Sur mon sommeil
Avant quand je m’endormais venait le sommeil. Aujourd’hui,
quand le sommeil vient, déjà je dors profondément. Le
sommeil autrefois arrivait plus tard, aujourd’hui c’est plus tôt que je m’en
dors. Et quand profondément je dors il arrive que le
sommeil, quand il vient enfin, encore une fois me réveille,
avant que je me rendorme profondément. Jadis c’était ainsi :
je dormais et le sommeil venait. C’est seulement quand je m’é
veillais qu’il disparaissait – un convive peu tranquille.
Maintenant il vient et va un peu plus calmement pendant que je
dors, parfois il est même là, quand je
suis éveillé. Alors je me réveille et je vois qu’il est
là. Le sommeil me trotte dans la tête, même
maintenant, je ne peux m’endormir avant qu’il s’en aille :
alors il devra bien revenir. Donc maintenant c’est différent comme
avant. Il va et il vient, je suis éveillé et je
dors. Beaucoup me trotte dans la tête de ce qui au
contraire d’avant devient au sommeil de plus en plus
étranger : lui aussi vient et va et même il m’éveille
de ci de là tandis qu’en pensée je le vois som
noler, avant que le sommeil arrive, cette intranquille tran
quillité qui ne connaît aucun repos même quand je veille.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Über meinen Schlaf
Früher, wenn ich einschlief, kam der Schlaf. Heute,
wenn der Schlaf kommt, schlafe ich schon tief. Der
Schlaf kam damals später, jetzt schlafe ich früher
ein. Wenn ich tief schlafe, kommt es vor, daß der
Schlaf, wenn er dann kommt, mich noch einmal weckt,
bevor ich weiter tief schlafe. Früher war das so:
ich schlief, und der Schlaf kam. Bloß wenn ich auf-
wachte, war er wieder fort - ein unruhiger Gast.
Jetzt kommt und geht er etwas ruhiger, während ich
schlafe, und manchmal ist er plötzlich da, wenn ich
wach bin. Dann wache ich auf und sehe, daß er da
ist. Es geht mir der Schlaf durch den Kopf, auch
jetzt, ich kann nicht einschlafen, bevor er geht:
dann muß er wohl kommen. So ist es jetzt anders wie
früher. Er kommt und er geht, ich bin wach und ich
schlafe. Manches geht mir durch den Kopf, der im
Unterschied zu früher dem Schlaf immer unähnlicher
wird: auch er kommt und geht, auch er weckt mich
hin und wieder, während ich denkend ihn schlafen se-
he, bevor der Schlaf kommt, diese beunruhigende Ru-
he, die keinen Schlaf kennt, auch wenn ich wach bin.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980.
•
Lourdingo
À contre-coeur crânement né du savoir et technique :
éteint par intermittence en prévision avancée de toute rela
tion : quoi que tu fasses, fais-le dans une gamme gourde
n’oublie pas les grenouilles : même les tourbillons se perdent :
offre évacuation à la graisse, sois précaution soy
euse, si tu le peux, mais écoute bien ces bêtes
conseils : la lune à sa manière n’a aucun app
étit : cela nonobstant garde savon dans les oreilles, négl
ige ton lit de clous, accroche-toi gauchement à chaque
papier gris : si creusant circonvolution visqu
euse du cerveau ton firmament clignote en bleu et jaune
rouge ou multicolore, même assommé de métal – montre ce que
tu ne sais pas faire et grumèle en multiples bourdes :
briller tu le pourras ailleurs : de ton sous-développé mys
tère ne fais pas de règle par cœur ni en coquilles
d’œuf ne fabrique d’étau : roublafard sous un
temps pourri tu le seras : fais-le dans la gamme err
