Magazine Culture
Ô Toulouse ! Une ville où la douceur de vivre n’a jamais vraiment fait débat dans l’Hexagone mais qui a longtemps engendré la suspicion quant à la qualité et la vivacité des cultures musicales émergentes en son sein. La faute à un attrait immodéré pour le ska-punk ou le power manouche – défense de rire on a reçu un email à ce sujet pas plus tard que lundi dernier – , au mauvais goût musical tenace entourant l’ovalie – faire un tour place Saint-Pierre entre le Pastisômaitre et le bar Basque pour s’en convaincre – ou à celle d’une frilosité municipale qui a longtemps préféré reconduire l’existant plutôt que de favoriser des lieux de création alternatifs ou dynamiques ? Sabi pas comme on dit là-bas. Je suis parti de la Ville Rose l’année de la mort de Nougaro, en 2004. Soit bien trop tôt pour apprécier les tangibles évolutions dans le domaine, de l’ouverture de nouvelles salles, la Dynamo ou le Connexion Live, au foisonnement de collectifs – le Boudoir Moderne, la Chatte à la Voisine… – et de labels tels nos amis de BLWBCK ou, dans un autre registre, de Falco Invernale Records, et ce, sans oublier évidemment le rendez-vous estival que propose Les Siestes Électroniques qui, dans le cadre bucolique de la Prairie des Filtres longeant la Garonne, organisent depuis 2002, sous une forme qui tend à connaître son archétype après quelques années de tâtonnements, un festival gratuit, curieux et aventureux, privilégiant l’expérience de l’écoute à l’effet de masse. Bicéphale depuis 2011 avec le déroulement au Musée du quai Branly à Paris d’une série de dimanches explorant par le biais d’artistes invités la richesse du fonds ethno-musicologique du musée (Event FB), la direction artistique du festival à pour cette quatorzième édition décidé de ne pas révéler la teneur de la programmation Toulousaine qui s’égrènera du 25 au 28 juin (Event FB). Alors plutôt que leur tirer les vers du nez au cours de l’entrevue à trois qui suit, avec Samuel Aubert (SAM), directeur artistique, et Hervé Loncan (H) et Jeanne-Sophie Fort (JS), on leur a soutiré une mixtape – sans tracklist – évoquant de près ou de loin la programmation.
Les Siestes Électroniques l’interview
Tout d’abord, question évidente, que peux-tu nous révéler que nous ne sachions déjà puisque la programmation de cette année est tenue dans le plus grand secret ?
JS : Soyons honnêtes, c’est le secret le moins bien gardé du monde. Déjà, parce que nous avons autorisé nos artistes, les bookers et les partenaires à dévoiler ce qui les arrangeaient. Il est donc naturel que parmi tout ce beau monde, certains sèment quelques indices sur la toile. Nous-même avec nos mixtapes, nous dévoilons nos aspirations et inspirations de l’année, ça ne nous pose pas de problème de communiquer sur les artistes qui nous ont excités. Dans l’histoire, on ne cherche pas tant à absolument conserver secrète notre programmation, mais plutôt à adresser un message clair à nos publics : faites-nous confiance !
À l’heure où tous les festivals rivalisent d’annonces en annonces sur les « nouveaux noms » et autres « têtes d’affiches », pourquoi avoir choisi de ne rien dévoiler de la programmation ? Est-ce une façon de faire un pied de nez à cette course à l’échalote qui ne rime plus à rien ?
JS : Ce qui compte dans cette démarche, c’est l’intention, celle de ne pas utiliser des noms d’artistes pour racoler, et s’engager dans une relation plus saine, plus durable, plus forte, avec nos publics. Nous avons d’ailleurs été très agréablement surpris d’apprendre que certains festivaliers, notamment les plus assidus, ne veulent rien connaître en amont, jouer le jeu jusqu’au bout et vivre ce moment de surprise, bonne ou mauvaise, devant une scène. D’autres ont joué le jeu des devinettes. La bienveillance avec laquelle on a imaginé cette démarche a été comprise.
SAM : Avec cette démarche, largement plus symbolique qu’autre chose, on affiche faire un pas de côté. Et finalement on n’a pas totalement pris la mesure de ce que cela changeait, mais si on tient cela sur plusieurs années, ça devrait modifier pas mal de chose dans notre manière de penser l’événement, son contenu, dans notre façon de communiquer, d’interagir avec nos publics. On avait envie de changement, de secouer un peu le cocotier et ça marche !
Entre hédonisme et curiosité, quelle est la philosophie du festival et comment se matérialise-t-elle ?
