Ex machine│et l’homme dit : “que la machine soit”

Publié le 12 juin 2015 par Acrossthedays @AcrossTheDays

L’homme créa la machine et la machine surpassa l’homme. Cette idée, inhérente à une certaine modernité dystopienne ayant soit associé machine à conscience ou machine à pouvoir, a dominé la science-fiction, en particulier au cinéma avec des films tels que 2001 : l’Odyssée de l’Espace, Blade Runner, Terminator ou plus récemment I, Robot. En cette période de digitalisation de notre environnement, qui laisse présupposer l’aube d’une ère de l’intelligence artificielle, Ex Machina s’impose comme une mise en garde contre la technologie et l’idée de l’Homme créateur de conscience.

Première réalisation du Britannique Alex Garland, proche collaborateur de Danny Boyle, avec qui il a travaillé sur Vingt-huit jours plus tard et La Plage (dont il est l’auteur), Ex Machina explore la question de la conscience chez l’intelligence artificielle. Alors qu’aujourd’hui, les techno-utopistes s’évertuent à prôner les bienfaits des sciences et de la technologie – dont l’évolution logique mènera inexorablement à la robotique poussée – le message du premier film de Garland prend le contre-courant de cette pensée. Ce dernier a d’ailleurs déclaré que le film se situait « dix minutes dans le futur », annonçant l’imminence du développement de l’IA comme elle est présentée dans Ex Machina, tout en dénonçant subtilement la concentration de pouvoir et la capacité d’innovation de firmes telles qu’Apple et Facebook.

Ex Machina se présente comme un quasi-huis clos mettant en scène une relation de pouvoir entre artificiel et humain. Caleb (Domnhall Gleeson) est un jeune codeur informatique qui vient d’être choisi pour participer à une expérience inédite dans la villa du PDG de son entreprise, Nathan (Oscar Isaac) où celui-ci vit reclus et conçoit des robots. Ce dernier annonce à Caleb qu’il compte le faire participer au test de Turing ayant pour but de déterminer si Ava (Alicia Vikander), le dernier modèle qu’il a créé, est dotée d’une conscience. Mais attention ! Les apparences peuvent être trompeuses : ni Ava ni Nathan ne semblent être parfaitement honnêtes avec Caleb. Chacun se lance dans un double jeu annonciateur de la lutte entre humain et automate. Qui est manipulé dans cette farce : l’Homme ou le robot ?

Dans ce film de science-fiction, traité à la manière d’un drame et presque comme un thriller, le rapport de force entre Homme et robot est l’enjeu principal, soulevant énormément des questions : les automates peuvent-ils avoir une conscience ? Des émotions ? (À l’image de l’Homme, lui-même à l’image de Dieu.) En quoi cela peut-il créer un rapport de force entre ces deux types d’intelligences ?

La référence à l’homme créateur de conscience – et en cela allégorie divine – est explicite, lorsque Caleb glisse à Nathan dans une discussion :

Effacer la frontière entre l’homme et la machine, c’est obscurcir celle entre l’homme  et Dieu. »

 Cette frontière ne se manifeste pas nécessairement dans le comportement des protagonistes, mais avant tout dans les décors et notamment la villa recluse où une modernité artificielle se mélange aux granites et arbres environnants. C’est le signe avant-coureur de l’emprise qu’est en train de prendre la technologie (et conséquemment l’artificiel) sur le naturel ; le signe que celle-ci n’est plus qu’un outil, mais une idéologie insidieuse qui progresse tout en empiétant sur la nature.

Elle s’exprime aussi à travers le fait que les automates soient des êtres sexués. Alors que Caleb est déstabilisé par le comportement séducteur d’Ava, Nathan lui explique qu’il a choisi de donner un sexe (féminin) aux automates qu’il a créés, car chaque espèce est guidée par un désir de reproduction qui justifie chacune de ses actions, y compris l’Homme. Pour arriver à un degré de conscience semblable à celui de l’être humain, les robots doivent avoir conscience d’eux-mêmes et donc, de leur identité sexuelle. C’est alors que Caleb va succomber peu à peu au charme d’Ava, non sans rappeler Her de Spike Jones, qui dépeignait cette idée dans la romance entre un robot et Joachim Phoenix.

Il est clair que le titre du film, en référence au procédé scénaristique (Deus Ex Machina – dieu rentrant en scène et dénouant une situation désespérée) est multiforme : les trois personnages sont plus ou moins divinisés. Nathan l’est en tant que créateur qui a transcendé sa condition humaine pour s’élever au rang de Dieu et Ava en tant qu’automate prête à dépasser son créateur. Caleb quant à lui, représente le Homo Ex Machina, c’est-à-dire l’humain qui interviendra pour dénouer le conflit entre les deux entités divines qui s’opposent dans une situation à l’issue incertaine. 

Mais si homme se drape des oripeaux de Dieu, n’aurait-il pas créé quelque chose qu’il ne peut lui-même contrôler ? Qu’est-ce qu’être humain signifie ? Cette humanité s’exprime sous différentes facettes chez chaque personnage : quête mystique chez Nathan, émotions chez Caleb et ressource intellectuelle chez Ava. On en vient même à se demander qui est le plus humain dans cette fable dystopique ? Pas certain qu’on sorte de la salle en ayant une réponse claire, mais on aura au moins passé un bon moment…