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Au fil de ce temps mien qui passe

Par Gerard

Parvenu en ce qui, je l’espère, ne constituera guère plus que le dernier tiers de mon existence, voir ce peu de vérité auquel je puis encore avoir accès. Et dire, mot à mot, pour quelque lecteur du futur peut-être, cet ici et maintenant. Dans son intensité. Dans son effarement.

La vérité est dans le contexte, dans ce quotidien que l’on ne voit pas parce qu’il nous contient et nous emporte dans son flux incessant. Sait-on jamais ce qui nous arrive ? Sait-on jamais à quoi nous prenons part ? L’histoire que nous écrivons, nous ne la voyons pas. Viendront ces autres qui diront un peu ce qu’elle a été ; sans y rien comprendre. Nous, nous n’en savons pas plus. Quelque chose comme de l’inextricable est venu opacifier nos existences.

Au fil de ce temps mien qui passe, noter, annoter. Dire d’abord cette dispersion. Cette désagrégation lente. Nous sommes excitables, inattentifs et veules. Les civilisations circulaires ne connaissaient pas un tel dessaisissement. Pas plus que celles qui les ont chassées, avec leur culte du temps fléché par l’idéologie de progrès. C’étaient des temps de certitude. Avec leurs « valeurs », leurs rites, leurs « repères ».

Or ni le temps circulaire ni l’idéologie de progrès n’organisent plus pour nous de plan fixe et immuable. Nous vivons désormais dans l’apesanteur d’un monde sans épaisseur ; en état de réalité dépassée. L’espérance du salut technologique a disparu. Ne reste que cette superstition qui nous fait croire dur comme fer qu’il suffit d’accélérer une machine absurde pour échapper à son absurdité. C’est elle qui nous mène. Dictant chacun de nos actes, chacune de nos pensées. Fuite dans la « réalité » virtuelle. Dans cet espace mort qui, peu à peu, s’est substitué à l’espace vivant ; et nous tient lieu de tout. Un tout sans ombre. Un tout sans reste. Sans écart ni échappatoire.

Que ce soit par l’étiolement autiste de la globalisation ou par l’angoisse du compte-à-rebours écologique, nous touchons aux limites. Nous avançons dans un espace que nous dévastons à mesure. Chaque pas amenuise le chemin et porte plus loin ce qui nous dévaste. Jamais homme avant nous n’avait eu un tel sentiment de phase terminale de la vie sur Terre. Nous sommes les premiers. Sans trompettes de l’apocalypse. Seuls avec cette fin. Dans cette étrangeté.

On nous dira : « Mais quoi ! Et la prodigieuse augmentation de l’espérance de vie ! ». Quand c’est seulement la lenteur de l’agonie qui augmente. Pas la vie. Nous avions appris que marchaient ensemble et le progrès technique, et le progrès social, et le progrès moral, et le progrès de l’Homme. Nous constatons, en ce triste commencement de millénaire, qu’il n’en est rien ; et qu’il n’est nul progrès. Jamais.

Sous nos yeux la parenthèse enchantée de la démocratie se referme peu à peu. C’était, comment ne pas s’en rendre compte à présent, un cadeau de l’Histoire ; pas son cours naturel. Une étourderie de tyran, en quelque sorte. Ni la violence, ni la rouerie, ni l’avidité, pas même la mesquinerie, n’ont disparu à son contact ; bien au contraire. Il y aurait fallu l’épanouissement réel d’une culture du libre arbitre, l’apprentissage patient du discernement, fondé sur la connaissance ; on constate qu’ils font défauts, que nous parlons sans cesse d’une démocratie que rien ne fonde.

L’art et la culture ont perdu leur exigence vitale : vautrés dans la complaisance marchande, ce ne sont plus aujourd’hui que des idoles en ruine que d’anciens pouvoirs ont déserté.

La richesse des uns fait la pauvreté des autres. Les oligarques ont repris au peuple un à un tous leurs privilèges ; et cette rapine n’aura pas de fin. La course au capital financier et symbolique est devenue non seulement effrénée mais surtout le seul et unique mode d’existence prétendument « responsable ». Les opposants ne seront plus réduits par le feu ; la pauvreté suffit. Ramenant l’ordre, dans un calme carcéral.

