Mourir et vivre d'Amour, avec Mélanie Chappuis, Doris Sergy et Alain Porchet

Publié le 08 juin 2015 par Francisrichard @francisrichard

(Photos de Samuel Rubio)

31 mai 2015, au milieu d'une douce après-midi printanière, à Genève.

La quatorzième édition du festival Fureur de lire 2015 touche à sa fin. Une des dernières lectures est une lecture musicale, énamourée... Elle a lieu à L'Abri, place de la Madeleine, ancien abri anti-aérien, réalisé dans les années 1940 et transformé en centre culturel pour jeunes talents. Il y fait frais ce jour-là...

Les textes de Mourir et vivre d'amour sont de Mélanie Chappuis, extraits de ses livres, Frida, Des baisers froids comme la lune, Maculée conception, L'empreinte amoureuse, ou inédits, écrits pour l'occasion. Les musiques sont des airs d'opéra, interprétés par la soprano Doris Sergy et, au piano, par Alain Porchet.

Les cent vingt places de la salle de spectacle sont vite occupées. Il faut aller chercher d'autres chaises. Certains spectateurs, arrivés juste à l'heure, doivent faire bon coeur contre  mauvaise fortune de rester debout. Le spectacle peut commencer dans une salle à l'acoustique... anti-aérienne.

Mélanie Chappuis s'est installée à une table. Devant elle, un laptop, sur le clavier duquel, quand elle ne lit pas, elle joue avec les touches de caractères, qui crépitent, tandis qu'à l'autre bout de la pièce, Alain Porchet joue avec les touches de notes d'un autre clavier, celui de son piano.

Doris Sergy fait le lien entre ces deux mondes de la musique et de la littérature, en ayant choisi de courts extraits d'arias de Verdi, Puccini, Mozart, Cilea, Purcell, Bizet, Haendel, Donizetti, Chabrier, Berlioz, Gershwin, qui correspondent le mieux aux textes et en jouant de cet autre instrument qu'est sa voix, qu'elle sait adapter à l'inadéquation des lieux. 

(Photos de Samuel Rubio)

La mort et l'amour ont non seulement des consonances entre eux, mais se côtoient et se frôlent dans une sorte de frénésie sensuelle. La souffrance n'est jamais bien loin, qui précède souvent l'une, si elle est inséparable de l'autre, le cerne et lui apporte sa sève.

Qu'il s'agisse des textes de Mélanie Chappuis, qui font pénétrer dans l'intimité des amants, jusque dans leur petite mort, ou des arias, qui proclament tout haut leurs émois, ces thèmes de l'amour et de la mort, de la mort et de l'amour, indissolublement liés, sont inépuisables.

Dans les textes de Mélanie Chappuis, le tragique de l'amour est bien présent:

"Surtout ne te console pas avec l'espoir. L'espoir ne fait que prolonger l'agonie."

"C'est trop difficile pour une morte de prétendre être vivante."

"Quand on aime on préfère souffrir d'aimer que de ne plus aimer."

Mais il ne l'est pas moins dans les arias, choisies pour leur correspondance avec eux. N'est-il pas question de supplier Dieu dans Pace, pace, mio Dio, extrait de La Forza del Destino de Verdi, d'espoir illusoire dans Un bel di vedremo, extrait de Madame Butterfly de Puccini ou d'arracher le coeur au traître dans Ah! Chi mi dice mai, extrait de Don Giovanni de Mozart?

Le frôlement entre mort et amour se retrouve dans Quando men vo, extrait de La Bohême de Puccini et dans Poveri Fiori, extrait d'Adriana Lecouvreur de Cilea, qui se termine par "bacio di morte, bacio d'amor"...

Aussi Doris a-t-elle demandé à Mélanie de compenser quelque peu ce tragique par un zeste de comédie. Et c'est ainsi qu'elle évoque cet amant qui, "lorsqu'il a froid aux pieds et que ça l'empêche de dormir", "enfile une grosse paire de chaussettes"...

Dans un autre texte, elle donne la parole à un amant qui se remémore poétiquement sa belle: "Je ne pensais qu'à la prendre et la reprendre. J'aurais aimé la surprendre aussi...".

Et, dans un autre texte, dionysiaque, une femme ouvre ses fenêtres sur le printemps et cela lui donne des idées, si j'ose:

"Il fait beau, j'ai envie de plonger dans un homme, je suis chaude comme le soleil, fébrile d'attente bien récompensée, j'ai envie de salsa et de musique brésilienne, je me sens chienne en chaleur, ça ne se fait pas de se sentir comme ça, c'en est encore meilleur."

(Photos de Samuel Rubio)

"L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde"

Comment ne pas songer à ce vers de Paul Verlaine en voyant et en écoutant ces deux belles femmes, complices, Doris et Mélanie, qu'opposent pourtant le physique et la voix. Car il y a de la puissance dans la voix de soprano de Doris et de la fragilité dans celle de Mélanie, ce qui ne nuit pas, au contraire, à sa tessiture.

Mélanie est tout aussi sensuelle que son amie Doris. Mélanie sait allonger langoureusement, de côté, son bras gauche bien à plat sur la table, tout en lisant, Doris sait enfiler une paire de chaussures rouges à talons aiguille avec une gestuelle bien charmante tout en chantant...

Mélanie et Doris sont devenues amies en préparant cette représentation artistique d'un haut niveau. Aussi les spectateurs ne sont-ils pas autrement surpris qu'elles s'étreignent à l'issue de ce bonheur partagé pendant une petite heure. Aussi les spectateurs, conquis, leur réservent-ils une ovation qui dure cinq bonnes minutes...

Ce spectacle est une réussite incroyable: il n'a pas souffert le moins du monde du peu de temps consacré à sa préparation. C'est dû, bien sûr, à la bonne entente qui règne entre Mélanie, Doris et Alain, et à leur talent, mais aussi à la qualité des textes choisis par Mélanie et à celle des arias choisies par Doris, qui, entre parenthèses, montre, comme Alain d'ailleurs, toute l'étendue de son répertoire musical.

Il est donc souhaitable que le trio ne se contente pas de ce coup d'essai qui fut un coup de maître et qu'il en fasse profiter bientôt d'autres amateurs de littérature et de musique, en d'autres lieux, en d'autres temps.

Francis Richard