Je sens que je ne pourrai rendre justice au très beau roman de Yanick Lahens, Bain de lune, prix Femina 2014. Parce que ma lecture a été entravée par trop d’autres occupations. Et parce que j’ai été incommodée par le grand nombre de mots créoles dont la définition nous renvoie à la fin du livre plutôt qu’en bas de page, ce qui me faisait perdre le fil. Malgré tout, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une grand livre ayant pleinement mérité son prestigieux prix.
Une jeune fille gravement blessée est retrouvée sur la plage du village voisin de l’Anse bleue après trois jours de tempête. Pour comprendre ce qui lui est arrivé, nous suivrons l’histoire des trois générations qui la précèdent, nous entrerons dans leurs cases, leurs traditons, leurs croyances, leurs rites. Leurs conflits ataviques aussi. Entre pauvres et exploiteurs. Et à l’encontre de la pauvreté des protagonistes, l’auteure nous donne à goûter la richesse de l’univers vaudou, la force des Haïtiens, leur résilience.
La petite histoire est aussi l’occasion pour l’auteur de ce «grand roman de la terre haïtienne» de brosser un tableau impressionniste de l’histoire du pays, évoquant l’accession à l’indépendance, l’invasion américaine, le règne de Papa Doc, les ravages dont il sera l’initiateur pour le pays, l’exode des jeunes vers Miami. Et l’espoir et la résignation se succédant comme une grande vague sans fin.
« Des oiseaux survolent la mer, blanche d’écume. Je la regarde monter en gerbes laiteuses. Folles. Chaque vague épiée, surveillée. Je la regarde avant l’arrivée de la meute. Mon secret viendra se fracasser lui aussi. S’étendre là, sur le sable couleur d’huître. Contre mon ventre. Je le sens. Serai la seule à le connaître jusqu’à la fin des temps…»
Yanick Lahens, Bain de lune, Sabine Wespieser Éditeur, Paris, 2014, 273 pages