Maman je reviens bientôt est le cri du coeur d'un jeune homme qui, au terme de nombreuses années vécues en France comme étudiant, prend la décision qui lui semble la plus salutaire pour lui : celle de rentrer dans son pays natal.
Plusieurs indications nous invitent à considérer ce roman comme une autobiographie romancée. L'auteur puise dans son propre vécu pour peindre une situation à travers laquelle tant d'étudiants africains en France, plus largement en Occident, se reconnaitront. Avoir de très bonnes dispositions pour les études est une chose, mais pouvoir les mener avec le brio que l'on aurait souhaité est une tout autre chose.
En effet, vivre en France implique de résoudre des questions cruciales comme celle du logement et du déplacement. Par ailleurs les études exigent du temps, de la concentration, mais lorsque l'esprit est assailli par l'urgence du pain quotidien, qui ne s'acquiert qu'au prix des plus grandes acrobaties physiques et morales, on comprend que pour l'étudiant désargenté, mener tout de même à bien ses études relève presque de l'exploit. Je ne peux pas ne pas penser à Camille Wombélé, un des personnages principaux du deuxième roman de Daniel Biyaoula, Agonies. J'ai souvent tendance à tisser des liens entre mes dernières lectures, surtout lorsque ces liens s'imposent d'eux-mêmes. Camille, magré la ferme volonté qui l'anime et les efforts qu'il multiplie pour obtenir la validation de son année universitaire, se voit confronté à la décision d'un professeur de ne pas voir ses étudiants réussir du premier coup dans sa matière, surtout quand ceux-ci sont des "basanés". Camille est l'un des rares à être recalés, alors que nombreux de ceux qui reçoivent la validation, des Blancs, avaient des résultats inférieurs aux siens !
Comme Camille, le narrateur de Maman je reviens bientôt multiplie les petits boulots, travaille à des heures complètement décalées pour pouvoir payer ses études, se payer également un chez-soi.Il ne lui reste presque rien pour se nourrir. Il passe des jours et des jours sans presque rien se mettre sous la dent. Je ne peux non plus m'empêcher de penser à Miya, l'héroïne de Chêne de Bambou, à travers laquelle on perçoit à quel point il n'est pas facile pour un ou une étudiante venue de l'étranger de réussir dans un pays où elle doit subvenir toute seule à tous ses besoins, étudier et en même temps survivre !
Pour Ndinga, le héros de Maman je reviens bientôt, l'amour des livres, le plaisir de se baigner quotidiennement dans la littérature sont incontestables. D'ailleurs, l'on peut même penser que les témoignages d'érudition sont peut-être trop manifestes, ou qu'ils n'ont pas leur place, étant donné qu'il écrit à sa mère, qui n'a pas le niveau scolaire requis pour apprécier toutes les références littéraires, mythologiques, qui abondent dans la lettre que son fils lui écrit. Ety même les mots savants, comment celui qui doit lui transcrire la lettre, Franck-Vianel, se débrouillera-t-il pour les traduire ? Il est probable que ce dernier soit lui-même obligé de chercher ce que veulent dire des mots comme "psychotropes", que l'on découvre page 18.
Maman je reviens bientôt est donc la lettre qu'un fils parti étudier en France écrit à sa mère pour lui raconter son parcours, depuis son arrivée dans le pays jusqu'à la décision de repartir dans son pays, auprès de sa mère, car il voit bien que, malgré tout le bagage culturel et tout le potentiel qu'il peut avoir, il sera toujours regardé, en France, comme étant d'abord un Noir.C'est la vie des Noirs en France qui est exposée ici, une sorte de "roman des immigrés", titre du premier roman de l'auteur.
Mais s'il reconnait les difficultés que peuvent rencontrer les étudiants en particulier, des difficultés qui n'excusent pas leur échec même si elles peuvent l'expliquer, l'auteur est sans complaisance envers les compatriotes qui ne sont que des imposteurs : les étudiants qui se font passer pour des Docteurs en ceci ou en cela au pays, obtenant même des postes prestigieux, alors que ceux qui le fréquentent en France savent que le Doctorat dont ils se targuent d'être titulaires n'existe que dans leur imagination, et qu'ils n'ont jamais pu terminer leurs études. C'est que les Congolais aiment briller aux yeux des autres, par tous les moyens.
