L'économiste Joseph A. Schumpeter mentionne brièvement la notion de destruction créatrice dans son ouvrage classique, Capitalism, Socialism and Democracy (1942), au chapitre VII, "The Process of Creative Destruction".
Pierre Caye s'y attaque en philosophe des sciences et des techniques et, pour cela, mobilise des travaux classiques : ceux de Plotin (Ennéades, 253-270) dont la modernité des analyses surprend, de Platon et Proclus, de Martin Heidegger aussi (das Gestell).
Pour étayer ces réflexions, les sources de l'auteur sont multiples. En plus de l'économie, il puise également dans l'écologie, dans "l'entropologie" / anthropologie, (pour reprendre le jeu de mots de Claude Lévy-Strauss), la praxéologie et la catallaxie (Ludwig von Mises), la biopolitique, l'histoire de l'architecture, le droit patrimonial également.
La deuxième partie est consacrée à l'examen des "principes métaphysiques de sauvegarde et de résistance de l'être". La troisième reprend "la question de la technique à l'épreuve du développement durable" et de la rationalité (dissociation de la production et de la technique.) L'auteur dénonce sans ambages "la doxa des économistes, qui réduisent la question de la technique et de son impact sur la croissance à sa dimension exclusivement productive". Cette partie comporte des développements convaincants à propos de la notion - dévalorisée - de soin (care) comme réparation et protection d'un monde détérioré par la production et ses techniques. Critique aussi de la pseudo-ubiquité spatiale ou temporelle qu'apporteraient les techniques. Critique encore, radicale, de la notion de dématérialisation et du fourre-tout notionel qui accompagne celle de "société post-industrielle", "post-moderne" et autre "capitalisme cognitif". Les développements sur la place de l'architecture s'avèrent féconds pour la compréhension de la place des techniques et du calcul ; l'auteur est un éminent spécialiste de l'architecture de la Renaissance, deVitruve et de Leon Battista Alberti. La démonstration est inattendue et brillante.
Enfin, l'auteur confronte les notions juridiques de patrimoine et de capital. L'absurdité comptable qui ignore la patrimonalisation autorise comptablement le pillage du patrimoine naturel et symbolique ; l'auteur recourt à l'anthropolgie et aux travaux de Maurice Godelier pour stigmatiser cette erreur, cette faute qui coûte très cher. La mobilisation de la notion d'externalités positives (l'éducation de la population, les biens collectifs issus de l'action publique et de l'impôt) peut-elle corriger le tir ? L'ouvrage s'achève par une critique en règle du droit de l'environnement.
Cet ouvrage nous paraît formidablement novateur en raison de l'originalité et de la fécondité des argumentations développées, des sources conceptuelles mobilisées de manière toujours rigoureuse. Chaque proposition surprend, rompant heureusement avec les gesticulations répétées, de communiqués de presse en "livres blancs", sur l'économie numérique, le changement social qu'elle promet et favorise, l'avenir radieux auquel elle conduit. Un vrai livre, utile, rafraichissant, excitant et exigeant, sans concession.
Quel plaisir !