"Léopold compte les palmiers, passé 125 il se lasse, nous commençons alors à les décrire..."
Pour s'occuper, pourquoi ne pas compter les palmiers pendant qu'on roule longuement, direction les Pyrénées Orientales? On compte bien les moutons, dit-on, pour s'endormir...
Dans son roman, Au-delà de 125 palmiers, Pauline Desnuelles raconte l'échappée belle d'une jeune mère, Alma Montes, à peine quarante ans, avec son garçonnet, Léopold, à bord de son vieux Scénic, destination le Languedoc-Roussillon.
Le mari d'Alma est un scientifique méticuleux, un taiseux. Il est parti en expédition dans l'Antarctique. Et cette expédition doit durer de longues semaines. Il a laissé derrière lui femme et enfant. Depuis, il communique laconiquement avec eux, par mails ou par téléphone.
Paul et Alma sont on ne peut plus dissemblables. Alma décrit en ces termes ce qui la distingue de ce roi du silence, avec lequel elle est mariée depuis dix ans et que, finalement, elle connaît mal: "Lui, le plongeur de fond, moi le reflet en surface"...
Alma fait chez elle des relectures et des réécritures de textes: "Lorsque je me suis engagée dans cette voie, je pensais y trouver une certaine liberté, l'idée d'échapper aux monotones horaires de bureau et de transporter mon ordinateur au gré de mes désirs me séduisait."
Elle a vite déchanté: "Finalement, je me sens prisonnière, enchaînée à cet écran qui me suit comme une pensée sombre... Et la mastication des mots des autres, la rumination de leur substance indigeste, altèrent mon mental déjà trop enclin à ressasser ce qui lui tombe sous la main."
Ce qu'elle voudrait? "Je voudrais formuler une pensée qui me soit propre. A moi. Née d'un lobe de mon cerveau. Trouver les mots justes pour dire ce qui m'habite." C'est ce qu'elle fait en se faisant narratrice de cette escapade avec son fils chéri, vers des contrées ensoleillées.
Avant même que ne commencent les vacances scolaires, Alma a en effet décidé d'emmener Léopold, en bord de mer, dans la maison familiale où elle a passé ses vacances d'enfant et d'adolescente. Un retour aux sources buissonnier en quelque sorte. Dans ce cadre de rêve, elle se met à penser qu'elle doit changer de vie et cesser d'attendre Paul:
"Reprendre pied dans ma vie, au lieu de me dessécher devant mon écran. J'ai eu si peur ces dernières années. Peur de ne pas avoir d'enfant, peur de ne pas être une bonne mère, peur d'être délaissée par mon mari. Il est temps de passer à autre chose."
Et elle passe à autre chose le temps d'une fin de printemps et d'un début d'été. Elle n'a pas à aller bien loin. Voisin de la maison de famille, habite Althus Payral, vieil intellectuel déchu, qui a connu les honneurs et qui semble être devenu un ermite bien taciturne.
Le fils d'Althus, Gaspard, lui rend visite de temps en temps, quand il déserte Barcelone et son ex, Luna, toujours gosse à quarante ans, et qu'il tire encore souvent d'embarras. C'est ainsi que Gaspard et Alma se rencontrent et font davantage connaissance l'un de l'autre, par affinités.
Avec Gaspard, Alma est heureuse. Avec lui, elle est souriante, épanouie. Léopold trouve sa maman vraiment belle et en aime d'autant plus Gaspard qu'il règne entre eux une grande complicité. Mais, sous ces cieux cléments, le temps passe vite à s'aimer, à se baigner, à faire des balades ou de la planche à voile... La rentrée scolaire est bientôt là.
Paul a rejoint leurs pénates urbaines et il attend Alma et Léopold. Seulement, rien ne pourra plus être comme avant. Cette escapade n'aura-t-elle été qu'une parenthèse dans la vie d'Alma et de Léopold? En tout cas, avant de rentrer, elle rassure son amour de fils:
"Paul et moi nous sommes éloignés quelques temps, ça arrive. Peut-être que tout va s'arranger à notre retour. Et si ce n'est pas le cas, hé bien, ce n'est pas la fin du monde. Loin de là. Je t'aime, ton père t'aime, ça, c'est quelque chose d'éternel."
Pauline Desnuelles dédie ce récit à son père qui a le goût des mots et à sa mère qui a le goût des autres. Elle est leur digne héritière parce que, dans ce livre solaire, elle fait montre à son tour de goûts prononcés pour... les mots et les autres.
Francis Richard
Au-delà de 125 palmiers, Pauline Desnuelles, 112 pages, Rémanence