop méchante, et l’Éducation Nationale, que je suis trop zélitiste.
La réalité, c’est que pour ces élèves en perdition, je symbolise le baccalauréat, l’institution dans sa froideur la plus brute, la porte qui va se refermer d’un seul coup sur le coin de leur nez avec d’autant plus de violence que ce sera la première fois en dix-huit ans.
La réalité, c’est que certains parents ne nous aident pas : quand un élève me jette une chaise en pleine figure (que j’esquive, heureusement, rassurez les enfants) et que sa mère nous dit en substance et en pleurs, sachant que nous en sommes au minimum à sa quatrième exclusion de l’établissement, « Je ne sais plus quoi faire, il va trop loin, pourtant son père et moi on ne l’éduque pas comme ça. Mais là, il va trop loin ! Je le prive de portable une semaine », c’est moi qui ai envie de pleurer.
Mais tout ceci n’est pas très grave, puisque les lycées sont de plus en plus éco-citoyens et responsables, qu’on mange bio une fois par semaine à la cantoche, qu’on réfléchit à proposer des menus végétariens, que l’ennui recule (merci m’ame Najat), et que l’Éducation Nationale s’est donné comme projet de produire une chaîne de montage 100% parfaite. Et puis nous, nous pouvons même ajouter « entraînement Ninja » à notre curriculum vitae.
Prof’, franchement, c’est magique. Je me demande pourquoi on râle.
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