"Pourquoi user de la mesquinerie et de la fanfaronnade lorsque, pour des raisons multiples, on n'a pu terminer son parcours universitaire en France ou en Occident ? Est-ce une fatalité, le fait de ne pas avoir obtenu des diplômes universitaires occidentaux ? Et pourquoi tant de singeries lorsqu'on sait que ce n'est ni le diplôme, ni la mention qui déterminent celui ou celle qui a appris, mais sa capacité à extérioriser la science apprise ?"( Maman je reviens bientôt, page 133.
Les imposteurs, ce sont aussi tous ces Congolais, mais il ne s'agit pas seulement des Congolais, il faut parler au contraires de tous les Africains qui, lorsqu'ils vont en vacances dans leur pays natal, se pavanent là-bas, faisant croire à la multitude pour qui le simple mot d' "Europe" est synonyme de richesse, de vie de rêve, d'Eldorado, qu'ils vivent effectivement comme des princes en Occident, et ils mettent les moyens pour être regardés comme tels : vêtements luxueux, expédition au pays natal de toutes sortes de biens, comme les voitures, multiplication de toutes sortes d'activités lucratives comme la construction de maisons mises en location... Alors qu'en réalité, ils n'ont parfois même pas de domicile fixe en France, ils n'ont pas là-bas un emploi qui pourrait leur permettre d'assumer des dépenses aussi exorbitantes. Autrement dit, ils mènent des activités parallèles, peu honnêtes, obscures, pour pouvoir éblouir la populace !
Mais le narrateur ne peut se comporter comme un mouton de panurge, il sait ce qu'il veut, ce qui est bien pour lui et ce qui ne l'est pas. Il ne peut se résoudre à tremper dans des activités dont il ne pourrait être fier, dans le seul but de briller, d'être applaudi, d'être regardé comme un prince :
"Je ne suis pas venu en France pour des aventures squelettiques et invertébrées, mais pour des odyssées sensées et riches de profondeur" (page 110).
Le narrateur est soutenu, pendant toute la durée de son séjour en France, jalonné d'épreuves, par l'esprit de son défunt père qui, en est-il persuadé, intervient mystiquement pour le tirer du mauvais pas et faire de telle sorte qu'un Ndinga ne soit pas humilié. Aussi le narrateur a-t-il à coeur de ne pas avoir lui-même une conduite qui pourrait salir le nom qu'il porte, un nom qu'il estime prestigieux, même si en France il n'est regardé que comme un immigré, c'est-à-dire pas grand-chose.
J'ai apprécié le langage imagé du roman, notamment les comparaisons, comme lorsque l'auteur parle des transports en commun en région parisienne, que ceux qui n'ont pas de titre de transport ne prennent pas le coeur léger, puisqu'ils risquent de se voir collé une contravention :
"Nous n'avions pas attendu longtemps lorsque la première rame, la deuxième, puis la troisième, entrèrent brinquebalantes et geignardes en gare. Hommes, femmes, enfants et animaux de compagnie s'y précipitèrent, s'y engoufrèrent, muets comme les carpes d'étangs, silencieux comme des pets clandestins." (page 33)
Cette comparaison, "silencieux comme des pets clandestins", est particulièrement riche car elle donne lieu à une double interprétation explicite et implicite. En effet, au-delà du fait qu'ils sont tenus de ne pas déranger, de rester discrets, silencieux, les voyageurs peuvent aussi symboliser ici les immigrés, qui ont conscience qu'ils ne doivent pas attirer l'attention sur eux dans cette France où ils sont regardés comme des indésirables, ils sont semblables à des "pets" dans l'esprit de beaucoup d'Occidentaux.
Bref, voici un roman court que l'on ne trouvera pas déplaisant.
Itoua-Ndinga, Maman je reviens bientôt, Editions du Net et Paari éditeur, 2014, 142 pages, 12 €.