JS : Cette réponse est très personnelle, mais je parie que mes collègues et les membres de notre association s’y retrouveront. Prenons n’importe quelle autre manifestation ou concert, on constate que certains éléments nous empêchent de profiter un maximum de l’expérience musicale. Combien de fois se dit-on qu’on est finalement mieux chez soi avec son super système son, un bon canap’ et le chat qui ronronne à côté ? De ce constat, on retient pour concevoir le festival l’idée de confort et d’isolation. Mais il y a tout de même quelque chose de séduisant dans l’idée de se réunir en nombre pour vivre une expérience unique à un instant T.
Donc pour optimiser l’expérience « festival » selon notre goût, il a fallu en décortiquer la carcasse et en éliminer, ou contourner, les éléments perturbateurs. Pour être plus clair :
Truc chiant numéro 1 : la foule, être nombreux ne veut pas forcément dire être cerné d’une foule en délire, avinée et cherchant à tous prix à faire la fête.
Solution envisagée : maîtriser la jauge, rester à taille humaine comme on dit dans les festivals plus « socio-cul ».
Truc chiant numéro 2 : avoir à choisir entre 4 super concerts au même moment, se bousculer et finir à 900 mètres de la scène à regarder un écran.
Solution envisagée : organiser les concerts les uns après les autres, pas plus de 4 d’affilée (au delà, on ne retient plus rien, l’attention n’y est plus). Proposer un programme complet humainement appréhendable. Que retient-on d’un festival où plus de 20 artistes sont programmés la même journée ? Pas grand chose, il y a toujours un tri à faire, un choix d’ailleurs pas forcément heureux.
Truc chiant numéro 3 : la boue, les transports, les merguez-frites, les campings…
Solution envisagée : s’installer en ville, dans un cadre de qualité que l’on ne vient pas saccager, choyer le contexte, les à-côtés, le service.
SAM : Truc chiant numéro 4 : finir malgré soi par aller voir des groupes dont on se fout éperdument juste par curiosité mal placée dans le but inavoué de pouvoir défoncer la dernière sensation du moment.
Solution envisagée : proposer des groupes que personne (ou si peu) ne connaît, comme ça on évite toute bulle spéculative, et des artistes dont on sait que les lives sont bons (c’est une chose de sortir un bel album, c’en est une autre d’avoir un live qui tient la route).
Les Siestes Électroniques sont avant tout dédiées à la musique électronique. Comment définir le champ de celle-ci ? Jusqu’où ses frontières s’étendent-elles ?
JS : En fait Les Siestes sont nées avec la musique électronique, mais aujourd’hui le champ des musiques diffusées aux Siestes s’est élargi. Difficile donc d’en déterminer le contour exact, il n’y a pas de frontières a priori, juste l’appétence pour des créations musicales qui l’année en cours ont su retenir notre attention, nous séduire, attiser notre curiosité au point qu’il nous paraissait nécessaire de les partager. Dans notre programmation, on retrouvera de la musique électronique de puristes, mais aussi des formes musicales plus expérimentales, au sens bricolage du terme. Disons qu’on ne peut pas nier d’où nous venons, le bain des musiques électroniques de la fin des années 90, quelque part entre fin des raves, l’apogée de Warp et le phénomène de la French Touch, cela nous a durablement marqué et continuera de nous influencer, mais nous souhaitons représenter plus que cette histoire et ne pas devenir un festival de genre destiné à un unique public, très générationnel, très ciblé.
SAM : On veut continuer à se surprendre nous-mêmes, bousculer nos habitudes et donc être capable d’aller chercher de belles choses où qu’elles soient. Simplement notre point de départ et donc notre grille de lecture, dans une certaine mesure, c’est les musiques électroniques des 90s, après, on navigue au large, un peu à vue, en espérant trouver les Indes, comme Christophe Colomb :)
Où place-t-on l’expérimentation et la création improvisée dans la conception d’un festival ? Quel est le risque ?
SAM : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question, désolé. L’expérimentation est somme toute une notion subjective. Selon l’éducation de ton oreille, certaine musique peuvent sonner « expérimentale » ou non. Les musiques dites expérimentales ont leur académisme aussi. Comment se prémunir contre cela ? Essayer autant que possible de changer de prisme musical, ne pas appartenir à une seule famille musicale. Plutôt que d’expérimentation, je parlerais donc plus volontiers de curiosité. Là où Les Siestes prennent un risque, c’est en tâchant de promouvoir cette curiosité chez ses spectateurs. Si la question tenait plus à l’aspect live de nos concerts et au champ des musiques improvisées, oui, une bonne partie de notre programmation relève de ce champ-là, mais pas au sens esthétique (musique improvisée = post-jazz). Je dirais qu’un bon DJ fait de la musique improvisée, par exemple. Pour plus de la moitié des concerts programmés cette année, je ne sais pas exactement à quoi m’attendre.