L’Etat, lorsqu’il renonce à la « Providence », qu’il n’est plus garant des équilibres, ne sait plus être autre chose qu’un Etat policier protégeant les intérêts des oligarques globalitaires du « marché ». La technostructure est là pour effacer le politique par la « revolving door » public-privé (on remercie les « serviteurs de l’Etat » en leur permettant ensuite de pantoufler à la tête d’un grand groupe privé), éradiquer toute tentation alternative et asservir toujours plus le citoyen au marché. L’honnête homme, critique éclairé comme il se doit, sera partout pourchassé, criminalisé, empêché d’agir. On asséchera ses sources et ses ressources : sa culture comme sa subsistance. Son imaginaire, aussi : nous y sommes ! En plein !

Au moment précis où l’individu, par les formidables accès nouveaux au savoir, a enfin les moyens de son émancipation et de son affirmation en tant que Sujet, une ombre inverse plane : les algorithmes, les modélisations à partir des métadonnées semblent dire sur nous plus de choses que nous en savons nous-mêmes. L’individu ne compte plus, il s’efface devant la loi statistique des grands nombres. On ne parle plus en termes d’homme unique, mais en termes de millions d’hommes identiques, ou à champ de variation restreint. Les mêmes millions d’hommes que l’on jetait jadis dans le servage, l’usine, la guerre, et dans un registre moins douloureux, dans la consommation. La synchronisation née de la convergence entre la globalisation, la culture émotionnelle de l’image et les nouvelles technologies (ubiquitaires, en « temps réel » et composant avec l’humain un hybride nouveau) tend à convertir l’individu en simple servant d’une machinerie générale. Ce schème est connu : c’est la ruche, l’existence affairée et sans âmes des insectes sociaux.

La convergence entre l’éclipse d’un Sujet tel que le vieil humanisme tenta de l’instaurer et la synchronisation technicienne et émotive des individus ouvre devant nous des déserts terrifiants. Un monde vitrifié où il ne sera plus question, à nouveau, que de « matériel humain », et non d’Homme.

On fait nombre. On fait mouvement. On n’est pas là. En permanence, le Sujet est ré-impliqué d’autorité dans cette « masse » dont il ne saurait s’extraire sans menacer l’ordre des choses, par les sondages, les data bases, le règne de l’opinion publique, les trois ou quatre infos ressassée jusqu’à la nausée, les fausses exemplarités jetées en pâture par les journaux « people ». C’est le règne de l’homme quelconque qui n’existe pas mais qui sature pourtant le champ entier de l’existence…

Le million d’hommes, c’est plus personne. C’est l’individu nouveau façonné par l’inemployabilité, l’exclusion. L’homme inutile, et infiniment coupable de se savoir inutile. L’homme « variable d’ajustement » : des cadences, de la finance, de la guerre nouvelle, non déclarée, dont il est la victime civile, collatérale. Des noms. Des listes. Des statistiques. Plus de reconnaissance. A la place, des injonctions paradoxales (« Soyez libres mais complaisants », « singuliers mais identiques », « trouvez un travail quand il n’y en a plus », « pensez par vous-mêmes mais collaborez », « votez même si votre voix ne change rien »…) sous l’effet desquelles le sujet, peu à peu, se dissout. Par lassitude.

Ce sentiment de n’être pas compris. De n’avoir personne à qui envoyer un signal de détresse. Un immense isolement a circonscrit chacun dans le cercle opiniâtre de ses étroitesses personnelles. On se renferme. Le sujet, qui se rêvait naguère maître de lui-même et de sa destinée, a été réduit aux dimensions fonctionnelles de son être social. Quelque chose nous a piégé, là même où nous pensions connaître la libération. Après des siècles de servage, cette immense paralysie. Cette vide sidération. Cette vie empêchée. Une vie pour rien. Et la honte de ne savoir que faire.

