Je suis né en 1665, treize ans avant un autre Antonio, beaucoup plus connu que moi ; et comme lui, je suis vénitien. En revanche, contrairement à Vivaldi – vous l’aurez deviné, c’est de lui qu’il s’agit – je ne suis ni prêtre, ni roux. Je suis mort un an avant lui : nous sommes donc contemporains. D’ailleurs, en écoutant ma musique, les ressemblances sont frappantes. Je m’appelle Antonio Lotti.
De par ma naissance, j’étais destiné à devenir un grand musicien : mon père, Matteo, est en effet maître de chapelle à Hanovre, chez les Protestants donc. C’est dire si j’ai baigné dans un milieu musical privilégié.
Je rejoins Venise pour parfaire ma formation musicale, auprès de Giovanni Legrenzi. Je reste viscéralement attaché à la Sérénissime : pensez-donc, je vais demeurer au service de la cathédrale Saint-Marc pendant 53 ans. Je gravis les échelons de ce prestigieux centre de musique sacrée, en y occupant plusieurs fonctions : simple chanteur (en voix de contre ténor), assistant du second organiste, second organiste, premier organiste (dans cet ordre-là, non, je vous rassure, je n’ai pas rétrogradé), maître de chapelle intérimaire et enfin maître de chapelle en 1736.Mes fonctions m’amènent bien naturellement à composer de la musique religieuse. Cela dit, au début de ma longue carrière, je privilégie l’opéra et les cantates profanes, et ce, jusqu’à mon séjour de deux ans à Dresde (1717-1719) auprès de l’électeur de Saxe, durant lequel j’ai fait représenter quelques-unes de mes œuvres. A partir de 1720, je me consacre entièrement à la musique sacrée.
Justement, parlons-en ! Sept oratorios sont issus de mon imagination débordante, mais seulement deux sont arrivés jusqu’à vous. Mais, je suis surtout renommé pour la vingtaine de messes, le plus souvent des œuvres a cappella dans le plus pur style antico, celui hérité de mes prédécesseurs du XVIIe voire du XVIe siècle : Saint-Marc est irremplaçable mais pas forcément très novateur, en tous cas au XVIIIe siècle ! Outre les messes, j’aime composer des pièces liturgiques séparées, notamment des austères et parfois étranges Crucifixus, à 6, 8 ou 10 voix, extraits de Credo eux aussi disparus. Mes motets ont en revanche un style plus varié, certains sont franchement modernes, davantage classiques que baroques, il faut le reconnaître.
Quant à l’opéra, j’en ai composé une trentaine, notamment entre 1706 et 1717, période durant laquelle seize d’entre eux ont été mis en scène. Malheureusement, seuls huit ont subsisté intégralement. Il faut dire aussi qu’ils ont été largement oubliés et que leur redécouverte date d’il y a quelques années seulement.
Mon élève le plus connu, outre Jan Dismas Zelenka, est Benedetto Marcello, que vous connaissez sûrement pour son concerto pour hautbois ou pour son psaume 19 I Cieli immensi narrano (Caeli enarrant gloriam Dei). La légende dit aussi que j’ai influencé Bach. Sa messe sans doute apocryphe en sol majeur BWV Anh. 167 m’est ainsi parfois attribuée. Je ne sais pas qui doit s’en réjouir, lui ou moi ?
Maintenant, écoutons quelques-unes de mes œuvres.
Surtout au début et à 10’36. Là évidemment, nous sommes très loin de Monteverdi…
Beaucoup plus austère. A huit voix, un chanteur par voix !
De la polychoralie (ou polychoralité), en italien cori spezzatti (chœurs brisés), très en vogue dans la Péninsule. Par exemple, Charpentier a écrit une messe a quatre chœurs – ce fut une expérience très remarquée à la cour…