(anthologie permanente) Oskar Pastior, par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

Sur mon sommeil 
 
Avant quand je m’endormais venait le sommeil. Aujourd’hui, 
quand le sommeil vient, déjà je dors profondément. Le 
sommeil autrefois arrivait plus tard, aujourd’hui c’est plus tôt que je m’en 
 
dors. Et quand profondément je dors il arrive que le 
sommeil, quand il vient enfin, encore une fois me réveille, 
avant que je me rendorme profondément. Jadis c’était ainsi : 
 
je dormais et le sommeil venait. C’est seulement quand je m’é 
veillais qu’il disparaissait – un convive peu tranquille. 
Maintenant il vient et va un peu plus calmement pendant que je 
 
dors, parfois il est même là, quand je 
suis éveillé. Alors je me réveille et je vois qu’il est 
là. Le sommeil me trotte dans la tête, même 
 
maintenant, je ne peux m’endormir avant qu’il s’en aille : 
alors il devra bien revenir. Donc maintenant c’est différent comme 
avant. Il va et il vient, je suis éveillé et je 
 
dors. Beaucoup me trotte dans la tête de ce qui au 
contraire d’avant devient au sommeil de plus en plus 
étranger : lui aussi vient et va et même il m’éveille 
 
de ci de là tandis qu’en pensée je le vois som 
noler, avant que le sommeil arrive, cette intranquille tran 
quillité qui ne connaît aucun repos même quand je veille. 
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle. 
 
 
Über meinen Schlaf 
 
Früher, wenn ich einschlief, kam der Schlaf. Heute,  
wenn der Schlaf kommt, schlafe ich schon tief. Der  
Schlaf kam damals später, jetzt schlafe ich früher 
 
ein. Wenn ich tief schlafe, kommt es vor, daß der  
Schlaf, wenn er dann kommt, mich noch einmal weckt,  
bevor ich weiter tief schlafe. Früher war das so: 
 
ich schlief, und der Schlaf kam. Bloß wenn ich auf- 
wachte, war er wieder fort - ein unruhiger Gast.  
Jetzt kommt und geht er etwas ruhiger, während ich 
 
schlafe, und manchmal ist er plötzlich da, wenn ich  
wach bin. Dann wache ich auf und sehe, daß er da  
ist. Es geht mir der Schlaf durch den Kopf, auch 
 
jetzt, ich kann nicht einschlafen, bevor er geht:  
dann muß er wohl kommen. So ist es jetzt anders wie  
früher. Er kommt und er geht, ich bin wach und ich 
 
schlafe. Manches geht mir durch den Kopf, der im  
Unterschied zu früher dem Schlaf immer unähnlicher  
wird: auch er kommt und geht, auch er weckt mich 
 
hin und wieder, während ich denkend ihn schlafen se­- 
he, bevor der Schlaf kommt, diese beunruhigende Ru- 
he, die keinen Schlaf kennt, auch wenn ich wach bin. 
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. 
 
• 
 
Lourdingo 
 
À contre-coeur crânement né du savoir et technique : 
éteint par intermittence en prévision avancée de toute rela 
tion : quoi que tu fasses, fais-le dans une gamme gourde
 
n’oublie pas les grenouilles : même les tourbillons se perdent : 
offre évacuation à la graisse, sois précaution soy 
euse, si tu le peux, mais écoute bien ces bêtes 
 
conseils : la lune à sa manière n’a aucun app 
étit : cela nonobstant garde savon dans les oreilles, négl 
ige ton lit de clous, accroche-toi gauchement à chaque 
 
papier gris : si creusant circonvolution visqu 
euse du cerveau ton firmament clignote en bleu et jaune 
rouge ou multicolore, même assommé de métal – montre ce que 
 
tu ne sais pas faire et grumèle en multiples bourdes : 
briller tu le pourras ailleurs : de ton sous-développé mys 
tère ne fais pas de règle par cœur ni en coquilles 
 
d’œuf ne fabrique d’étau : roublafard sous un  
temps pourri tu le seras : fais-le dans la gamme err 
onée : ne refuse aucune gadoue, sois un humain 
 
gâchis en prévision du gourd : galvanisé comme 
pisseux de naissance, éteint par derrière, quoi que tu 
fasses : fais-le en gras pâteux, à contre-coeur et crânement. 
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle. 
 
