A la croisée des chemins entre l'art et la technique, entre la forme et la fonction, le design occupe un territoire aux frontières mouvantes, incertaines. Sa définition même témoigne de l'instabilité dans laquelle son concept vit et se développe à travers le temps. Depuis la doctrine fonctionnaliste où "la forme suit la fonction", le design n'a cessé de s'émanciper pour intégrer les valeurs du sensible, de l'émotion. C'est dire si le challenge organisé à la galerie Fatiha Selam à Paris avec l'atelier YADE (association entre Marina Declarey et Solange Yates) est susceptible de faire bouger les lignes sur ce front agité.
Emulation
Jörg Gessner et YADE
Car c'est à une émulation entre œuvre d'art préexistante et création design que s'établit la règle du jeu dans cette exposition D’DAYS, « FONCTIONCONTEMPLATION »: "Se mettant au service d’œuvres signées par des artistes représentés par Fatiha Selam : Jörg Gessner, Daniel Pontoreau, Stephen Schultz et son invité Vladimir Skoda, l’atelier YADE imagine un design aux lignes épurées qui guidera la contemplation et le regard des visiteurs."
Si bien que l'on ne peut éluder cette question incontournable : dans quelles conditions optimum peut-on établir notre relation à une œuvre d'art ? L'atelier YADE répond par des propositions concrètes à cette interrogation.
Face à l'œuvre immaculée des Washi de Jörg Gessner, toute entière dédiée au silence et au recueillement, un habitacle de feutre permet de s'isoler au plan visuel et sonore devant la pièce, d'éprouver la relation unique avec l'objet de méditation conçu par l'artiste. Dans ces conditions, le terme de contemplation se charge de sens multiples. Ce ne sont plus seulement les conditions matérielles de regard qui sont en jeu mais l'état personnel du regardant qu'il s'agit de préparer. La notion d'état contemplatif conduit la réflexion dans les directions multiples de la philosophie, de la religion et du mystique. On le voit, le terme de design appliqué à cette création prototype semble quelque peu réducteur.
L'exemple de la création générée par les œuvres de Daniel Pontoreau confirme cette ambition.
Daniel Pontoreau et YADE
Design in situ
Les plans feutrés sur lesquels sont mises en scène les pièces du sculpteur vont au-delà de la fonction attendue : ils composent un environnement dans lequel s'installent à la fois les sculptures et les visiteurs dans une attitude qui n'est pas sans rappeler, pour ces derniers, celle des participants au banquet gréco-romain. Un telle proposition pourrait être envisagée à une toute autre échelle dans une centre d'art et modifier singulièrement les conditions de visite. J'avais personnellement expérimenté au Frac Lorraine de Metz en 2011 dans l'exposition, "Le moins du monde" cette tentative de relation sur un mode nouveau avec l'espace du musée. Si nous acceptons cette complicité avec la scénographie agencée, nous ne sommes plus des regardeurs distants mais nous intégrons l'espace scénographié.
De la même façon les "assises" créées en regard des œuvres de Stephen Schultz et Vladimir Skoda s'éloignent radicalement de la seule conception rationnelle alliant usage et forme. Cette sorte de "Design in situ" détermine une attitude contemplative immédiatement en relation avec l’œuvre concernée. Ainsi l'instabilité du banc à bascule faisant face au dessin de Stephen Schultz corrobore le déséquilibre dans lequel l'artiste installe son personnage. De même, le siège auquel nous sommes conviés pour dialoguer avec l’œuvre miroir de Vladimir Skoda nous contraint à une position physique bien éloignée des critères classiques du design pour amener cette posture obligée vers un mode de contemplation inédit.
Le jeu créatif innovant auquel se sont confrontées Marina Declarey et Solange Yates ajoute, me semble-t-il, au couple forme-fonction classique du design une dimension supplémentaire. Il ne s'agit plus seulement d'établir un rapport harmonieux de notre corps à l'environnement quotidien mais de définir un nouvel échange relationnel avec la création.
FONCTIONCONTEMPLATION
Atelier YADE
Du 2 juin au 11 juillet ;2015
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris