Wajdi Mouawad, né le 16 octobre 1968 à Deir-el-Qamar au Liban, quitte son pays natal à l'âge de 10 ans. Il émigre avec sa famille à Paris puis à Montréal au Québec. Diplômé de l'Ecole nationale du théâtre du Canada en 1991, il est un homme de théâtre, metteur en scène, auteur, comédien, directeur artistique, plasticien et cinéaste libano-canadien. Il est l'auteur de deux romans (Visage retrouvé, Anima) et un quatuor de théâtre épique, Le sang des promesses (Littoral - Incendies - Forêts - Ciels), joué au festival d'Avignon en 2009. Incendies a été adapté au cinéma en 2011 par Denis Villeneuve avec un grand succès.
Une tempête de neige au Québec. Wahab est réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone lui apprenant que sa mère, malade d'un cancer, agonise dans une unité de soins palliatifs. ll prend le bus pour l'hôpital où il brûle de rage dans la salle d'attente. Puis, il entre dans la chambre, met l'émotion de sa famille à distance et regarde le ventre de sa mère se soulever une dernière fois. Il a envie de retourner dedans. Il ne pleure pas. Ou plutôt il ne sait pas pleurer. Il est obsédé par le mot "avant". Avant, était-il capable de ressentir des émotions ?
Premier retour en arrière. Il a 7 ans et habite au Liban avec sa soeur jumelle : la guerre civile. Un jour, alors qu'il se promène en centre-ville, il est traumatisé par un attentat qui se déroule sous ses yeux. Un bus, criblé de balles, explose avec des femmes et des enfants à bord. Tous fondent dans les flammes. Ses nuits seront toutes peuplées par l'irruption d'une femme aux bras de bois qui veut l'étreindre et l'étouffer.
Second retour en arrière. Il a 14 ans et consulte un psychologue. Il dit que le visage de sa mère a changé. Qu'il n'est plus comme avant. Avant quoi ? Sa maladie, peut-être. Elle souffre et se plaint sans cesse y compris la nuit. Wahab ne sait plus distinguer le rêve de la réalité. Il ne peut plus répondre à ses appels au secours ni la soulager (il s'agenouille pour lui masser les pieds comme s'il priait). Alors, il fugue. Un grand père lui raconte le combat d'une meute de loups défiant la mort : il n'y a qu'une peur d'enfant pour chasser une autre peur d'enfant.
La scène finale confronte le héros à sa terreur enfantine. Il doit à nouveau regarder la mort en face : la femme aux bras de bois est alors dévorée par les loups tandis que sa mère expire flottant parmi ses longs cheveux blonds. Il est enfin libre de lui demander pardon et d'envisager l'avenir. Il sera peintre. Il mettra en scène son désastre intime pour extraire délicatement l'obus qui menaçait de faire exploser son coeur.
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L'acteur module le superbe texte de Wajdi Mouawad grâce à une diction impeccable et à un langage corporel simple, efficace, précis. Il utilise ses vêtements comme autant d'outils pour qualifier ses états d'âme - la capuche en cas de repli sur soi - et se déplace tel un danseur autour d'un banc de salle d'attente qui sert à reconstituer tous les décors nécessaires à la compréhension de l'intrigue. Les effets de lumière et les vidéos défilent sur l'écran de lamelles en plastique au fond de la salle pour illustrer les ruptures temporelles.
Un croquis réalisé après la pièce :
le banc, retourné à la verticale et habillé d'un manteau, devient figure féminine
Anonyme, Ecole flamande, vers 1621 (musée des Beaux Arts de Rouen)
Le tableau représente une jeune femme morte à l'âge de 25 ans (c'est ce qu'indique le texte en latin figurant en haut à droite). La pose naturelle du sujet est rare car il n'y a ici aucun effet de mise en scène et d'arrangement avec la dure réalité. Le corps repose tel quel, sans aucun élément religieux. On sent encore tout le poids de la lutte jusqu'à l'expiration du dernier souffle de vie.