Une rencontre avec Shushanna Bikini London

Par Fadingpaper

J'ai rencontré l'auteure Lucile de Pesloüan dans un petit café en sous-sol du Mile-End pour qu'elle me parle de sa série de zines en noir et blanc: les Shushanna Bikini London. La rencontre a donné suite à un article qui vient de paraître sur le magazine Spirale en ligne. Nous avons décidé de publier l'entrevue sur mon blogue pour le compléter, et faire comme si on vous avait invités à notre table cette après-midi là pour discuter avec nous. 
Découvrez mon article sur le Magazine Spirale en ligne!

Crédit: Lucile de Peslouan


Comment est né le projet des fanzines Shushanna Bikini London?
J’ai toujours aimé les fanzines. Un jour, j'en ai reçu un par la poste. J’avais plusieurs textes commencés, mais jamais terminés sur mon ordinateur. J’avais aussi emmagasiné des photos. Je me suis dis que c’est ça que j’allais faire, moi aussi. Mettre mes textes et mes photos en page et faire des petits livres !
Avais-tu prévu de faire plusieurs numéros ou c'est venu par la suite?
Quand j’ai commencé les histoires de Shushanna Bikini London, j’ai délibérément inscrit «histoire numéro 1». Mon but était que ma création de fanzines devienne un atelier d’écriture. Aller au bout d’une histoire. Réussir à lâcher prise, à terminer quelque chose, même si ce n’est pas parfait. De toute façon, ça ne l’est jamais. Les fanzines sont devenus mon petit laboratoire d’expérimentations. Chaque texte est différent dans sa forme. Chaque mise en page aussi. Je m’entraîne, j’essaie, j’expérimente.
Je ne savais pas combien de numéros j'allais faire. Je me suis donné la contrainte de sortir des histoires tous les trois mois. L’histoire numéro 1 est sortie en juin 2012 et l’histoire numéro 9 en septembre 2014.