onée : ne refuse aucune gadoue, sois un humain
gâchis en prévision du gourd : galvanisé comme
pisseux de naissance, éteint par derrière, quoi que tu
fasses : fais-le en gras pâteux, à contre-coeur et crânement.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Klumpatsch
Ungern und forsch aus Technik und Wissen geboren:
sprunghaft erloschen im Hinblick vor jeder Bezie-
hung: was du auch tust, tu es im plumpen Bereich
und denk an die Frösche: auch Wirbelstürme irren:
gib dem Fett einen Auslauf, sei Vorsehung und Sei-
de, wenn du kannst, doch gib acht auf diese dummen
Ratschläge: der Mond auf seine Art hat keinen Appe-
tit: habe dessenungeachtet Seife im Ohr, vernachläs-
sige dein Nagelbett, greif ungeschickt nach jenem
grauen Papier: wenn angesichts einer feuchten Ge-
hirngrube dein Gestirn in Phasen geht, blau, gelb,
rot und andersfarben, auch metall-blöde - zeig was
du nicht kannst und klump dich breit auseinander:
glühen kannst du noch immer: mach aus deinem unter-
entwickelten Hehl keine Herzfaust und aus den Eier-
schalen keinen Schraubstock: gescheitelt werden im
dreckigen Wetter, das sollst du: tu es im falschen
Bereich: scheu keinen Matsch, sei eine menschliche
Enttäuschung in plumper Hinsicht: galvanisch und
pieslig geboren, von der Seite erloschen, was du auch
tust: tu es dick und klitschig, ungern und forsch.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980.
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Testament – dans tous les cas
Jalousies grand ouvertes, jalousies refermées.
Jalouzies secouées, zoulousies zutcouées.
Loulouzies musalées, coups de zoulous muselés.
Malusines accoutumes, allusines recousues.
Hasardidée aftermath, infalidé avtomat. A-
fflumignon zalopé, alufleurion zenterré.
Marmelodies saladées, marmeloïdes buzzalés.
Peint en grand oh redépeint, destinoue oh destu
toie. Centretoi oh CéVébref, cornefrire
ouvrobrekt. Limoprimo chaloupsie, béné
lalie espirance. Ma mou, amarilles off off.
Boularmonium absalon, albuminium closalon.
Nostradamul hanomag, lanatolior tuyo
rosaj. Futusilior spiritiure, mutuna
lie errehoulx. Céphalude gentiarne, zé
phalide ichthyol. Rénalnébul huile de lion,
charnières-V placarbalai. Porte à levier sel-C
fondeur, aventiure abstrayonne. Stalagmisda
obérome, virostratus gonflballon, yeahlopette
courtisée, zoulalaïka kukumatz. Moulu zaufou,
firmu fermferm, musi zuté. Monté oh, zuma referme.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Testament - auf jeden Fall
Jalusien aufgemacht, Jalusien zugemacht.
Jaluzien aufgerauft, Zuluzien raufgezut.
Luluzien zugemault, Zulustoßen zugemault.
Maulusinen angenehm, Aulusinen zugenehm.
Zufaliden aftamat, Infaliden aftamat. A-
fluminion zugesaut, Aluflorion zugebart.
Marmelodien zusalat, Marmeloiden busalat.
Aufgemalt o aufgemalt, zugedaut o zuge-
duzt. Duzentrum o Lepenslau, Hufenbruzen
Openbrekt. Primolimes Heiferzocht, Bene-
lalia Zuverzum. Ma mu, Amarilles off off.
Bulamanium Absalom, Albumenium Zusalon.
Nostradamul Hanomag, Lanatolior Gartem-
slauch. Futusilior Abfallgeist, Mutuna-
lia Pirrenholst. Zephaluden Enziaul, Ze-
phaleden Ychtiol. Nebelnieren Lôwentran,
V-Scharnieren Besenraum. Ebeltüren C-Streu-
salz, Aventiuren Abstrahldom. Stalagmisda
Oberom, Virostrato Luftballon, Jalopeten
angemacht, Sulalaika Kukumatz. Mulu aufu,
mulu zuzu, zuzu muz. Monte Ma o Monte Zu.