 
Klumpatsch  
 
Ungern und forsch aus Technik und Wissen geboren:  
sprunghaft erloschen im Hinblick vor jeder Bezie-  
hung: was du auch tust, tu es im plumpen Bereich  
 
und denk an die Frösche: auch Wirbelstürme irren:  
gib dem Fett einen Auslauf, sei Vorsehung und Sei-  
de, wenn du kannst, doch gib acht auf diese dummen  
 
Ratschläge: der Mond auf seine Art hat keinen Appe-  
tit: habe dessenungeachtet Seife im Ohr, vernachläs-  
sige dein Nagelbett, greif ungeschickt nach jenem  
 
grauen Papier: wenn angesichts einer feuchten Ge-  
hirngrube dein Gestirn in Phasen geht, blau, gelb,  
rot und andersfarben, auch metall-blöde - zeig was  
 
du nicht kannst und klump dich breit auseinander:  
glühen kannst du noch immer: mach aus deinem unter-  
entwickelten Hehl keine Herzfaust und aus den Eier- 
 
schalen keinen Schraubstock: gescheitelt werden im  
dreckigen Wetter, das sollst du: tu es im falschen  
Bereich: scheu keinen Matsch, sei eine menschliche  
 
Enttäuschung in plumper Hinsicht: galvanisch und  
pieslig geboren, von der Seite erloschen, was du auch  
tust: tu es dick und klitschig, ungern und forsch.  
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980.  
 
• 
 
Testament – dans tous les cas 
 
Jalousies grand ouvertes, jalousies refermées. 
Jalouzies secouées, zoulousies zutcouées. 
Loulouzies musalées, coups de zoulous muselés. 
 
Malusines accoutumes, allusines recousues. 
Hasardidée aftermath, infalidé avtomat. A- 
fflumignon zalopé, alufleurion zenterré. 
 
Marmelodies saladées, marmeloïdes buzzalés. 
Peint en grand oh redépeint, destinoue oh destu 
toie. Centretoi oh CéVébref, cornefrire 
 
ouvrobrekt. Limoprimo chaloupsie, béné 
lalie espirance. Ma mou, amarilles off off. 
Boularmonium absalon, albuminium closalon. 
 
Nostradamul hanomag, lanatolior tuyo 
rosaj. Futusilior spiritiure, mutuna 
lie errehoulx. Céphalude gentiarne, zé 
 
phalide ichthyol. Rénalnébul huile de lion, 
charnières-V placarbalai. Porte à levier sel-C 
fondeur, aventiure abstrayonne. Stalagmisda 
 
obérome, virostratus gonflballon, yeahlopette 
courtisée, zoulalaïka kukumatz. Moulu zaufou, 
firmu fermferm,  musi zuté. Monté oh, zuma referme. 
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle. 
 
 
Testament - auf jeden Fall 
 
Jalusien aufgemacht, Jalusien zugemacht.  
Jaluzien aufgerauft, Zuluzien raufgezut.  
Luluzien zugemault, Zulustoßen zugemault. 
 
Maulusinen angenehm, Aulusinen zugenehm.  
Zufaliden aftamat, Infaliden aftamat. A- 
fluminion zugesaut, Aluflorion zugebart. 
 
Marmelodien zusalat, Marmeloiden busalat.  
Aufgemalt o aufgemalt, zugedaut o zuge- 
duzt. Duzentrum o Lepenslau, Hufenbruzen 
 
Openbrekt. Primolimes Heiferzocht, Bene- 
lalia Zuverzum. Ma mu, Amarilles off off.  
Bulamanium Absalom, Albumenium Zusalon. 
 
Nostradamul Hanomag, Lanatolior Gartem- 
slauch. Futusilior Abfallgeist, Mutuna- 
lia Pirrenholst. Zephaluden Enziaul, Ze- 
 
phaleden Ychtiol. Nebelnieren Lôwentran,  
V-Scharnieren Besenraum. Ebeltüren C-Streu- 
salz, Aventiuren Abstrahldom. Stalagmisda 
 
Oberom, Virostrato Luftballon, Jalopeten  
angemacht, Sulalaika Kukumatz. Mulu aufu,  
mulu zuzu, zuzu muz. Monte Ma o Monte Zu. 
 
