« Ce qui reste de nos vies »
SHALEV Zeruya
(Gallimard)
Hemda, la vieille dame, atteint au terme de sa vie. Ses deux enfants se relaient à son chevet. Comme à regret pour Dina, sa fille. Dans une relation marquée du sceau de l’affection avec Avner, son fils. C’est du moins ce que laissent croire les premières pages de ce roman. Car si la vielle dame s’en revient de manière récurrente dans le récit, ce sont bien Dina et Zarev qui occupent le devant de la scène. Dina, universitaire, frustrée tant dans sa vie de couple que dans son parcours professionnel, et qui se prend tout-à-coup à rêver d’adopter un enfant. Alors qu’elle est mariée, que son couple bat de l’aile, que sa fille unique, adolescente, entre en conflit avec elle. Zarev, lui, est avocat, ancré à gauche. Il s’est spécialisé dans la défense des Bédouins, ce qui lui a valu d’atteindre à la notoriété avant que, guerres israélo-palestiniennes obligent, il ne devienne suspect de complaisance à l’égard des « terroristes » palestiniens. Marié lui aussi. Une union en voie de dépérissement elle aussi.
Le Lecteur fut donc convié à s’installer dans l’intimité de chacune des familles dont les cheminements chaotiques sont en quelque sorte racontés par la sœur et le frère. Avec comme filigrane les bouleversements qui affectent la société israélienne. Hemda vécut le temps du kibboutz, cette forme « socialiste » de vie collective au sein de laquelle la famille n’avait pas d’existence. (« A la différence du kibboutz, entité spongieuse et englobante qui prenait et donnait, la ville lui avait toujours paru fermée à la négociation… ») Sa descendance, plutôt privilégiée, vit sur le modèle « individuel » de la construction familiale. Dans un pays, Israël, où le poids du religieux est loin d’être négligeable et où les tensions avec les populations d’origine arabe sont palpables.
Que reste-t-il de leurs vies ? Que reste-t-il de leurs vies dans une société qui n’accorde que peu de place à ce qui pourrait ressembler à quelques miettes d’espoir ? « C’est au seuil de la mort qu’ils cesseront d’être des mortels, au moment de rendre l’âme, ils se métamorphoseront en dieux, du ciel leur arrivera un savoir secret, ils lâcheront le passé pour attraper l’avenir… ». Le Lecteur a parcouru ce roman-ci comme s’il lisait un très long acte de décès du rêve israélien. Zeruya Shalev laisse entrevoir au fil des pages une réalité non conforme aux clichés, celle d’un pays dont il est impossible de s’extraire, de s’exiler, voire même de s’abstraire. Parfois passionné, toujours curieux, en dépit des redondances et de ce qui lui a parfois paru relever d’inutiles longueurs.