Quel est ce peu qui nous reste ? Quel est ce peu qui résiste ? Le sentiment d’une présence diffuse. L’individu existe. Je le respire en moi. Je le sens à travers les fibres de mon corps, à travers ses énergies mentales. Mais quel individu ? Dès que je me raccorde à l’espace de mes semblables, me voici devenir foule, mu par la seule logique des grands nombres et des statistiques, aussi docile qu’un fluide dans un flacon que l’on incline tantôt dans un sens tantôt dans un autre, selon une volonté qui m’est parfaitement étrangère. La merveilleuse télévision, le fantastique savoir circulant des média, se sont transformés en outils de propagande quotidienne. Donnant le tempo de nos hallucinations collectives. Nous enfermant dans leurs rituels.

On ne veut plus habiter. Ni habiter l'ici, ni habiter sa propre vie. J'ai longtemps écrit pour mieux habiter : pour mieux m'éprouver moi-même, en connexion avec un dehors, avec un immédiat. Pour mieux retrouver l'autre. Pour mieux inscrire mon campement dans le territoire. Or tout ceci s'achève. La société devient liquide, fluide : passant d'un état à l'autre, d'une situation à une autre. L'organisation de cette instabilité, de ce mouvement perpétuel, est au bas mot ce par quoi Arendt définissait l'état totalitaire : jamais rien de fixe pour empêcher l'esprit de « faire le point ». L'Histoire (dont nous sommes comptables, qui inscrit nos vies dans un récit cohérent et un futur toujours à construire) est effacée. Le temps n'existe plus. Tout s'étire, hors sol comme on dit désormais. L'explosion du nombre des données disponibles se substitue à l'intelligence de ce peu qu'il nous faut comprendre : qui suis-je, que m'est l'autre, où me mènent ma liberté et ma conscience ? Aujourd'hui ce qui n'en passe pas par la superficialité du fluide est devenu inaudible : comme des ondes dans le spectre lumineux que l'oeil ne perçoit plus. La vitesse triomphe. La brièveté. C’est à cette vitesse, dans cette brièveté, qu’il nous faut parler ; au risque sinon de devenir imperceptible.

L’imposture va plus vite que notre discernement. Il faudrait ralentir. Revenir au temps de la conscience.

On vérifie tous les jours que la démocratie n’est plus l’option retenue par ceux que nous avions cru de bonne foi élire. On ne préside pas démocratiquement aux destinées d’un pays lorsqu’on s’assoit sur l’expression du suffrage universel ou que, faute de moyens alloués, on ne soigne plus les malades, on ignore les vieillards, on n’éduque plus la jeunesse, on raréfie le travail des actifs, on paupérise les demandeurs d’emplois, on stigmatise les minorités et les étrangers, on criminalise les opposants. Car alors le seul antidépresseur social, au milieu de tel chaos, c’est l’exaltation identitaire : et l’on sait où tout cela nous mène.

Les enjeux qui se posent actuellement à nous, peuples d’Europe, échappent par leur ampleur à la simple gouvernance des technocrates, à leur « business as usual » et à leur suffisance : car ils sont l’Histoire. L’Histoire tragique, bouffonne et tragique.

Dans un tel contexte, la Presse joue un rôle ambigu. Si la multiplication des canaux d’information ne permet plus aujourd’hui de spéculer sur l’ignorance, en revanche jamais le fossé n’a été plus grand entre l’accès à une masse considérable de données et la conscience claire des choses. Avec l’irruption du web et du web mobile, nous sommes passés de l’information, objet intellectuel, au contenu, objet technique. Un objet technique globalisé qui ne sert qu’à enfermer en un même « climat d’idées » les individus standards de la nouvelle société synchronisée; et qui ne relève plus de la pensée. L’intelligence collective naît du difficile passage entre le fait et sa signification. Mais dans un monde interconnecté, hautement réactif, où tout a de l’influence sur tout, la surinformation, bien loin de fournir des repères utiles, est devenue l’une des causes principales de la passivité contemporaine et de ses corollaires directs, la peur du changement et la démoralisation.

