Mon amie Rita me prête ce livre que nous avion acheté ensemble il y a déjà plusieurs mois au Salon de l’Asie. Elle le qualifie d’ « étrange » et refuse de m’en dire plus. Il faut dire que la quatrième de couverture mentionnant la « quête des vieillards en mal de plaisirs » ne me fait pas rêver. Mon amie aurait-elle des tendances érotico-gérontophile ? Et mon libraire préféré de surenchérir – à propos de Kawabata et non de la gérontophilie – que l’auteur est un incontournable de la littérature japonaise et que Les belles endormies est un très beau roman – mais pas aussi beau que Pays de neige du même auteur etc… mon libraire, quand il commence, on ne l’arrête plus.
Un peu perplexe quant à cet engouement collectif pour la sexualité des anciens, j’ouvre ce livre en cinq actes et me plonge dans l’écriture de Kawabata. Car Kawabata a du style, c’est indéniable. Ses longues phrases souples et travaillées m’entraînent sur les pas du vieil Eguchi, dans l’antre des Belles Endormies. Et je me surprends à le suivre volontiers dans cette masure exposée aux vents et au bruit des vagues, dans cette délicate aventure entre sensualité et souvenir de jeunesse. Tour à tour, il rencontre six jeunes filles dans la chambre aux rideaux cramoisis, toutes particulières et chacune différente dans son sommeil. Je ne peux vous en dire beaucoup plus au risque de briser cette étrangeté propre au récit – et peut-être à son auteur…
« Quand la main du vieil Eguchi se retira de dessous la nuque de la fille, elle tourna doucement le visage, les épaules suivirent le mouvement et elle s’étendit sur le dos. Eguchi crut qu’elle allait s’éveiller, et il s’en tint écarté. Le nez et les lèvres de la fille, dirigés vers le haut, baignés dans la lumière du plafond, avaient l’éclat de la jeunesse. Elle souleva la main gauche et la porta à la bouche. Il semblait qu’elle allait sucer son index, à croire que c’était une habitude qu’elle avait en dormant, mais elle ne fit que l’appuyer légèrement sur ses lèvres. »
Les Belles Endormies est le premier roman que je lis de Yasunari Kawabata et je suis maintenant très curieuse de découvrir les autres, à commencer par La beauté, tôt vouée à se défaire que j’avais rapporté de ce même Salon de l’Asie où Rita m’accompagnait, et Pays de neige envoûtée que je suis par mon libraire…
Les belles endormies – Yasunari Kawabata, traduit du japonais par René Sieffert
Le Livre de poche, 1982
Première publication : 1966
Première traduction en français : Albin Michel, 1970
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