L'épisode de la N.R.F. souligne la volonté de Drieu de jouer un rôle d'intermédiaire entre les intellectuels français et les autorités allemandes. Il s'agit pour lui d'essayer de rallier à la Collaboration des figures marquantes de l'esprit français. Pour les Allemands, l'intérêt est de montrer que le IIIe Reich sait respecter la culture de grands pays, à ce titre le sort de la France de l'époque ne peut être comparé à celui de la malheureuse Pologne ; une Pologne domptée, une Pologne dépecée, une Pologne martyrisée, pour adopter le style ternaire cher au général de Gaulle.
Mais le véritable ressort de son adhésion à l'idéologie de la Collaboration tend à l'intuition qui est la sienne que seule l'union de l'Allemagne et de la France peut permettre à l'Europe d'échapper à la décadence, cette union leur permettrait d'être de surcroît le pendant à la Russie stalinienne.
Serra dit avec beaucoup de justesse qu'il est, je cite :
" [...] victime de l'impuissance flaubertienne [cf. L'Éducation sentimentale] : un homme qui ne savait pas, comme Aragon, se plonger dans la foi idéologico-amoureuse ; et qui ne pouvait, comme Malraux, porter aux nues la vertu révolutionnaire de Saint-Just, le totalitarisme impitoyable ... "
Pourtant l'image que l'on aimerait pouvoir garder de Drieu La Rochelle, à la personnalité si contrastée, c'est celle qui subsiste dans l'esprit de " Malraux [...] qui affirmait encore, au soir de sa vie : c'était l'un des êtres les plus nobles que j'ai rencontrés ".
Et ne peut-on voir de la noblesse, une noblesse de vaincus, dans son suicide même évoqué par Jean-Marie Rouart dans un essai (3) ? Une façon de tirer la conclusion d'une existence que la mort avait transformée en destin, formule malrucienne, qui était, je vous l'accorde, de portée plus générale.
> André MalrauxLes femmes ont joué un grand rôle dans la vie d'André Malraux. Ainsi dès 1920 il a la chance de rencontrer une étudiante de bonne famille, Clara Goldschmidt, qu'il épousera l'année suivante. La belle-famille est très riche, mais Malraux ne tardera pas à ruiner sa femme qu'il entraînera en Asie où ils auront maille à partie avec la justice khmer après l'épisode de vols de statuts statues. A celle qui deviendra Clara Malraux, il confiera un jour où elle devait être particulièrement inquiète :
" Il ne faut pas vous désespérer, je finirai bien par être Gabriele d'Annunzio "
elle, de manière plus réaliste, écrira dans Nos Vingt ans quelque chose de très juste et qui résume d'un raccourci la personnalité de Malraux :
" Contre l'humiliation de l'enfance - vraie ou fausse - même l'admiration passionnée d'un être [...] se revèle insuffisante. Il lui fallait [...] des embellissements pathétiques "
On peut penser à d'autres " embellissements pathétiques ", ceux de Saint-John Perse dans sa biographie!
Au soir de sa vie Malraux épousera Louise de Vilmorin (1902-1969) qui déclarera avec beaucoup d'humour être ... Marilyn Malraux! Voilà l'auteur de La Condition humaine (1933) résumé par deux femmes d'exception.
Plus profondément, Malraux est un écrivain engagé tel que le théorisera Jean-Paul Sartre en 1948 dans son essai Qu'est-ce que la littérature? Beaucoup l'ont considéré à la fin des années trente comme un "compagnon de route" du parti communiste. Son engagement dans la guerre d'Espagne est connu, il lui servira à écrire L'Espoir (1937), un autre de ses grands romans. Pour autant, estime Maurizio Serra, il a sans doute exagéré son rôle de commandant d'une escadrille des Brigades Internationales qu'il leva pour contrer l'aviation allemande. Plus efficace aura été son action auprès de Pierre Cot, ministre du Front Populaire, pour impliquer davantage que ne le voulait Léon Blum la France dans l'aide aux Républicains espagnols ; en ce sens on peut sans doute parler de lobbying.
Son grand regret aura été de n'avoir pu mener à terme le grand livre sur la Résistance qu'il projetait d'écrire. L'oraison funèbre de Jean Moulin prononcée à l'occasion du transfert des cendres du chef de l'armée des ombres au Panthéon, en 1964, est un modèle du genre (4) et laisse à penser ce qu'une histoire romancée de la Résistance écrite par Malraux aurait pu donner.
