Le Nigeria s’invite à Paris par le biais de son industrie cinématographique. Je suis au cinéma l’Arlequin. Ca parle anglais de partout, haut et fort. C’est l’ouverture du festival Nollywood week à Paris, 3è édition. Je viens un peu en terre inconnue. Nollywood est tout simplement un cinéma que je ne connais pas. L’acte fondateur de cette industrie au Nigeria est 1992. J’ai quitté le Congo en 1995 et l’Afrique en 1997. Je n’ai donc pas connu la déferlante des productions nigérianes en Afrique centrale. je n’en ai eu que des échos. Les thématiques dominantes tournant, à l’époque, autour de la sorcellerie et de la spiritualité. A Brazzaville et à Kinshasa, le terme Karashika revenait régulièrement pour décrire ces productions grand public.
D’ailleurs, étant arrivé tôt à l’Arlequin, j’observe le public remplir la salle sur les rythmes de la musique nigériane qui, comme le cinéma, a pris le relais de la musique congolaise. C’est un public jeune qui a grandi avec cette filmographie. La salle se remplit. L’ambiance est fraiche. Et de manière très surprenante, le public est principalement africain. Cela peut paraître de me voir m’arrêter sur ce type de détail, mais voyez-vous, je suis peut-être de comprendre quelque chose. Mais, je ne tirerais pas de conclusion trop rapide.
Naturellement, parole est donnée aux partenaires. Le parrain de cette édition est l’acteur haïtien Jimmy Jean-Louis popularisé par la série Heroes. D’ailleurs, c’est par son documentaire que va commencer ce festival…
Le voyage de Jimmy… Et c’est une excellente introduction. Jimmy Jean-Louis y raconte son voyage à Lagos où il doit diriger une importante cérémonie de remises de prix récompensant les meilleures productions de Nollywood, les AMAA. Avec beaucoup d’humour, il raconte cette expédition mais surtout, il donne la parole aux acteurs de cette industrie dynamique, jeune et balbutiante. Car si en terme de volumétrie, Nollywood est bien la seconde source de production cinématographique, les acteurs interrogés sont assez lucides pour souligner le manque de professionnalisme et la faiblesse des moyens qui a longtemps accompagné les productions nigérianes. Ce qui explique le fait que les films sortent très peu, ou encore qu’ils sont des adaptations de séries télévisées à grand succès. Ici, il y a avant tout le constat d’une adhésion d’un public à ce cinéma. Engouement qui s’appuie sur le fait que ces films parlent avant tout de sujets dans lesquels le public se reconnait. D’ailleurs, il n’est pas surprenant que la salle de l’Arlequin soit pleine.
Nollywood est le deuxième secteur économique du Nigeria. En travaillant sur un imaginaire spécifique dans lequel beaucoup se reconnaissent, cette industrie a tissé une vraie relation avec le public. D’ailleurs, quand Jimmy Jean-Louis sillonne les grands marchés de la capitale économique nigériane, les vcd sont partout. D’ailleurs s’agit-il des productions authentiques ou de piratages ? Les copies sont une plaie qui plombe l’économie de ce secteur d’activités. Ici, une interpellation est faite à l’endroit de l’état fédéral qui suit de loin l’émergence de ce modèle. La plue value de Nollywood étant reconnue à l’extérieur, très peu par les autorités du pays. La question importante qui revient est celle de savoir, comment passe-t-on de la quantité à la qualité, comment porte-t-on par une certaine esthétique un discours qui dépasse les frontières du Nigéria et du continent. On ressent dans le propos des intervenants qui répondent à Jimmy, à la fois l’originalité du contenu et en même temps une soif de reconnaissance à l’international. Ce qui fait naturellement réfléchir. Parce qu’il est difficile de dire que Nollywood est encore qu’un cinéma local nigérian. Son influence en Afrique subsaharienne est indiscutable. Que cache cette quête de reconnaissance? Est-ce que les indiens se posent une telle question?
En fait le reportage de Jimmy Jean-Louis surprend par l’extrême lucidité des intervenants nigérians. Et c’est extrêmement positif. Car, si avec humour, il pointe le doigt sur les limites du discours militant en montrant simplement les difficultés d’une réalisation au Nigéria où les choses peuvent évoluer de manière rapide.
Gone too farLe premier film qui nous introduit dans le festival s’intitule Gone too far de Destiny Ekaragha. Deux frères séparés par les coutumières contraintes administratives se retrouvent à Londres. L’un a été élevé avec sa mère à Peckham, un quartier difficile et l’autre a évolué dans un internat à Lagos. Tout heureux d’être enfin à Londres. Ce film est une sympathique comédie au coeur d’un Londres qu’on ne connait que très peu et qui met en scène le blédard absolu joué remarquablement par OC Ukéjé qui doit être un acteur de référence à Nollywood. Il est tout simplement étincelant. La réalisatrice de ce film met en scène le choc des identités au sein de ce beaucoup appelle la communauté noire de Londres. Entre Africains et caribéens, les clichés et zones d’incompréhension sont très nombreux et, de mon point de vue, légitimes. Je ne pense pas m’avancer trop imprudemment en disant que Destiny Ekaragha a été nourri par les univers de Spike Lee. On retrouve dans l’expédition complexe, que ces deux frères qui ne se connaissent pas, montée pour acheter le « gombo » maternel, les états de lieux, revues de quartiers new-yorkais si chers au réalisateur américain. Porté par l’humour d’OC Okéjé, ce film remarquablement tourné traite aussi de l’immigration avec intelligence. Sur la forme, il est très peu crédible d’envisager en moins de 24 heures, autant de péripéties autour de notre blédard bien heureux. Toutefois, quel plaisir de voir un bon film…africain.
Le festival continue. En voici le programme.