Fin mai 2015, le magazine How Africa a publié un article intitulé «L’Afrique s’apprête à lancer une zone de libre-échange (ZLE) plus grande que l'Union européenne ou l'ALENA». Le lancement de ce projet est prévu lors du sommet tripartite des chefs d'État et de gouvernements le 10 juin prochain à Charm El-Cheikh en Égypte. Elle serait composée de 26 États. Ce serait le plus grand bloc économique en Afrique, ce qui ouvrirait probablement la voie à la création d’une Zone de libre-échange continentale (CFTA) en 2017. Lorsque ce projet va être opérationnel, il créera un marché de plus de 600 millions de personnes. Cette grande ZLE est une idée louable, mais plusieurs défis sont à relever pour réussir l’émergence d’un si grand bloc économique.
L'Institut américain basé à Brookings soutient que 58% de l'activité économique de l'Afrique devrait être couverte par ce pacte, ce qui représente plus de 1 billion de dollars en produit intérieur brut (PIB). En cas de succès, un tel projet permettrait la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux à travers toute l'Afrique. Perspectives très alléchantes, mais pour en profiter plusieurs obstacles doivent être surmontés.
En effet, plusieurs États de l'Afrique centrale comme le Tchad, le Cameroun et la Guinée équatoriale sont encore aux prises avec des questions telles que la protection des droits des investisseurs, l'exécution des contrats, l’opacité des marchés publics, l’état de droit et les droits de propriété. Ce sont des éléments fondamentaux à la création de marchés libres. Selon le rapport Doing Business de 2014, les États de la région de l'Afrique centrale comme le Tchad et le Cameroun sont encore en retard au niveau de ces indicateurs. Les statistiques émanant du Fonds monétaire international (FMI) indiquent que le Soudan du Sud et l'Afrique centrale enregistrent de faibles scores en matière de droits des affaires et des droits de propriété. Ces faiblesses peuvent retarder la création de la plus grande zone économique sur le continent.
Notons également que le protectionnisme commercial des États reste un handicape majeur à l’émergence de marchés libres en Afrique. Il y a encore beaucoup de barrières tarifaires et non-tarifaires qui entravent la libre circulation des biens et de services entre les États africains. Par exemple les statistiques du FMI et de la Banque mondiale montrent que les États de la région d'Afrique centrale comme le Tchad, le Cameroun, le Gabon et la Guinée Équatoriale affichent une grande rigidité commerciale au niveau des procédures douanières ainsi que des barrières élevées à l’entrée, ce qui entrave la fluidité du commerce intra-africain.
Les États en Afrique occidentale et centrale sont touchés par l'inflation. Selon le rapport Doing Business 2014, des pays comme le Tchad et la Guinée équatoriale ont encore une politique monétaire aléatoire et qui ne garantit pas l'indépendance de la banque centrale des autorités politiques. Cela bien évidemment ouvre la porte à la manipulation de la monnaie à des fins politiques, créant de l’incertitude pour les opérateurs économiques et augmentant le risque d’investissement.
Aussi, les obstacles logistiques restent un gros problème sur le continent africain qu’il va falloir résoudre pour ne pas retarder la réalisation d'une ZLE Selon la Banque africaine de développement (BAD). De nombreux États comme le Bénin, le Mali et la Gambie ne disposent pas d'infrastructures suffisantes quantitativement et qualitativement. Ces lacunes augmentent les coûts des transactions et découragent le commerce. Les besoins en infrastructures en Afrique sont estimés à 93 milliards de dollars chaque année.
Enfin, l’absence de stabilités politique et sociale menace les flux des échanges libres. Il y a encore des conflits au Sud-Soudan, et dans certaines parties de la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Récemment l’Afrique du Sud a connu une vague d'attaques xénophobes. Le Burundi a récemment été plongé dans la tourmente suite à la volonté du président de briguer un nouveau mandat présidentiel contrairement aux dispositions de la constitution.
Face à tous ces défis, il est donc nécessaire d’entreprendre des réformes structurelles si l’Afrique veut réussir son défi du libre-échange. Cela passe d’abord par une réforme profonde des constitutions, de l’appareil judiciaire et des lois destinées à protéger les droits de propriété, consolider l’état de droit et fluidifier l'exécution des contrats, ce qui rassurera davantage les ménages et les entreprises sur leurs épargnes, leurs biens et leurs investissements, les incitant ainsi à participer à la dynamique qui sera impulsée par la grande zone économique envisagée. En outre, si les droits des investisseurs sont protégés par la Constitution et une législation efficace, cela leur donnera confiance et permettra de booster les flux d’investissements et des échanges entre les pays africains.
Le protectionnisme de l'État doit être démantelé pour laisser les marchés libres fonctionner efficacement et allouer les ressources rares vers leurs meilleurs usages. Les barrières commerciales et tarifaires doivent être diminuées voire abolies, dans le cadre d’une approche de concertation et de réciprocité pour permettre aux biens « made in Africa » de retrouver leur vraie compétitivité par rapport aux produits étrangers. Parallèlement, l'intervention de l'État dans l'économie devrait être limitée en donnant plus de liberté économique aux individus de consommer, de produire, et d’échanger.
Juguler la volatilité de l'inflation est fondamentale pour préserver les termes de l’échange et sauvegarder la valeur des actifs, du patrimoine et des investissements. D'où la nécessité de mettre en place des politiques monétaires saines et garantir constitutionnellement l'indépendance de la banque centrale et donc la politique monétaire par rapport à la sphère politique. Plusieurs États africains doivent concevoir des projets communs afin d’augmenter l’offre d’infrastructures et en améliorer la qualité. La mutualisation des investissements dans des zones logistiques pourrait être une solution intéressante pour les pays africains afin de relever le défi du financement. Enfin, il est vital pour les gouvernements africains de renforcer la sécurité et la stabilité politique et sociale en luttant efficacement contre la criminalité et le terrorisme. Aujourd’hui, les conflits ont une dimension régionale, et il devient donc nécessaire de mettre en place une coopération entre les pays africains afin de juguler ces problèmes de manière plus efficace.
Somme toute, le rêve de voir l’Afrique commercer avec l’Afrique n’est pas impossible, mais il faut à la fois une volonté politique solide, une participation des entrepreneurs et de la société civile, et une coopération entre tous les états, pour réussir les réformes structurelles nécessaires à une zone de libre échange en Afrique.
Chofor Che, analyste pour Libreafrique.org. Le 8 juin 2015