C’est ainsi que l’idéologie, avec son culte absolu de l’univoque et sa haine de la complexité et des nuances a partout repris la main. Aujourd’hui le secret le mieux gardé est en pleine lumière, au centre aveugle de l’imagerie en continue. Un constant dressage des citoyens à l’adhésion inconditionnelle a remplacé l’éducation à l’esprit critique d’autrefois.

Désormais le Pouvoir est sans forme et sans contrôle : il s’est volatilisé. Qu’on en prenne le siège, on découvre une place vide, comme l’avait dit Foucault. C’est que cette place est aussi en nous, dans nos habitus, nos routines. Il est dans les technostructures même de nos sociétés et nos réflexes de pensée. Plus ces technostructures se précisent, avec leurs normes et leurs règlements apparemment « objectifs », « techniques » « de bon sens », plus l’étau se resserre tout autour du champ des possibles ; jusqu’à se réduire à la pure voie royale des oligarques mondialisés, au jeu de leurs intérêts bien compris.

Comment s’étonner, dès lors, de la perte progressive des savoirs émancipateurs, au profit de l'autorité restaurée de la religion ? Croire, mieux que savoir. Croire, pour détruire le savoir et la liberté qu'il suppose. Car ne sachant que faire de la liberté on tend toujours à la détruire, pour ne pas assumer la responsabilité individuelle qu'elle suppose.

Plus la société devient complexe, plus elle se fragilise ; plus elle sort ses polices. Mais ces menaces explicites ne sont que la forme de sa propre impuissance. La « ville intelligente » que l’on nous promet pour demain n’est séparée du chaos le plus incontrôlable que par l’épaisseur d’une feuille de cigarette. Et tout le système ne tient que par l’oubli de cette épaisseur-là. Le vertige des périls nous pousse à sanctifier nos solutions toujours précaires. Plus de complexité, plus de périls et plus de dogmes qu’on ne saurait remettre en cause.

La situation actuelle, c’est que les oligarques sont en train de militariser leurs polices à l’encontre de leur propre peuple (« guerre asymétrique » contre l’ennemi intérieur) et de dresser les peuples non alignés à coup de tapis de bombes, dans des opérations illégitimes considérées, non pas comme des conflits ni même comme ingérence, mais comme de simples actions de « maintien de l’ordre » ; les globalitaires sont en train d’unifier pratiques, pensées et sentiments, synchronisant entre eux les individus au point de faire de cette Terre une ruche industrieuse entièrement sous contrôle ; les totalitaires sont là pour asservir les derniers insurgés et imposer le retour à l’ordre ; d’eux vous ne voyez que des sourires à la couverture des magazines People, et ces images d’un bonheur de riche près des piscines, des jets privés et des Lamborghini ne sont que les piécettes que ces Olympiens jettent au peuple avec dédain. Libre à celui-ci de les ramasser servilement ; ou pas.

Il n’y a pas de confiance sans goût de l’avenir, il n’y a pas de goût de l’avenir sans confiance. Notre manque de confiance actuel trouve son origine dans la culture de l’impuissance où nous baignons depuis la victoire de l’idéologie globalitaire. Le global est sans reste et sans échappatoire. Seul le retour de cette seule conviction que l’avenir nous appartient, nous citoyens, peut réveiller la confiance ; et donc l’avenir lui-même, que nous transformons à chaque pas en sa direction, à chaque pensée que nous lui adressons. Rien d’écrit : tout à faire, tout à inventer.