Les Siestes Électroniques n’est pas qu’un festival toulousain. C’est aussi, du 5 juillet au 2 août, des dimanches au Musée du Quai Branly. Entre Aïsha Devi, Zaltan et Stephen O’Malley, quelle est la tonalité de cette année ?
SAM : La tonalité de notre édition parisienne n’est pas vraiment donnée par les noms des artistes invités mais plutôt par les ressources au sein desquelles ceux-ci vont puiser dans les collections du musée Branly. Cette année, beaucoup s’intéresseront au sous-continent indien et plus généralement à l’Asie. La voix et le bourdon sont également deux thèmes porteurs de cette édition 2015. Par ailleurs, comme testé l’année dernière, il y aura quelques lives un peu plus « physiques » sur cette édition : Eric Chenaux, Jéricho, Frànçois and the Atlas Mountains. Notre édition parisienne reste très DJ set et laptop, mais nous avions envie de réinterprétations plus « incarnées ».
Comment fait-on de nos jours pour organiser un festival gratuit ?
SAM : On a la chance d’avoir 14 ans d’âge, ce qui nous permet d’avoir eu accès aux subventions publiques à une époque où les lignes de crédit étaient plus faciles à débloquer. Elles diminuent, certes, forcément, mais il nous en reste quand même. Sans ça, on serait mal. Et puis après, il y a évidemment la force et la beauté du don de soi, le bénévolat. Pendant le festival, seuls les ingénieurs du son sont rémunérés, toutes les autres tâches sont effectuées par des gens qui nous donnent de leur temps, de leur énergie, de leur amour. Nous sommes une association, la dynamique de notre événement, sa faisabilité, doit beaucoup à ce statut, au fait que notre projet soit donc collectif. Si nous étions une société, je pense que cela marcherait bien moins. Enfin, on est débrouillards, on bricole, on fait avec le système D, on se creuse la tête, on invente pour faire beaucoup avec peu.
Peux-tu nous parler d’Audimat ? Comment se porte cette revue et quelles relations entretient-elle avec le festival ?
H : Audimat est une revue éditée par le festival mais pensée par ses deux rédacteurs en chef, Étienne Menu (GQ, Vice) et Guillaume Heuguet (co-fondateur du label In Paradisum). L’idée est d’écrire sur la musique en s’affranchissant des contraintes d’actualité et des formats de la presse périodique. On traite de l’ensemble du spectre de la pop music, avec des contributeurs internationaux, spécialistes ou non. Le dernier numéro, par exemple, évoque le guitariste culte Robert Quine, des gamins mexicains qui revisitent leur héritage, les Supremes, le french boogie, les racines du schmaltz ou explore un continent perdu de la techno… Trois numéros ont déjà paru, sur un rythme annuel. La revue se porte plutôt bien, même si les chiffres sont évidemment modestes. Grâce à l’intérêt qu’elle suscite, Audimat va désormais sortir deux fois par an, le numéro 4 devrait donc voir le jour en septembre ou octobre. On réfléchit également à d’autres projets autour de l’édition.
SAM : Quant à la relation de la revue vis à vis du festival, je dirais qu’elle agit comme une muse. La revue nous donne à réfléchir, nous extirpe du temps court, des tops annuels, des stickers « best new music », d’une certaine fuite en avant. Elle agit comme un garde-fou. Elle nous immunise contre la prétention de croire que ce que l’on fait représente le meilleur à l’instant T. Elle nous donne le temps de penser alors que notre métier aurait plutôt tendance à pousser vers l’Entertainment.
Peux-tu nous présenter le mix fait pour Hartzine et quelles en sont les accointances avec la programmation toulousaine ?
H : Chaque morceau utilisé possède un lien plus ou moins direct avec nos programmations toulousaine et parisienne (huit tracks concernent Toulouse, trois pour Paris). Remixé ou remixeur, label boss ou label mate. Le morceau d’ouverture, par exemple, est un remix fraîchement sorti et réalisé par des artistes qui seront présents à Toulouse. Les plus assidus des lecteurs d’Hartzine devraient pouvoir l’identifier sans peine… On retrouve aussi une des dernières sorties Antinote, puisque le créateur du label, Zaltan, sera présent lors de notre édition parisienne. Le morceau de clôture, lui, est un clin d’œil au film « Baltimore, where you at? » que nous diffuserons au cinéma Utopia de Toulouse le 24 juin, veille de l’ouverture du festival. Pour le reste, blind test (ça va, c’est facile) !
Mixtape