 
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980.  
 
 
Ces poèmes m’ont rencontré lors d’un colloque sur la traduction expérimentale organisé par la fondation Oskar Pastior à Hombroich dans la Ruhr pour cette Pentecôte, fête printanière du don des langues. Herta Müller, seule romancière parmi les poètes invités, elle-même Allemande de Roumanie, a proposé de voir la langue désintégrée de son ami décédé comme une langue brisée par ses quatre années de goulag après la guerre. Elle a ensuite raconté des anecdotes parfois émouvantes. Ainsi il mangeait lentement et concentré comme si c’était son premier repas après la famine du camp. Ou il vivait chichement et grisement, ne dépensant rien de l’argent qu’il gagnait, le dédiant par testament à la fondation qui porte son nom, dédiée à la promotion de la litterature expérimentale ou à contraintes. Enfin elle a démonté une calomnie récente sur Pastior : obligé par la police secrète du dictateur Ceaucescu de devenir informateur sous peine de retourner en prison pour longtemps (son „crime“ permanent étant aussi d’être homosexuel), il n’a en fait rédigé que des rapports minimalistes inoffensifs puis s’est enfui à Berlin-Ouest. D’autre part il serait sans doute vain de chercher des allusions à l’expérience des camps dans les textes de Pastior, le poète expérimental Ulf Stolterfoht rappelle que ce qui affleure d’abord, ce sont plutôt l’intelligence des structures complexes - ainsi les anagrammes qu’il appréciait comme ses collègues du groupe Oulipo - et la joie de l’expérimentation (Experimentierfreudigkeit). La poète Elke Erb a suggéré que les étranges “traductions” de Pétrarque par Pastior – ou faudrait-il trouver un autre nom – avec ses multiples couches de réécriture qui s’autonomisent, étaient plus raffinées que les traductions conventionnelles existantes de l’Italien – qui évidemment n’ont pas le même but et recherchent une équivalence désirée exacte avec le texte original. Monika Rinck a fait entendre une œuvre rare posthume chez l’éditeur Urs Engeler : des “intonations” de Pastior transformant les syllabes de poèmes français de Baudelaire en sonorités allemandes, créant de nouveaux poèmes. Sissi Tax a décrit les expérimentations de Pastior dans ses processus de traduction, remémorant son travail commun avec lui pour trouver des recréations aux textes tantôt éclatés tantôt machiniques de la moderniste nord-américaine Gertrude Stein.  
Etaient invités aussi à lire en public Pastior dans d’autres langues : son traducteur roumain Horatiu Decuble - qui a signalé beaucoup de morphèmes roumains inaperçus dans les néologismes -, et moi-même pour l’anthologie chronologique et représentative en français Lectures avec Tinnitus (Editions Grèges, par une équipe de 7 traducteurs). Pas d’anglais car la poète-traductrice Rosmarie Waldrop n’a malheureusement pu venir des USA. 
Sur mon sommeil représente la facette sémantique au sérialisme kafkaïen, tandis que Klumpatsch offre à un clown métaphysique une liste de conseils absurdes aux refrains obsédants. Testament, qui à première vue ne traite pas de son titre, était un de ceux que Pastior lisait avec le plus de plaisir en public, insistant malicieusement sur le rythme chaloupé continué du premier vers et pausant pour surprises aux enjambements, déclinant son catalogue de néologismes qui frôle le non-sens (une autre de ses autres facettes). Le poète Oswald Egger a révélé que les jalousies dans les maisons de la Transylvanie d’enfance de Pastior n’étaient pas des stores à lamelles mais des sortes de contrevents : ainsi le mouvement du poème serait pour lui non des clins d’œil mais une ouverture-fermeture de fenêtre comme un cœur qui bat vers le monde. 
 
Oskar Pastior dans Poezibao
Extrait 1 
Biobibliographie 
 
 
Dossier réalisé par Jean-René Lassalle