Le Pouvoir consiste à multiplier le nombre de ses obligés. A ce titre, pouvoir et corruption marchent main dans la main. Cependant, quid de ceux qu'on n'a pas pu corrompre, soit parce qu'ils s'y refusent, soit par ce qu'ils sont trop nombreux ? Il faut les tenir par une dette supposée. Pour accepter de se soumettre au pouvoir, il faut lui devoir quelque chose. La dette est au coeur de la constitution même du pouvoir. Ceux que le pouvoir n'achète pas, le pouvoir les endette. Lui seul décide qui seront les barons, qui seront les valets. La dette constitue une rupture d'égalité, le retour à l'équilibre ne pouvant se faire avant l'extinction complète de celle-ci, c’est-à-dire jamais. Pérenniser une dette, c'est pérenniser le principe d'inégalité, c'est-à-dire l'instauration d'un régime a-démocratique. C'est tout le génie de cet instrument politique que représente « la dette » : elle culpabilise le citoyen au point que celui-ci s'estime lui-même coupable du déficit démocratique dont il est de fait la victime.

La fin de la pensée globale coïncide avec la globalisation des échanges. La confusion n’en est que plus profonde. Mais des signes sont là qui attestent d’une certaine volonté de mutation. Nous sommes coincés dans une période de transition, mais il n’est pas impossible que nous soyons contemporains d’un basculement vers autre chose. La crise de l’universalité, par exemple, est un élément essentiel pour repenser ce que j’appelle l’Un-Divers. Ce que nous tenions pour des marges, des périphéries, sont en passe de nous donner une leçon infiniment précieuse : il n’y a pas de centre. Il n’y a pas de direction. Ou alors tout est centre et tout est direction. La pensée en réseau, grâce à Internet, prend corps. Cela rend plus concrète une pensée qui, bien évidemment, précède la Toile. Tirons toutes les conséquences de cette pensée en réseau. Celui qui saura avancer dans ce paysage mental inédit verra des rivages nouveaux.

Il faudra, pour pouvoir aller vers l'Autre, passer de la tolérance à la rencontre, du dialogue à l'inspiration, de l'acculturation assimilatrice à la créolisation véritable. Ce n’est que lorsque nous aurons libéré l’avenir de la fatalité où certains avaient tout intérêt à le maintenir que nous recommencerons à vivre en hommes libres et conscients.

L’impératif catégorique de « s’adapter » absolument et strictement à un nouvel ordre des choses, par ailleurs mouvant et non strictement défini, tient lui aussi de l’injonction paradoxale. On ne peut s’adapter qu’à ce que l’on connaît. Or ce qui vient reste en grande partie méconnu ; pensez qu’aucune « agence de notation » n’avait prévu la crise des subprimes qui a emporté la planète, quand les mêmes entendent désormais dicter le contenu et le rythme des réformes ! S’adapter d’accord ; mais à quoi ? Au lieu de rigidifier les cases et de normer toujours plus nos technostructures, on devrait au contraire laisser des vides, du jeu ; c’est par là, et par là seulement, que s’insinue le possible. On n’a pas autorité sur l’avenir, et ce n’est pas en prenant des mesures contraignantes que l’on peut avancer vers lui. Par contre l’attitude que l’on adopte à son égard le modifie en profondeur. La grande stupidité de l’époque que nous traversons consiste à prétendre que les choses sont déjà toute écrites ; qu’il suffit de flexibilité ici (côté citoyen), de rigidité là (la fameuse « rigueur » politico-économique).

Qu’aurons-nous été d’autres que des voyageurs grisés à la portière d’un train fou, accoudés à nos vitres baissées tandis que file le paysage dans le ballet où se croisent et se décroisent incessamment tous les plans du visible, goûtant avec délice cette seconde suspendue à l’abîme, ivresse, juste avant de glisser dans le noir ?

1975-2015. 40 ans de crise n'en est plus une : c'est un régime. La « crise » ne nomme pas un accident, mais un régime politique. Non que le régime traverse une crise : la crise est le régime politique lui-même. La marque du coup d'Etat dont nous sommes les contemporains et les victimes.

Que la crise soit aussi l'occasion, le moment opportun ; car de l'incontrôlable s'est introduit dans la structure. Et le régime qui croyait étendre grâce à elle le champ de son autorité se trouve aussi exposé comme jamais à ce qui le condamne.

Laissons-leur tout.

Privons-les de nous.

Vivons libres : nous n'avons besoin ni de leur cynisme ni de leur avidité. Moins encore de leur façon d'organiser tout cela en notre nom.


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