Arjan van Timmeren, TUD Delft: «La smart city doit garder le contrôle de ses données»

Publié le 04 juin 2015 par Pnordey @latelier

Rencontre avec le professeur Arjan van Timmeren, expert de la ville de demain. Celui-ci revient sur les initiatives menées à Amsterdam ainsi que les enjeux généraux posés par la smart city.

[Smart City Circle - Amsterdam] Entretien avec Arjan van Timmeren, professeur en technologies environnementales et design au sein de l'institut AMS (Advanced Metropolitan Solutions) basé à Amsterdam. Cet institut, fort d'une collaboration entre le MIT, l'université TUD de Delft et l'université de Wargeningen aux Pays-Bas, recherche des solutions innovantes pour le développement et la prospérité des zones urbaines.

Comment présenteriez-vous l'approche de la smart city choisie par la ville d'Amsterdam ?

Amsterdam a la particularité d'être composée de citoyens très enclins à accueillir l'innovation, ouverts à l'expérimentation et assez libéraux de ce point de vue. Cela en fait sa force tout comme sa spécificité en matière de smart city.
La ville s'oriente plutôt du côté de l'utilisation des données collectées localement pour traiter des problématiques énergétiques ou pour rendre la mobilité encore plus efficiente.
Aujourd'hui, c'est en effet surtout le « crowd-sensing », soit la captation de données de la foule, qui nous occupe beaucoup.

À quels challenges fait face Amsterdam aujourd'hui ?

Au même titre que Barcelone et Paris, Amsterdam voit le nombre de touristes exploser. Ainsi, la surpopulation dans certaines zones de la ville et d'une manière générale, la disponibilité de l'espace urbain sont de vraies questions aujourd'hui. La vie doit pouvoir continuer à suivre son cours normalement pour les habitants d'Amsterdam qui se rendent au travail tous les jours par exemple. Disons que nous devons réussir à trouver un équilibre vivable et durable pour tous.
Plus généralement, l'enjeu réside dans l'équation suivante : améliorer l'efficacité énergétique de la ville tout en maintenant une rentabilité économique.

Auriez vous une initiative propre à la version amstellodamoise de la smart city à citer ?

Le projet Rain Sense, initié en octobre 2014, consiste en une solution pour se prémunir des dommages que les pluies torrentielles ont déjà pu causer par le passé. L'idée est de collecter des données sur les précipitations en ville via deux sources : des parapluies connectés et une application grâce à laquelle tout résident peut alerter d'un problème en prenant une photo ou en signalant une averse à un endroit précis. Les précipitations sont normalement évaluées par les stations météo situées en campagne. Or, avec ce procédé, les microclimats des villes ne sont pas pris en compte et on ne peut prévoir ce qu'il va se passer dans une ville. Par ailleurs, d'une rue à l'autre, la situation peut varier.

L'AMS a également mené des expérimentations dans la région de l'aérport de Schiphol.
 

C'est un projet pilote qui a démarré en 2008 alors que les voitures hybrides commençaient seulement à faire parler d'elle. Avec une équipe d'ingénieurs et de chercheurs, nous avons déterminé qu'il était possible de connecter les batteries d'appareils dits « flexibles » – des voitures et vélos électriques par exemple, quand leurs propriétaires n'en avaient pas l'utilité. En utilisant les batteries des véhicules électriques garés au parking de l'aéroport, nous avons pu répondre à des besoins ponctuels en énergie, ce qui a permis à l'aéroport de Schiphol d'atteindre ses objectifs de réduction d'émission de CO2.
Aujourd'hui, nous expérimentons ce projet ailleurs, notamment dans des zones résidentielles.

Pour l'heure, des entreprises comme Siemens, IBM ou encore Cisco développent leur propre vision de la smart city. N'y a-t-il pas un risque que ces villes ne communiquent plus entre elles ?

Que des villes évoluent avec des systèmes d'exploitation différents n'est plus seulement un risque. C'est en train de se produire! Il existe 80 entreprises sur le marché mondial aujourd'hui et chacune de leurs solutions repose sur un algorithme bien particulier. On peut donc d'ores et déjà imaginer le danger d'avoir des villes qui ne peuvent plus communiquer entre elles. Je suis, toutefois, optimiste. Un phénomène similaire s'est produit pour les chargeurs de batterie de voitures électriques, qui, à l'origine, différait selon le constructeur. Or, il y a deux ans, des standards ont été établis et les chargeurs harmonisés.
L'enjeu pour les villes réside plutôt dans le contrôle des données des citoyens. Les entreprises qui fournissent le squelette des smart cities se trouvent certes dans une position dominante mais la ville ne doit pas oublier que les citoyens doivent avoir la main sur leurs propres données.

Quelle serait, en somme, votre définition de la smart city ?

Le terme « smart » est interprété de mille et une manières et parfois, mal compris. Les villes gagneraient à d'abord réfléchir à ce qui caractérise leur identité ainsi qu'aux buts qu'elles souhaitent atteindre pour ensuite venir bâtir, sur ces éléments mêmes, des stratégies en lien avec la notion de smart city.
Selon moi, cette intelligence, « smartness », s'adosse directement à l'intelligence des utilisateurs, donc des citoyens. La smart city a vocation à rendre possible une prise de décision – des citoyens et acteurs locaux, plus intelligente, car basée sur l'exploitation et l'analyse des données.