Début des années 80, mon premier plaisir de la journée était d’acheter au kiosque le "Libé " du jour. Comme chaque matin depuis déjà quelques années. Et je me foutais royalement d’être vu avec ce journal à la main ou sous le bras. Car à l’époque, il était évident que vous ne pouviez qu’être un gauchiste attardé pour lire ce canard. Philippe Garnier m’enchantait avec ses merveilleuses et vivantes chroniques « L’oreille d’un sourd ». Il s’agissait moins de musique que de littérature et de cinéma.
Placid
Placid
Bénito
Certains d’eux animaient la rubrique « Télégraphie », une vision percutante des programmes de la télé. Dans la chaleur de l’été 89, Libération faisait appel à Jean-Pierre Gibrat pour sa propre pub qu’on aurait du mal à imaginer dans un quotidien aujourd’hui. Rien que pour cette raison, je vous les délivre.
La bête par Guido Buzzelli
Quant à Berberian, Dupuy, Gaudelette et Götting, ils mettaient en situation les héros de la Bd dans une parodie délirante « Galeries en folie ».
Le graphisme était partout, notamment dans les cartouches des rubriques comme celles de la magnifique Sélection Disques Noir » ou celles, délicieuses, des petites annonces.
10 ans plus tard, l’effervescence était quelque peu retombée. Les journalistes n’étaient toujours pas des seconds couteaux, mais déjà ma sélection d’articles était nettement plus chiche que par le passé. J’avais conservé précieusement ceux de Jacques Durand ou Gérard Dupuy consacrés, encore et toujours, à la tauromachie. On retrouvait Antoine de Gaudemar, François Rivière, Mathieu Lindon, parlant de bouquin alors que Gérard Lefort et Philippe Garnier continuaient leurs fouilles cinématographiques. Avec Philippe Garnier, c’était toujours la surprise tant ses centres d’intérêts nous plongeaient dans des aventures folles que son style, si personnel, rendait passionnantes. Je me suis plu à relire son papier sur Cormac McCarthy. Trente ans plus tard, ses fameuses correspondances d’Hollywood n’avaient toujours pas de ride.
On visitait, pas si loin, le Paris littéraire de Claire Devarrieux. On voyageait au-delà avec le grand reporter Sorj Chalandon, entre-temps auréolé du Prix Albert-Londres. Florence Aubenas débutait et nous promenait sur les rives de la Garonne. Quand il ne nous parlait pas de sports avec ce style qui captivait même l’intello le plus hermétique à toute activité physique, Laurent Rigoulet racontait sa rencontre avec Jim Harrison. Homeric, qui venait de troquer sa casaque de jockey pour la machine à écrire, revenait visiter avec talent le monde du cheval, mais pas que. Ainsi ce reportage sur Philippe Frey lors de son odyssée dans le désert. Je me surprenais également à lire des articles scientifiques ou techniques avec les papiers que publiaient Corinne Bensimon et Sorg Chalandon pour les pages Eureka du vendredi (ou peut-être du samedi)…
Côté graphisme, je me surprenais à retrouver des illustrations de Romain Slocombe, de Jacques Loustal, et notamment dans cet article d’anthologie de Philippe Garnier consacré à Norman MacLean, et même mes amis perdus Placid et Muzo. Les encarts manuscrits du Hollandais volant, Willem, étaient toujours aussi précieux et ses lettrages toujours aussi inventifs. Sans parler de ses reportages dessinés tels ceux consacrés aux « Quais Baltiques » de l’été 93.
Le temps passant, j’ai trouvé de moins en moins d’intérêt à sa lecture. L’esprit des débuts n’y était plus. Quelques mois plus tard, j’ai cessé de l’acheter chaque matin. Je ne l’ai réclamé par la suite que de façon épisodique, en fonction des dossiers proposés. Jacques Durand avait été congédié, Antoine de Gaudemar démissionnait sur ordre de Laurent Joffrin. François Rivière était trop éclectique et talentueux pour continuer d’être un scribouillard de la presse. Philippe Garnier, purement et simplement viré. D’autres partaient, dans d’autres aventures ou d’autres médias. Le graphisme cédait la place à la photographie. Mon aventure avec ce journal d’exception était terminée. Mais, autodidacte, elle m’a forgé d’une certain façon, plus sans doute que toute autre lecture.
Merci donc à toutes ses plumes dont certaines sont aujourd’hui éteintes à jamais.
[1] Voir le beau papier de la cinémathèque française
Et pour finir d'autres lettrages de Willem