Quelqu'un a dit que sur sa tombe pourraient figurer deux plaques funéraires : André Malraux 1901-1947, André Malraux 1947-1976.
(1) je reprends le titre d'un article de Bruno de Cessole extrait de " Service Littéraire ", n° 7, avril 2008
(2) Dominique Desanti, Drieu la Rochelle, du dandy au nazi, Flammarion, 1978
(3) Jean-Marie Rouart, Ils ont choisi la nuit, Grasset, 1985
(4) André Malraux, Oraisons funèbres, Gallimard, 1971
À propos de mfrontere
Vous en une ligneNé près des rives de la Méditerranée, je me sens des affinités particulières avec les gens qui vivent le long de l'ancienne Via Domitia romaine, quelque part entre Rome et BarceloneBiographieNé à Béziers (Hérault) dans une famille ouvrière de quatre enfants, père : maçon, mère au foyer, dont je suis le 3ème, je vis dans le sud de la France Cadre en relation avec la vie des collectivités locales, je suis titulaire des diplômes suivants : - jusqu'au baccalauréat : certificat d'études primaires élémentaires (1968) ; brevet d'études du premier cycle du second degré (B.E.P.C., 1971) ; baccalauréat de l'enseignement du second degré, série philosophie-lettres, diplôme obtenu avec mention du jury (1975) - universitaires : * Diplôme de l'Institut d'études politiques (I.E.P.) de Grenoble-II (Université Pierre Mendès France), section politique et sociale (octobre 1982) * Diplôme d'études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) en administration économique et sociale, option administration locale, de l'Université Paris-XII, diplôme obtenu avec mention du jury (novembre 1986) * Licence de lettres, option "lettres modernes", de Montpellier-III (Université Paul Valéry, mai 2006) Je prépare actuellement le master (anciennement maîtrise) de "Littératures française et comparée" Réussite examens et concours : - concours de l'Ecole normale d'instituteurs de Montpellier, 1971 (j'ai démissionné de l'Education Nationale pour reprendre mes études à l'Université) - examen professionnel d'attaché principal territorial, reçu avec mention du jury (1991) - rapports et études : "Le contrat insertion - revenu minimum d'activité : étude de mise en oeuvre dans le Gard et perspectives" (2004) ; "Un mécanisme précurseur de la décentralisation : le fonds départemental d'équipement des communes (F.D.E.C.) dans la Nièvre" (1986) Pour soutenir le journal, je suis actionnaire de la Société des Lecteurs du "Monde" et de son groupe de presse "LMPA" (Le Monde Partenaires Associés) Avertissement : 1/ Le blog "fragments.fr" © est hébergé sur le site du quotidien "Le Monde" 80 boulevard Auguste-Blanqui 75707 Paris Cedex 13 ; les articles, opinions et points de vue exprimés sur ce blog ne sauraient en aucun cas engager la rédaction du journal ni la responsabilité du "Monde" 2/ Les photos et extraits d'oeuvres publiés sur ce site, qui ne sont pas de mon fait, sont réputés avoir acquis un caractère public. Si vous êtes un ayant-droit d'une de ces photos - ou de l'une de ces oeuvres - et que vous ne souhaitez pas qu'elle apparaisse sur mon blog, merci de me l'indiquer par e-mail. Je la retirerai à réception de votre message ; ce site entend en effet se conformer aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L.111-1 et L.122-4 Le même principe vaut pour les sites auxquels renvoient les liens hypertextes 3/ Conformément à l'article 6.IV 1er alinéa de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, les personnes qui s'estimeraient mises en cause sur ce blog bénéficient d'un droit de réponse que je leur propose d'exercer selon des modalités à définir en commun 4/ Certains liens hypertextes sont susceptibles de ne plus fonctionner correctement après un certain temps Centres d'intérêtJ'aime la littérature (Walter Benjamin, Balzac, Valéry Larbaud, Patrick Modiano, Alberto Moravia), et surtout la poésie ; j'aime aussi les Chinoises ; Emmanuelle Béart ; Alain Bashung que j'ai vu trois fois en concert en 2004 (Théâtre de Nîmes, Printemps de Bourges et Paris, salle de l'Elysée-Montmartre) ; William Sheller ; les traités de ponctuation