En peinture, les points de couleur, qui de loin se fondent pour former une image, ont donné son nom au pointillisme. En photographie, les pixels, de manière analogue (sic), ont donné son nom à l'image numérique. En littérature, quel nom faudrait-il donner au monde que de petites nouvelles et des encres juxtaposées reconstituent pour former un tout? Peu importe ce nom, après tout...
Quoi qu'il en soit, Pierre Stringa, dans Une nature Veytaux Chillon, beau livre sur papier couché, façonne ainsi par l'écriture et le dessin, tout un monde, celui de la commune de Veytaux, sur laquelle se trouvent une nature, un village et un château, c'est-à-dire tous les ingrédients susceptibles de faire rêver en prenant pour point de départ la simple réalité.
Dans l'avant-propos de l'ouvrage, Pierre Stringa, en donnant la parole à son fils Carel, neuf ans, prévient que le regard sur les êtres et les choses qu'il portera, dans les pages qui suivent, sera celui d'un enfant, c'est-à-dire tantôt sérieux, tantôt rêveur, sans s'encombrer de mots inutiles, comme Carel, qui, à la réflexion, en écrivant une petite histoire, biffe un adjectif superflu.
Une nature? Un sauvageon s'asseoit à proximité de son ami fidèle, son conseiller: "Cerclé d'herbes, échine plissant sous l'effort, crâne affleurant au creux du chemin, arcades saillantes cachant une lueur sombre, défenses à demi ensevelies dans l'humus, trompes repoussant les roches autour d'elles, affleure l'arbre-éléphant".
Un village? Un homme sacrifie au rite, depuis des années, de "l'observation méticuleuse de la terrasse verdoyante de l'Hôtel Masson", sis dans le bourg veytausien: "Il cartographie dans sa mémoire chaque épanchement de fleurs, chaque déplacement de rameaux, chaque nouvelle pousse, chaque rejet dans cet univers de verdure artificiel."
Un château? Paul aime les vieilles pierres, Madeleine l'en taquine. Paul lit puis remet en place un papier dans une fente, entre deux linteaux, de la porte du Château de Chillon, dans la cour duquel se trouve un "groupe de Japonais tous appareils photo dehors". Paul n'entend pas grand-chose à l'art contemporain qui s'expose, en face, dans le Fortin de Chillon, Madeleine elle le prend très au sérieux...
Les encres représentent au premier plan des arbres, un torrent, des maisons, un escalier, une pile de pont. Nombre d'entre elles ont pour toile de fond des cartes. Certaines même ne sont que cartes, vues de haut et de biais. Un vieil homme, s'adressant à Paul et Madeleine, leur dit, en leur en dédicaçant une, que Paul reconnaît pour avoir acheté la même le jour précédent:
"Pensez que le principe majeur de la cartographie est la représentation de données sur un support réduit représentant un espace généralement tenu pour réel."...
Francis Richard
Une nature Veytaux Chillon, Pierre Stringa, 48 pages, BSN Press