Crédit: Marie Maquaire


Chaque fanzine tourne autour d'un thème. Le rapport à la mère, Istanbul, la correspondance, la collection... Comment les thèmes apparaissent-ils? Décides-tu du thème avant d'écrire ou alors s'impose-t-il de lui même au fur et à mesure de la réalisation du fanzine? 
Mes thèmes arrivent souvent comme un déclic. Je suis très attentive au monde qui m’entoure. J’écoute les conversations, j’observe les gens. Je me nourris des villes que je visite, de celle où je vis, des gens que je croise et de ceux qui m’entourent. Mes lectures et les films que je regarde m'influencent aussi.
Y a-t-il des artistes ou des livres en particulier qui t'ont inspirée pour faire ce projet?
Oui, bien sûr! Ma plus grande inspiration reste Miranda July. J’adore ce qu’elle fait, l’énergie qu’elle met à le faire, son côté multidisciplinaire. Elle créé tout le temps, peu importe le médium. C’est la création et l’expérimentation qui sont importantes pour elle. Elle semble tout droit sortie d’un film de Wes Anderson. Chez lui, d'ailleurs, ce sont la fragmentation et l’unité visuelle qui m'inspirent pour mes zines. Même s’ils sont tous différents, on sait qu’ils sont des Shushanna.
Suzanne Jacob et Annie Ernaux sont deux références principales pour se raconter, raconter la famille, sortir le dedans, faire entrer le dehors, observer le réel. Il y a aussi Obom, Julie Doucet, la reine du fanzine, et puis Marie Darsigny, une jeune poète québécoise qui m’inspire beaucoup, depuis longtemps ! C’est elle, d'ailleurs, qui m’avait envoyé un zine par la poste.
Tu travailles avec le texte et avec l'image dans tes fanzines. Comment fonctionne la relation entre les deux médiums?
De manière générale, mes images n’illustrent jamais mon texte. Elles écrivent une histoire parallèle.
Je prends tout le temps des photos. Je me dis souvent «oh tiens, ça va finir dans un zine !». Je prends des notes aussi. Mais, de manière générale, lorsque je commence un nouveau zine, je commence par le texte. Ensuite, je choisis des photos et je commence à travailler sur la mise en page. Puis je retravaille le texte. En général, il reste peu de photographies de ma première sélection lors de la mise en page finale.
Pourquoi as-tu choisi d'imprimer tes fanzines en noir et blanc? 
J’aime beaucoup le noir et blanc à la base. Certains photographes ne travaillent qu’en noir et blanc et le résultat est fabuleux. Je pense tout particulièrement à Sebastiao Salgado. Mais le coût de l'impression est aussi une des raisons. L’idée du fanzine, c’est quand même d’imprimer le moins cher possible pour vendre le moins cher possible! Après, je m’amuse avec les textures et les couleurs du papier. Je rajoute toujours aussi des ornements : acétate, fil, tissu, dentelle, etc.
Et c'est toi qui t'occupes entièrement de la fabrication du livre? Est-ce une étape importante pour toi?
Je fais tout de A à Z, toute seule. Et c’est trippant. Je prends toutes mes décisions toute seule, à mon rythme. J’aime passer de la phase théorique, abstraite, à l'étape de la mise en page sur ordinateur, puis à la dernière étape, manuelle. Je fais toutes sortes de tests. Ensuite, quand je suis presque sure de moi, je les fais imprimer, puis je coupe les pages, je les plie, je les assemble, je les agrafe, j’ajoute des ornements sur les couvertures. Chaque fanzine est unique.
C'est ce que tu aimes dans l'auto-édition?
Oui, j’aime fabriquer mes propres zines. J’aime l’idée d’être capable de terminer un projet même s’il n’est pas parfait. J’aime livrer des fragments de moi sur des bouts de papier. J’aime faire partie de la gang des fanzineux ! J’aime faire des échanges de zines. Par dessus tout, j’aime écrire, et c’est par ce média que je livre mes textes pour le moment.
Le plus difficile, c’est la diffusion. C’est dur de faire son autopromotion. J’ai organisé neuf évènements pour les neuf histoires de Shushanna Bikini London. À chaque fois, j'ai invité d’autres artistes et, souvent, des musiciens. Ça demande beaucoup d’énergie. Faire la tournée des librairies aussi. Il faut passer régulièrement, vérifier les stocks, vérifier les abîmés, être assez présente pour qu'ils ne disparaissent pas au fond d’une étagère... Bref, tout faire tout seule est vraiment trippant, mais avoir une équipe de représentants, d'attachés de presse et autres serait pas mal aussi.

Lancement chez Monastiraki. Crédit: Julien Idrac


Te considères-tu comme une écrivain? une artiste? une photographe?
Une artiste oui. Une écrivaine, j’aurais du mal à le dire. Une auteure peut-être… Photographe, sans doute… J’aime jouer avec l’image. Je fais aussi de la vidéo. J’ai réalisé un clip vidéo dernièrement, en noir et blanc. Pour des raisons esthétiques, pas pour des questions de budget. Je travaille beaucoup à l’instinct mais je manque sûrement de technique.
Tu travailles sur des nouveaux projets de fanzine?
Après la neuvième histoire de Sushanna, j’ai invité d’autres personnes de mon entourage à participer à un zine collectif que j’ai monté : Alligator ou Crocodile ? L’aspect éditorial m’attire de plus en plus. J’ai aussi publié un nouveau zine complètement différent, Pourquoi les filles ont mal au ventre ? C’est un petit manifeste féministe, qui tient dans une poche. Il va continuer à vivre différemment, en anglais d’abord, puis possiblement en bande dessinée. Depuis quelques semaines, je travaille sur un nouveau zine, encore différent mais dans la lignée des histoires. Il s’agit des Listes de Shushanna…. Et j’adore ça !

Crédit: Lucile de Pesloüan