Dans les quartiers contestataires de Bujumbura, la même scène se répète désormais : quelques dizaines d'opposants à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza tentent de se regrouper, mais la police tire en l'air. Tout de suite, ils se dispersent. Force est de constater que la contestation populaire s'essouffle dans la capitale burundaise.
Lassitude, besoin de gagner sa vie, les raisons sont multiples. Mais la brutalité de la police et son changement de tactique est sans doute la première cause.
"Avant au moins on pouvait un peu discuter avec eux. Maintenant, quand ils nous voient, automatiquement, ils nous poursuivent", explique Jean-Marie, chauffeur au chômage de Musaga.
Un avant et un après putsch manqué
Le matin même, Jean-Marie et quelques dizaines d'autres manifestants se sont encore fait disperser. "Si le nombre de manifestants a baissé, c'est parce que beaucoup sont en prison, blessés, tués, et pour le reste, ils sont terrorisés", poursuit-il. Depuis le début de la contestation, une quarantaine de personnes sont mortes dans les affrontements entre contestataires et forces de sécurité. Des centaines ont été blessées ou arrêtées.
Jusqu'à il y a quelques jours encore, la police restait en périphérie des quartiers contestataires, patrouillant sur les axes principaux et laissant les manifestants se rassembler par groupe de quelques dizaines, chanter des slogans anti-Nkurunziza et même ériger des barricades qui lui bloquaient l'accès aux ruelles. La nuit, elle se retirait, pour ne revenir qu'au matin.
Mais les barricades ont aujourd'hui disparu, et les policiers n'hésitent plus à s'aventurer en profondeur des quartiers. Ils y patrouillent désormais jusque dans la nuit. Dans le même temps, l'armée, qui calmait le jeu entre eux et les manifestants, a quasiment disparu.
"Nous avons dû nous adapter, maintenant, nous restons 24 heures sur 24 dans les quartiers et on essaie d'empêcher tout regroupement", confie un haut responsable de la police. Il reconnaît que les forces de sécurité ont durci leurs méthodes depuis la tentative de coup d'État manquée.
"Ces gens nous terrorisent"
À Musaga, les manifestants laissent encore de grosses pierres en travers des rues, mais c'est surtout pour la nuit, quand ils font eux-mêmes des rondes pour protéger le quartier d'éventuelles descentes policières. Avec ces mini-barrages, faciles à démonter, ils espèrent ralentir les forces de l'ordre, et se laisser le temps de se mettre à l'abri.
C'est la nuit surtout que les policiers sont "nerveux", racontent les habitants, qui évitent alors de sortir. "Le soir, à partir de 19 heures, on ne trouve personne dans les rues, les gens ont peur", dit l'une d'entre eux, assise au bord de la route.
À Musaga comme dans d'autres quartiers frondeurs, les nuits sont ponctuées de tirs, dissuadant un peu plus les manifestants de reprendre le chemin de la rue au matin.
"On ne peut pas dormir à cause des coups de feu", confirme Miburo, une habitante de 24 ans de Buterere, un quartier du nord-ouest de la capitale où un militant d'un parti d'opposition a encore été tué dans la nuit de mardi à mercredi par l'explosion d'une grenade dans sa maison. "Ces gens nous terrorisent", accuse-t-elle, pointant du doigt la responsabilité des Imbonerakure dans cet incident.
Pression financière
Après plus d'un mois de contestation, les habitants des quartiers frondeurs sont aussi pris à la gorge financièrement. La plupart n'ont pas travaillé depuis des semaines, certains par choix, d'autres contraints, parce que l'activité économique est paralysée et que leurs réserves sont épuisées.
"Les gens sont fatigués, ça fait un mois que personne ne travaille, n'a plus rien à manger, et il y a des balles qui sifflent", résume Anatole, habitant de Musaga.
Dans le centre de Bujumbura, deux jeunes femmes qui préparent à l'entrée d'une ruelle des extensions capillaires pour des clientes encore rares disent avoir profité de "l'accalmie" pour venir gagner un peu d'argent.
"Les gens doivent payer leurs maisons, manger, donc ils viennent travailler", justifie l'une d'elle, Espérance. Les deux femmes continuent pourtant dénoncer le troisième mandat. Et, dit Diane, sa collègue, "si on nous demande de reprendre les manifestations, on devra les reprendre".
Source : JeuneAfrique