Remparts de Saint-Malo côté port (Bretagne, France) copyright Pline
Avec ma belle, vu le peu de vacances que je vais avoir cette année, l’idée de profiter d’un des nombreux ponts du mois et de s’extraire de l’Ile de France a germé et Saint-Malo a pris forme très rapidement. En arrivant dans cette ville dont certains me disaient qu’elle n’était pas normande, plutôt bretonne, mais surtout malouine, j’ai d’abord avant tout été surpris par la grandeur de la ville. En fait, je m’étais construit une ville dans ma tête qui était très loin de la réalité. Et parfois, il est bon que la fiction ne s’apparente pas à la réalité. Le voyage devient alors une succession d’étonnements. Parce que Saint-Malo vaut bien le détour. Cette ville est portée par le poids de son passé, de son héritage d’ancien refuge pour les corsaires du Roi de France. Les nombreuses fortifications sont là pour témoigner de cette héritage militaire. Avec des forts en avant-garde posés sur les rocs, au-dessus des marées. Avec les fameux remparts qui entourent la vieille ville de part en part. Je crois que ce qui est le plus impressionnant, cette ville haute, arrogante de part sa stature, bâti dans une uniformité toute militaire, quasiment encerclée par les eaux.Saint-Malo, c’est aussi cette longue plage, où la fiction peut se remettre en place pour imaginer les grandes marées fougueuses qui doivent s’abattre en temps de tempête. Une coquette petite ville de province, une entrée en matière en Bretagne, qui à mon humble avis est plus que prometteuse. Alors, s’il faut ajouter à cela, le fait que la crème de la littérature francophone et mondiale était dans la place, pour parler façon gangsta, vous imaginez bien que pour moi, ce week-end fut beaucoup trop bref.
Mwanza Mujila et sa congolité J’avais déjà eu le plaisir d’échanger avec Fiston Mwanza Mujila, auteur d’un fantastique roman ayant reçu un bon accueil de la part de la critique littéraire parisienne. Mais, écouter l’auteur congolais dans le contexte de ce festival a été une très belle expérience. On peut dire que j’ai choisi la facilité et j’aurais pu aller découvrir le volubile Miguel Bonnefoy qui intervenait à la même heure dans une autre salle du bien-nommé hôtel du Nouveau Monde. Nasser Mwanza Mujila a pu pendant cette rencontre s’exprimer sur son écriture, sur la spécificité de prendre pour terrain d'expression la RDC, pays démembré, violenté par le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Le poète congolais explique aussi que Tram 83 est un réceptacle de ses projets littéraires précédents et voit s’entrechoquer la forme du théâtre, la poésie, la nouvelle, etc.
Fiston Mwanza Mujila rit. Et il fait rire une assemblée curieuse et conquise. De cette jubilation congolaise qui, sans ignorer les périls du lendemain, invite l’individu à croquer la vie pleines dents. Si le pays peine à se construire, l'individu devient son propre pays et il redéfinit sa donne. Mwanza Mujila explique ainsi une forme de narcissisme exubérant chez ses compatriotes.
