Si tu veux tout savoir, Of Monsters and Men c’est ma sonnerie de téléphone portable, c’est aussi l’un des meilleurs concerts de ma vie, à Montréal. Rendez-vous est donné sur la terrasse à l’arrière d’un grand hôtel parisien près des Champs-Elysées, une semaine avant la sortie de Beneath the Skin, leur second album. Ragnar (chant + guitare) et Brynjar (guitare), tout de noirs vêtus, me reçoivent joyeusement, pour la dernière interview de leur journée de promo. Un stress de malade m’envahit. Heureusement les garçons, sourires aux lèvres me mettent vite à l’aise.
RockNfool : Il faut que je commence par vous demander comment vous vivez votre nouvelle célébrité ?
Ragnar : Ce n’est pas aussi glamour que ce que peuvent imaginer les gens (rires)
Brynjar : On n’a jamais pensé que nous serions connus un jour, donc on n’a rien fait de particulier. On n’a pas changé ! Je crois…
Ragnar : Oui, on est des personnes ennuyeuses (rires). Bon, on vit plus confortablement, on n’est plus étudiants…
Brynjar : On n’est plus payés en bières…
Ragnar : Lors de nos premiers concerts c’était : « bière gratuites pour tout le monde! », donc c’est mieux maintenant. Toujours la même routine !
Brynjar : La vie de tous les jours, se lever à 8h…
Ragnar : 8h ? (sourire)
Votre nouvel album Beneath the Skin sort le 9 juin, vous devez être super excités !
Ragnar : OUI ! On est très contents.
Brynjar : Excités et effrayés.
Avec tout le succès que vous avez eu pour My Head is an Animal, votre premier album, vous avez du ressentir pas mal de pression à la fin de votre tournée quand il a fallu se remettre à écrire non ?
Ragnar : Quand on a fini notre tournée, on a fait une petite pause puis on s’est remis à écrire quelques trucs. Forcément oui, on avait plus de pression car les gens attendent quelque chose de nous.
Brynjar : Mais on n’en a jamais vraiment parlé, on n’a pas voulu que ça nous affecte. On était chez nous à essayer d’écrire de la musique tous ensemble pendant 8h chaque jour…
Ragnar : C’était juste nous retrouver pendant des heures et écrire, trouver des idées dans sa tête, mais on s’est serré les coudes pour garder un esprit sain, donc tout va bien ! Les cheveux de Brynjar ont viré au gris à cause de la pression, mais c’est la seule chose qui a changé ! (rires)
Brynjar par Ragnar
J’ai trouvé que Beneath the Skin pourrait être la suite logique de My Head is an Animal. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ?
Ragnar : Je crois qu’on est restés fidèles à nous-mêmes, sans se répeter, on a essayé plein de nouvelles choses… Et je trouve que les chansons sont meilleures sur cet album. Mais on pourrait le voir comme une suite du premier, ce n’est pas illogique en effet.
Vous avez continué à chanter en duo avec Nanna. Qu’est-ce cela apporte en plus à votre son ? Ou est-ce que c’est plutôt désormais une signature vocale ?
Ragnar : Je trouve que c’est un bon outil de pouvoir alterner entre les voix. De cette façon on peut varier les chansons entre la voix féminine et la voix masculine. Ça ajoute une sorte de dynamique, chacun chante quelques lignes, puis on chante ensemble… Comme la guitare électrique qui peut changer de sons quand elle veut, ajouter des effets par dessus. C’est notre manière à nous de jouer avec les voix.
Brynjar : Ça apporte une autre texture, une émotion supplémentaire aussi.
Ragnar : Ça peut ramener un titre à la vie juste en échangeant les voix, il faut simplement trouver ce qui sied à la chanson.
Vous avez un monde incroyable en tout cas. Vous avez déjà pas mal parlé de l’influence de votre culture islandaise sur votre musique, avec ses légendes, ses histoires… On entend presque un son tribal dans votre musique. Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous inspire autant que l’Islande ?
Ragnar : Oui, juste la musique tout autour du monde. La musique islandaise c’est simplement de la musique qui vient de tous les horizons… vraiment. On reçoit des influences de part et d’autre.
Brynjar : C’est un melting-pot de musiques.
Ragnar : On a beaucoup de musiques européennes et américaines, c’est ce genre là qu’on a écouté en grandissant. C’est ce qui nous a influencé pour cet album.
Parce que vous avez vraiment votre propre son, on vous reconnaît quand on vous entend jouer.
