L'attente est conséquente pour s'approprier des rafraichissements salutaires aux nombreux gosiers asséchés par la prestation technoïde de Phase Fatale, hors d’œuvre mortifié à mon arrivée et que je mettrais donc en abîme. C'est dans cette file d'attente que s'abatte de premiers aprioris. Si le dress code fait logiquement la part belle au noir, de nombreuses couleurs illuminent les silhouettes attendant le tant convoité calice, la palme revenant à un groupe de jeunes femmes, zappées manière hippie, mamelles dénuées de soutient, désinvolture à fleur de peau...
L'anecdote, salace, voulu que je renverse le précieux liquide enfin acquis sur l'épaule de l'une d'entre elles, regard de cette dernière médusé mais bientôt amusé, ses formes dénudées appelant mon pardon et les mots suivants, "You Too Hot"... Eclat de rire de sa part, je me détourne de ce succube à la crinière écarlate, pour rejoindre les boyaux d'une scène plongée dans l'obscurité, les choses sérieuses commencèrent.
D'une ouverture cinématographique, évoquant l'ambiance suffocante d'un film à l'angoisse anxiogène, le trio d’Oakland, plongea instantanément son audimat dans une atmosphère pesante, ténébreuse, et dont les cadences extatiques évoquent cette course effréné contre le temps, amenuisant l'espace qui sépare la vie de la mort, le prédateur de sa proie.
Le set est dans un premier temps classique, efficace, enchainant les humeurs empruntes d'un rock alternatif déstructuré, passant du punk au shoegaze sans sourciller. Si le tableau fut loin d'être ennuyeux, certains morceaux poussant le balancement des têtes et des corps toujours un peu plus loin, une certaine amertume se fit sentir sur la progression de ces derniers. Ici se tient un hiatus et qui ne touche par seulement la formation américaine en question. A savoir qu'est-ce que le shoegaze ou shoegazing ?
Photo Pauline Alioua
Penser un morceau sous cet angle, en théorie, doit rendre cette impulsion particulière qui tend à la progression de la musique de manière échelonnée dans un temps conséquent. Une définition très bien respectée à titre d'exemple par les new-yorkais de A Place To Bury Strangers, dont les mouvements s'égrainent dans une amplitude temporelle nettement plus diffuse. Les titres joués en cette soirée, parcourant le dernier opus et l’œuvre du groupe de manière plutôt exhaustive, sans "When It's Over" cependant mais avec un "Deeper" abyssal, avoisinaient de manière générale les 4 minutes, suffisant pour faire du shoegaze mais simplement dans la texture, pas pour provoquer les tourbillons infernaux chers à la bande d'Olivier Ackermann ... A vouloir engloutir trop de styles musicaux, The Soft Moon perd parfois l'essence même du genre musical abordé pour le saborder à tord mais aussi et heureusement à raison.Car la vraie bonne surprise de ce groupe sur scène tient paradoxalement du même syndrome. A savoir un entremêlement de courants sonores, destinés à transformer un post punk aux échos industriels en incantation chamanique, propice à une transe hypnotique. Maltraitant toute sorte de percussions aux revêtements différents, du métal en passant par le bois, Luis Vasquez altère ainsi de manière brutale le monde de l’analogique pour passer dans un univers organique et tribal à la résonance ultra nerveuse. Et c'est dans la frénésie de ce langage du corps, devenu extatique, que les sonorités développées, invoquent des esprits invisibles pas si éloignés du "carcosa". Dans cette projection devenu physique et mentale, happant tout objet à sa proximité, force d'une gravitation sempiternelle et implacable, The Soft Moon déchira bel et bien l'espace, laissant derrière son passage un vide béant, déchargé de toutes énergies.
"Want" live capté par Vio V.
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