Vous avez dit Afropolitains?Afro-européens, Afropéens, Afropolitains, nègres d’Occident, blacks : des mots pour définir, pour identifier, pour qualifier. En l’occurrence, pour le débat qui devait avoir lieu dans le majestueux hôtel L’Univers dans les murs de la vieille ville, tout aussi bien nommé, la question de l’identité a été au coeur des échanges entre Fiston Mwanza Mujila, Gauz et Taiyé Selasi, auteure de l’essai Bye-Bye, Babar! dans lequel l’essayiste anglaise conceptualisait son expérience personnelle et celle de nombreux britanniques ayant des origines africaines. Afropolitains, donc! Sophie Ekoué, modératrice, a engagé l’auteure du Ravissement des innocents a développé son point de vue. Afropolitain est un terme qui couvrirait tous afro-descendants, nés ou ayant grandi en Occident et qui, en raison du regard de l’autre, sont renvoyés à des origines Africaines. Mais aussi l’expérience faite au Nigeria, qu’elle n’était pas tout à fait Nigériane…
Mon avis sur cet échange est le suivant : Dans le discours de Taiye Selasi, il y a naturellement des choses qui peuvent me parler. Ce fameux regard de l’autre. Cette éternelle question qui vous est posée quand votre taux de mélanine est disproportionné : « D’où venez-vous? ». Certains sont surpris que je réponde « mais je viens du Rhône, vous le voyez bien, c'est écrit sur mon CV! ». Mais, je me pose toujours la question de savoir ce que certains de mes cousins, je parle de membres du clan Ngangoué, qui n’ont jamais mis les pieds en Afrique depuis leur arrivée en bas âge en France, peuvent bien répondre à cette question. Parce qu’on est noir, il y a une injonction à l’origine et une nécessité d’affirmer une filiation avec africaine. Et cela même si les valeurs françaises abreuvent pensée et choix de l’individu trahi par sa peau. Ici, la question du regard de l’autre et de son acceptation ou pas se posent. Peut-on être français et noir? L’expérience de Selasi vaut pour l’Afrique aussi. A l’âge de 10 ans, je me suis retrouvé dans un quartier populaire de Brazzaville, moi le natif du Rhône. Dans ce quartier où tous les enfants trépignaient en lingala, on m’a longtemps appelé Moundélé. Autrement dit le Blanc. Imprégné de la culture, de l’accent français, j’étais un extra-terrestre dans ses rues sablonneuses. Il a fallu lisser les aspérités pour progressivement passer inaperçu. 10 ans après, alors étudiant à Abidjan, certains amis me reprochaient amicalement de chokoter, autrement dit, de singer le Blanc, avec mon accent et mes formules.
Je comprends donc très bien le point de vue de Selasi, sans avoir vécu mon adolescence dans une
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banlieue difficile. En même temps, mon expérience au Congo et en Côte d’Ivoire me permette d’être détendu par rapport à ces questions et dire comme Gauz : « Allez vous faire voir, avec vos catégorisations! ». Cependant, la position de Gauz est un luxe. Il faudrait lui donner certainement plus la parole face à des jeunes qui se sentent exclus de la société. Avant de partir sur des considérations de classes sociales, il ne peut dire à un jeune des cités aussi facilement de faire fi du regard des autres. Gauz est une réappropriation du nom par lequel sa grand-mère l’appelait. l’auteur ivoirien a donc la possibilité de choisir son nom de scène en recherchant dans son patrimoine familial. C’est un luxe qui n’est pas donné à tous. Son rejet même de l’héritage historique est une posture dont j’ai senti que Taiye Selasi avait du mal à saisir. Il est soyinkiste et fanonien. Senghor aurait été pendu sous ses diatribes. Enfin, c'est une façon de parler... Naturellement, Gauz pousse le curseur loin. Fustigeant la négritude en oubliant de la remettre dans son contexte. En même temps, je pense que ce qui l’horripile, c’est que des concepts comme l’« Afropolitain » font terriblement écho à des combats d’arrière garde. Nous sommes donc en pleine incompréhension. Disons que pour Gauz, le problème est celui de la lutte des classes, tout le reste n’est que supercherie et diversion.Tram 83 parle pour Fiston Mwanza Mujila. Dans ce roman transpire le Congo. Dans ses rêves, enfant, il enfantait le fleuve. Rêves prémonitoires, car que fait ce jeune romancier si ce n’est réinventé le Congo? Il en parle avec tellement de passion… Pour, la question ne se pose pas. Sa posture d'équilibriste n’est là que pour adoucir les mots explosifs de Gauz. Il est congolais, bien dans ses basques. Il porte en lui la violence, la joie et la folie d’un pays. On comprend en écoutant Mwanza Mujila qu’il n’a pas besoin du regard de l’autre pour exister. On retrouve chez cet auteur, une forme de posture patriotique qui caractérise beaucoup les congolais de Kinshasa. Une sorte de fierté, une conscience de soi malgré la folie à laquelle renvoie leur pays. N’est-ce pas cette folie qui peuple son écriture et sa narration. On ne peut pas décrire le Congo affirme-t-il! Quelle formidable matière pour un prosateur…
Le débat s’est brutalement assagi quand Sophie Ekoué a ramené nos auteurs sur la littérature. Mais cette matière fut assez dense pour saisir les mondes qui séparaient ces trois auteurs noirs…