Brynjar : Oh, c’est bon à savoir ! (sourire)
Comme ce lien spécial avec la nature que l’on perçoit dans votre musique. Est-ce que vous croyez que vos textes peuvent toucher de plus en plus de personnes préoccupées par l’environnement ?
Ragnar : (étonné) Je crois que c’est juste quelque chose que l’on possède quand on grandit en Islande, entouré par la nature. Quand tu écris des textes, tu cherches des mots, et c’est ceux-là qui ressortent. Une des chansons de l’album parle un peu de ce sujet… donc, peut-être ? (sourire)
Ragnar par Brynjar
Et donc est-ce que vous-mêmes vous êtes politiquement engagés pour cette cause ?
Ragnar : C’est dur de trouver les mots en anglais, car on n’a jamais eu à répondre à ça avant, du moins en anglais. La nature est quelque chose d’essentiel pour les Islandais donc quand la nature est repoussée par l’homme, de quelque manière qui soit, ou qu’elle est remplacée par des immeubles… alors je ne suis pas d’accord.
Brynjar : C’est un sujet sensible en Islande car par exemple quand ils bâtissent en détruisant des terres c’est désolant, puis ils essayent de se justifier en disant que ça permet de fournir du travail. Je ne sais pas comment me positionner, parfois c’est bien, parfois c’est mal. Parfois c’est vraiment triste. La plupart du temps ça l’est.
Ragnar : Les gens ne pensent uniquement qu’au présent, car quand tu détruits quelque chose, c’est détruit pour toujours.
D’ailleurs est-ce que vous pensez honnêtement que vous pourriez vivre autre part qu’en Islande ?
Ragnar : (alors qu’une guèpe est passée tout près de son visage) Il n’y a pas d’insectes en Islande, c’est l’une des choses que l’on apprécie là-bas ! (rires) Je pense que j’aimerais essayer de vivre dans de plus grandes villes, pour un an…
Brynjar : Moi aussi, soit je vivrais en Europe, soit dans les Îles Féroé.
Ragnar : Mais je crois qu’on est trop attachés et trop habitués à vivre dans une petite communauté.
Car vous êtes des ambassadeurs de l’Islande, vous leur faîtes presque de la pub’ !
Ragnar : On ne touche aucune royalty en tout cas ! (rires)
Tous vos visuels sont très soignés, très beaux. Est-ce que c’est quelque chose auquel vous tenez ? Et est-ce que vous participez au travail graphique autour de vos albums ?
Ragnar : Oui, on a réalisé tout le graphisme pour le premier album, on sait toujours ce qu’on veut. C’est nous qui avons créé quasiment tout le merchandising de notre dernière tournée et de l’album. Mais cette fois-ci on a travaillé avec quelqu’un d’autre, car avant on travaillait ça sur la route, entre deux concerts, donc ça devenait compliqué…
Brynjar : Et tout était fait à la dernière minute, sous la pression…
Ragnar : Là on a travaillé de près avec un artiste, car c’est super important pour nous.
Brynjar : Comme ça, quand tu achètes le CD tu as un magnifique objet entre tes mains.
Ragnar : Ça se doit d’être un bel objet, car c’est l’emballage de ta musique, comme une couverture de livre, tu veux que ça soit réussi.
Vous avez mis en ligne récemment un clip de paroles pour I Of the Storm avec Atli Freyr Demantur. Son maquillage et son apparence transgenre ont beaucoup fait réagir dans les commentaires. Vous savez probablement qu’en France, il y a deux ans, la moitié du pays a manifesté violemment contre le mariage entre deux personnes du même sexe. C’était votre manière de prendre parti pour soutenir la cause LGBT ?
Ragnar : Oui, en Islande on est… (ils discutent avec Brynjar en islandais)
Brynjar : En Islande on est peut-être plus ouverts d’esprit. Par exemple la parade de la gay-pride est l’un des plus gros événement chaque année en Islande. Il y a plus de monde qui viennent participer à la gay pride que pour l’Independance Day.
Ragnar : Oui c’est vrai. On est tous pareils et tous différents. C’est cool d’être différent, c’est normal, et il ne faut pas avoir peur de quelqu’un qui n’est pas exactement comme toi. Et si tout le monde pensait comme ça, je crois que le monde serait meilleur.
Brynjar : Et aussi tu ne peux pas forcer quelqu’un à être quelque chose qu’il n’est pas. On est ce que l’on est, tant que les gens sont heureux, laissons les être heureux.
Ragnar : D’ailleurs cet album parle d’ouverture d’esprit tout en restant soi-même. C’est ce que l’on a essayé de faire avec une vidéo pour chaque titre, interprété par une personne différente à chaque fois, par toutes sortes de personnes, car c’est dans l’esprit de cet album.