Extrait de : Oskar Pastior : Wechselbalg, Ramm 1980.
Ces poèmes m’ont rencontré lors d’un colloque sur la traduction expérimentale organisé par la fondation Oskar Pastior à Hombroich dans la Ruhr pour cette Pentecôte, fête printanière du don des langues. Herta Müller, seule romancière parmi les poètes invités, elle-même Allemande de Roumanie, a proposé de voir la langue désintégrée de son ami décédé comme une langue brisée par ses quatre années de goulag après la guerre. Elle a ensuite raconté des anecdotes parfois émouvantes. Ainsi il mangeait lentement et concentré comme si c’était son premier repas après la famine du camp. Ou il vivait chichement et grisement, ne dépensant rien de l’argent qu’il gagnait, le dédiant par testament à la fondation qui porte son nom, dédiée à la promotion de la litterature expérimentale ou à contraintes. Enfin elle a démonté une calomnie récente sur Pastior : obligé par la police secrète du dictateur Ceaucescu de devenir informateur sous peine de retourner en prison pour longtemps (son „crime“ permanent étant aussi d’être homosexuel), il n’a en fait rédigé que des rapports minimalistes inoffensifs puis s’est enfui à Berlin-Ouest. D’autre part il serait sans doute vain de chercher des allusions à l’expérience des camps dans les textes de Pastior, le poète expérimental Ulf Stolterfoht rappelle que ce qui affleure d’abord, ce sont plutôt l’intelligence des structures complexes - ainsi les anagrammes qu’il appréciait comme ses collègues du groupe Oulipo - et la joie de l’expérimentation (Experimentierfreudigkeit). La poète Elke Erb a suggéré que les étranges “traductions” de Pétrarque par Pastior – ou faudrait-il trouver un autre nom – avec ses multiples couches de réécriture qui s’autonomisent, étaient plus raffinées que les traductions conventionnelles existantes de l’Italien – qui évidemment n’ont pas le même but et recherchent une équivalence désirée exacte avec le texte original. Monika Rinck a fait entendre une œuvre rare posthume chez l’éditeur Urs Engeler : des “intonations” de Pastior transformant les syllabes de poèmes français de Baudelaire en sonorités allemandes, créant de nouveaux poèmes. Sissi Tax a décrit les expérimentations de Pastior dans ses processus de traduction, remémorant son travail commun avec lui pour trouver des recréations aux textes tantôt éclatés tantôt machiniques de la moderniste nord-américaine Gertrude Stein.
Etaient invités aussi à lire en public Pastior dans d’autres langues : son traducteur roumain Horatiu Decuble - qui a signalé beaucoup de morphèmes roumains inaperçus dans les néologismes -, et moi-même pour l’anthologie chronologique et représentative en français Lectures avec Tinnitus (Editions Grèges, par une équipe de 7 traducteurs). Pas d’anglais car la poète-traductrice Rosmarie Waldrop n’a malheureusement pu venir des USA.
Sur mon sommeil représente la facette sémantique au sérialisme kafkaïen, tandis que Klumpatsch offre à un clown métaphysique une liste de conseils absurdes aux refrains obsédants. Testament, qui à première vue ne traite pas de son titre, était un de ceux que Pastior lisait avec le plus de plaisir en public, insistant malicieusement sur le rythme chaloupé continué du premier vers et pausant pour surprises aux enjambements, déclinant son catalogue de néologismes qui frôle le non-sens (une autre de ses autres facettes). Le poète Oswald Egger a révélé que les jalousies dans les maisons de la Transylvanie d’enfance de Pastior n’étaient pas des stores à lamelles mais des sortes de contrevents : ainsi le mouvement du poème serait pour lui non des clins d’œil mais une ouverture-fermeture de fenêtre comme un cœur qui bat vers le monde.
Oskar Pastior dans Poezibao :
Extrait 1
Biobibliographie
Dossier réalisé par Jean-René Lassalle