On se doute depuis longtemps que la folie est la plus active des muses de Sufjan Stevens. Ses projets cinglés (Enjoy Your Rabbit, The BQE) et albums mégalomanes (Michigan, Illinois) ont toujours marché, équilibristes passionnants, sur le fil ténu séparant le génie de la déraison. Le garçon avait d’ailleurs officiellement fait de la démence le moteur du précédent, complexe et grandiloquent The Age of Adz, inspiré par les visions furieuses de l’outsider artist “Prophet” Royal Robertson.
A la première écoute, Carrie & Lowell semble en être le parfait contre-pied. Un retour aux sources folk et cristallines de Stevens, songwriter majeur du siècle. Onze morceaux à la beauté désarmante et à la mélancolie pétrifiante, enregistrés dans une infinie simplicité – on entend souvent le climatiseur ronronner derrière les arrangements nus de l’Américain.
Un retour au folk pour un retour à la raison ? Pas vraiment. Quiconque a lu les rares interviews récemment données par le garçon, quiconque a décrypté la poésie sombre de ses textes sait que, sous sa surface sensée, Carrie & Lowell est peut-être l’album le plus fou de Sufjan Stevens. Le plus fou car l’Américain dit tout de lui, sans aucun filtre : sinon brut, son art est ici brutal.
Sans distance, il raconte le désordre d’une enfance rigide, chaotique, religieuse, aux joies apparemment rares. Il évoque les moments doux-amers qu’il a passés dans sa famille recomposée, dysfonctionnelle, pas toujours heureuse et souvent fauchée comme les blés, en Oregon. Sans fard, il parle surtout de l’absence de sa mère, Carrie, dépressive et instable, souffrant d’addictions destructrices et qui a quitté le foyer familial alors que Stevens n’était encore qu’un gamin.
Sur Death with Dignity, sur Fourth of July, l’une des plus belles chansons qu’il ait jamais écrites, sur No Shade in the Shadow of a Cross, l’Américain raconte la mort de Carrie, décédée d’un cancer, il y a quelques années, et les démons inédits qui se sont alors saisis de son âme. Au creux des onze chansons en douces brises de Carrie & Lowell, Sufjan Stevens déclenche de terribles tempêtes intimes : entre le sublime et le terrifiant, ce contraste est follement chamboulant.
(Source : T. Burgel / Les Inrocks)
Sufjan Stevens - Death With Dignity
Sufjan Stevens - Should Have Known Better
1. Death With Dignity (3:59)
2. Should Have Known Better (5:07)
3. All Of Me Wants All Of You (3:41)
4. Drawn to the Blood (3:18)
5. Eugene (2:26)
6. Fourth of July (4:39)
7. The Only Thing (4:44)
8. Carrie & Lowell (3:14)
9. John My Beloved (5:04)
10. No Shade in the Shadow of The Cross (2:40)
11. Blue Bucket of Gold (4:43)
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