Certains artistes ne parlent jamais d’eux dans leurs textes. Est-ce que pour vous c’est trop personnel, voire superficiel de se dévoiler ainsi : ruptures, chagrin… ?
Ragnar : Je pense que tu dois parler de ton expérience personnelle, comme pour toutes les professions. C’est la seule chose que tu connais véritablement, ce que tu as vécu, ce qu’il t’est arrivé, comment tu t’en es sorti. Tu te sers de ton expérience, tu l’amplifies un peu, mais tu dois parler de toi. Comme dans le cas où un écrivain imagine un personnage pour son histoire, ce que vit le personnage est souvent quelque chose que l’auteur a vécu lui-même.
Et est-ce le cas pour vous dans cet album ?
Ragnar : Pour nous tous je pense. Parfois ce n’est pas exactement ce que tu penses être, mais en-dessous, le point de départ, c’est finalement quelque chose que tu as vécu.
Vous avez beaucoup repris Skeleton des Yeah Yeah Yeah. Est-ce que vous avez une chanson « guilty pleasure » que vous aimeriez reprendre après celle-ci ?
Ragnar : Ouh ! On a en fait pas mal réfléchi aux reprises que l’on pourrait faire, mais on n’en a pas vraiment trouvées qu’on aimerait reprendre. Mais je ne crois pas trop aux « guilty pleasures » car quand une chanson est bien, elle est bien peu importe qui l’a écrite ! Une bonne chanson est une bonne chanson. J’aimerais beaucoup faire une reprise de Whitney Houston, elle a beaucoup de belles chansons. C’est probablement assez dur à reprendre mais j’adorerais essayer. Mais c’est plutôt difficile de faire des reprises de grands chanteurs, car tu souhaites quand même faire mieux, mais lorsque tu reprends quelqu’un comme Whitney Houston, je pense que tu te brûles les ailes. Il ne faut pas copier, sinon tu fais juste pire que l’original, il faut réussir à apporter un plus-value.
Brynjar : Et moi j’aimerais reprendre du Beyoncé !
Ragnar : Oh oui !
Brynjar : Je pense Ragnar serait parfait pour chanter ça !
Ragner : J’en ai déjà chanté des millions de fois.
Peut-être que ça sera votre prochaine reprise sur scène alors?
Ragnar : Je n’ai plus qu’à espérer ! (rires)
Quelle est la pire question à laquelle vous avez dû répondre en interview ?
(Brynjar discute en islandais avec Ragnar)
Ragnar : Je ne sais pas… (silence)
Brynjar : Celle-ci ? (rires des deux)
Ragnar : Non c’est une bonne question, c’est toujours bien quand tu dois réfléchir (silence). Bon apparemment je suis très tolérant car je ne me souviens d’aucune en particulier. Mais souvent quand on te demande – c’est que ce Brynjar me disait – « qu’est-ce que tu recherches chez une femme ? », ou quelque chose comme ça qui n’a rien à voir avec la musique. C’est souvent pour des journaux ou médias particuliers… j’ai récemment refusé une interview car j’avais peur qu’ils me posent ce genre de questions de mecs.
Donc vraiment aucune ?
Ragnar : Non, pas dont je me souvienne. Je t’enverrai un email si ça revient ! (rires)
(Brynjar lui dit quelque chose)
Ragnar : Ah oui, en fait il y en a une qu’on nous pose très souvent en Islande, la presse est obsédée par ça. On nous demande : « est-ce que vous vous faîtes beaucoup d’argent ou, êtes vous riches ? ». C’est quelque chose d’important pour eux, donc on s’attend toujours à devoir répondre à cette question lors d’interviews en Islande. Je pense que c’est parce que c’est une plus petite communauté, beaucoup de personnes se connaissent, c’est juste de la curiosité, comme espionner par la fenêtre du voisin.
Pour finir, est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée que vous auriez aimé que je vous pose ?
Ragnar : D’où vient notre nom ?
Brynjar : Qu’est-ce qu’on aime chez les femmes ? (rires)
Ragnar : Quelles sont nos influences musicales ? Je ne sais jamais quoi répondre à ça… Ou comment prononcer nos noms ? Non plus sérieusement, on a vraiment hâte que notre album sorte et on espère que les gens vont l’apprécier.
Beneath the Skin, dans les bacs le 9 juin (Mercury). En concert le 17 juin au Trianon.
Propos recueillis par Emma Shindo
BEHIND THE SCENE – Comme d’habitude, on a demandé à Brynjar et Ragnar de se prendre mutuellement en photos…