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L'ancien ministre Arnaud Montebourg se rappelle au bon souvenir de François Hollande et Manuel Valls. Avec le banquier d'affaires Matthieu Pigasse, il publie dans le JDD une tribune au vitriol contre la politique du gouvernement. La voici en intégralité
©Reuters
"Hébétés, nous marchons droit vers le désastre. C'est la démocratie qui est cette fois menacée, car les progrès du Front national dans le pays sont aussi graves que spectaculaires et son accession possible au pouvoir est désormais dans toutes les têtes. Prenant la mesure de la gravité de la situation, peut-être serait-il nécessaire que nos dirigeants cessent de commenter ce que fait ou dit le FN ou que cesse encore cette culpabilisation inutile des électeurs dans cette "lutte" purement verbale et artificielle "contre" le Front national. Faire semblant de combattre le FN pour se donner bonne conscience n'a aucun effet. On serait, au contraire, bien avisé d'agir sur les causes réelles et profondes qui jettent des millions de Français dans ses bras : l'explosion du chômage, la hausse de la pauvreté et la montée du sentiment de vulnérabilité dans presque toutes les couches de la société française. L'absence de croissance est désormais considérée par les Français comme un sous-produit politique – dont ils sont les victimes directes – de cette austérité idéologique et fiscale sans précédent décrétée par l'Union européenne et docilement exécutée par le gouvernement actuel de notre pays. Les pertes de pouvoir d'achat pour les classes moyennes, par hausse des prélèvements sur les ménages, sont considérables (1.650 euros en moyenne par foyer en trois ans selon l'OFCE). Il suffit d'écouter les témoignages des Français aux revenus modestes : ici, des familles ouvrières contraintes de limiter encore leurs dépenses pour faire face à leurs impôts augmentés ; là, un petit retraité devenu imposable incapable de retenir ses larmes devant le fonctionnaire de la trésorerie ne pouvant lui accorder assez de délai.Ceux qui nient l'existence de l'austérité en prétendant que les salaires n'ont pas baissé (heureusement!) doivent ouvrir les yeux sur les pertes réelles et sérieuses de revenus pour les Français moyens : cette politique répand la colère, le dépit, la violence chez des millions de nos concitoyens qui s'estiment bernés, trahis et abandonnés. Cette situation explique aussi pourquoi l'économie française ne repart pas, plus de sept ans après la faillite de Lehman Brothers, alors que les économies du monde entier ont redémarré fortement depuis déjà deux ans. On comprend aussi pourquoi les faillites d'entreprises en France (plus de 60.000 par an) ne diminuent toujours pas. La montée exponentielle du chômage qui en résulte – plus de 600.000 chômeurs de plus en trois ans! – est directement corrélée à la montée exponentielle du Front national (+10 points). L'absurde conformisme bruxellois de la politique économique de la France actuelle est devenue une gigantesque fabrique à suffrages du Front national.Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse (Abaca Press et Bernard Bisson pour le JDD)Ainsi, le conformisme politique est désormais devenu le principal adversaire du renouveau économique du pays. C'est lui qui nous paralyse et chaque mois qui passe le rend plus insupportable. Au fil des alternances, les Français votent en conscience pour la "rupture" ou le "changement" mais s'aperçoivent que la politique économique – donc européenne – qui s'ensuit est toujours la même. Tout président élu commence par aller faire ses génuflexions à Berlin puis à Bruxelles, enterrant en 72 heures ses engagements de campagne. Et voici des années que cette comédie de l'impuissance publique dure, pour bientôt finir par engloutir la démocratie dans notre pays.Pour éviter le désastre de nouvelles progressions du Front national, il est indispensable d'agir sur ses causes. Agir, cela veut dire lui retirer des arguments qui font de lui une utilité pour des Français – y compris de gauche – qui se tournent vers lui pour obtenir le changement qu'ils désespèrent d'obtenir des alternances successives. Agir, cela veut dire ne pas faire payer la facture des déficits publics créés par les errements de la finance privée dans la crise, par les classes moyennes. Cela veut dire se battre pour la croissance en interrompant les politiques absurdes, inefficaces et anti-économiques de Bruxelles, et rendre sous forme de baisses d'impôts ce qui a été lourdement prélevé sur les ménages (plusieurs dizaines de milliards d'euros). Cela veut dire ne plus se laisser faire par Berlin et Bruxelles et changer la politique économique nationale et européenne.Ce sont là des propositions de bon sens qui ont été portées par de nombreux économistes dont plusieurs Prix Nobel d'économie et soutenues par les plus grandes institutions économiques mondiales, comme le FMI et l'OCDE, certains des plus grands gouvernements du monde comme le gouvernement américain, contre l'avis des forcenés du même dogme. Tous ces observateurs et acteurs – dont nous sommes – qui se sont battus pour cette politique alternative, là où ils étaient, attendaient le réveil de la France. Nous l'attendons toujours.Est-il encore possible de sauver ce quinquennat et de le rendre enfin utile à notre pays? Est-il encore possible d'éviter le désastre politique et moral pour cette gauche de gouvernement qui semble avoir abandonné la France? Oui, nous croyons qu'il n'est pas trop tard pour encore agir et engager enfin une politique différente et innovante. Il suffirait que nos dirigeants ouvrent leurs yeux sur le précipice qu'ils ont ouvert sous nos pieds (et les leurs). Élue pour faire baisser massivement le chômage, la gauche de gouvernement a rallié en deux mois de pouvoir les exigences destructrices de l'austérité, lesquelles ont fait… augmenter massivement le chômage.Il faut refuser de se contenter d'attendre que la croissance revienne, comme s'il s'agissait d'un phénomène météorologique ou du cycle des saisons. Il faut refuser de se féliciter quand est annoncée, pour 2015, une progression du PIB de 1% environ, après trois années de croissance zéro. Ce n'est pas suffisant pour faire baisser le chômage et c'est surtout un "effet d'aubaine", engendré par trois facteurs indépendants de la volonté du gouvernement : la chute du prix du pétrole, la baisse de l'euro par rapport au dollar, la faiblesse historique des taux d'intérêts, trois phénomènes par ailleurs non durables.Nous proposons de construire, dans le peu de temps qui reste, une coalition des pays européens favorables à une stratégie européenne de baisse d'impôts en faveur des ménages dans tous les pays, acceptant que les déficits soient résorbés par la croissance mais non pas par l'austérité, laquelle empêche précisément de réduire les déficits.La difficulté n'exclut pas le courage. Il existe une fierté d'être français, une volonté de réussir ensemble. Notre peuple est beaucoup plus conscient des difficultés que ne le pensent ses dirigeants. Il est prêt à faire des sacrifices mais il lui faut un dessein collectif, partager un projet ambitieux, retrouver une part de rêves et toujours chercher à les réaliser. Il est prêt à entendre la vérité et à faire mouvement. Il l'a réclamé. Il est las de s'être menti à lui-même, à travers ses représentants qu'il a désignés.Chacun a bien compris qu'il est désormais impensable qu'il se laisse prendre en otage par des professionnels des appareils politiques et que rien d'innovant, rien de différent de la sempiternelle répétition de la même erreur, ne se produise dans une grande nation politique comme la nôtre. Les Français, qui composent un grand peuple, ne l'accepteront pas, et c'est déjà sur cette base-là qu'ils chercheront à se rassembler et à surprendre comme ils savent si bien le faire." Par Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse - Le Journal du Dimanche