En des temps reculés, des centaines de fessiers auparavant euh... de lunes et à une dizaine de lieues de Paris, juchait au bord d'un lac un village sombre nommé le lieu noir. La forme et l'odeur poissonneuse de cet endroit lui ont valu cette appellation pour le moins écailleuse.
En son sein, dans la rue principale, trônait une minuscule échoppe mais néanmoins lumineuse.
Elle se trouvait au croisement de la rue Merlu et de la rue Goberge, rue qui menait à la Goberge du Lac, une goberge de jeunesse. Elle arrondissait l'angle d'un bar devant le panneau " arête ", le " Stop " n'existait pas encore.
Un vieil homme chenu, Monsieur Colin, tenait ce bazar ordonné, dédié à la lumière intérieure et ses pendants comme les bougies, lanternes, lampions, chandelles et leurs accessoires ou autres nécessaires de fabrication. Empreint d'une sagesse peu économe de ses étincelles, ce commerçant débonnaire nimbé d'une aura magnétique, cultivait l'accueil et la simplicité pour le plus grand bonheur de ses clients. La réputation de son établissement s'étendait par delà les montagnes, moins pour la qualité de ses produits que pour ses mystères étranges.
Un jour plus tard, après deux veilles réunies, vint un chaland en quête de ces précieuses marchandises. Il entra chez Monsieur Colin, la porte grinçait avec un son presque musical.Il fit un rapide tour d'horizon des étals, précis et décidé.Monsieur Colin intercepta son regard et lui dit à peu près ceci :
" Bonsoir Monsieur Finé! Si je puis me permettre, ne cherchez plus. Vous ne les trouverez pas dans la boutique. "
Le chaland resta interdit quelques secondes, le temps officiellement reconnu de recouvrer ses esprits et enchaîna :
" Bonsoir aussi, comment connaissez-vous mon nom et ce que je cherche ? "
- " J'exerce humblement mon métier, je m'efforce de parfaire l'écoute du client et l'expérience faisant... ", marmonna Monsieur Colin évoquant en fin de phrase le son inconnu du point de suspension.
- " J'en suis ravi, vous confirmez votre magique notoriété cher Monsieur ! ", dit Mr Finé.
- " Je m'en vais quérir vos bougies à l'atelier, veuillez patienter Monsieur Finé ! "
Monsieur Colin partit donc dans l'arrière salle, dite " l'atelier ", en raison de sa fonction évidente bien qu'aucun matériau, ni aucun outil n'y fussent apparents. Il se dirigea vers deux petits coffrets datés du jour puis extraya du premier une bougie blanche. Le second coffret était fort différent plus proche de l'écrin ; il en retira cette fois une bougie d'un mauve profond, innocent et surtout frissonnant. Oui ! Frissonnant !
" Ton heure est venue Candélina, reste calme ! ", émit Monsieur Colin télépathiquement à l'attention de la jeune et frêle bougie dont l'émoi vermillonnant soutenait des teintes peu crédibles pour un mauve.
Candélina se préparait depuis l'aube des temps, depuis sa naissance, quelques heures plus tôt, pour ce jour spécial où elle brandirait pour la première fois sa flamme, sa mission, son essence.
D'un tempérament fougueux et enthousiaste, toujours étonnant pour un mauve, elle peinait à contenir sa joie et sa mèche rebelle. Elle pensait avec obsession et menue présomption:
" Je suis lumière, j'éclaire, j'illumine, halo halo, je réponds à tous les appels de la nuit pour irradier l'obscurci ."
" - Calme toi ! ", lui susurra Monsieur Colin pendant qu'il retournait à la boutique.
Il présenta à Monsieur Finé les deux coffrets sobrement tels une évidente et logique réponse à sa demande en la soulignant par un succinct et performatif " Voilà !".
Le chaland Finé afficha à cet instant un sourire empathique et complice puis demanda à ce que les bougies fussent mises dans un seul et même coffret. A sa grande surprise, Candélina fut très mais alors très déchue, de son trône impérial, imaginaire et solaire régnant au firmament des éclairages mondains. Comme une vulgaire bougie, elle gisait à côté d'une blanche normale, fade et de surcroît silencieuse, dans la même boite qui prenait pour l'heure des allures funéraires.
" Eh toi ? Dit-elle à la blanche, je suis lumière, j'éclaire, j'illumine, halo halo, je réponds à tous les appels de la nuit pour irradier l'obscurci ! J'accepte cette promiscuité passagère mais après, tu m'oublieras, j'ai des salles de bal à surexposer moi... "
La blanche ne dit mot, ne laissa filtrer aucun signal ; c'était un millésime plus ancien, déjà allumée par le passé quelques fois, à l'occasion de soupes improvisées telles des parenthèses à la rigueur hivernale au coin d'un maigre feu. Elle avait déjà vécu la blanche !
Alors que cette dispute unilatérale faisait rage, Monsieur Finé quitta l'établissement Colin pour rejoindre la diligence du soir et son équipage fringant. Il était nuit et faisait tard environ.
Deux heures plus loin, l'équin convoi foula le pavé de ce qui pouvait ressembler à une cour de château puis s'immobilisa ; la porte s'entrouvrit comme pour dire :
" ça y est Candélina, tu touches au but de ta vie ! "
Difficile de voir à travers un coffret clos.
Les secousses suivantes évoquèrent quelques paires de pas, un escalier, un couloir de parquet puis un bruit sec retentit sur une console de verre. Le coffret était enfin posé, l'impatience régnait en maîtresse.
La bougie mauve n'en pouvait plus, non point à cause d'une vessie pleine, une bougie n'en possède pas, pas même Candélina qui, du reste, n'était pas prévue pour les lanternes. Elle présumait ou plutôt pressentait les mouvements de Monsieur Finé, trépignait et vibrait simultanément dans un ballet invisible pour les mortels mais fracassant pour elle alors que la blanche, imperturbable restait de marbre.
" Mais quand donc cette boite va t-elle s'ouvrir ? " S'interrogea t-elle avec frénésie.
Ce silence d'instants prometteurs s'éternisait depuis un chapelet de secondes quand soudain, le clic béni d'une joie annoncée déclencha l'entrebâillement de l'étui boisé.
Par cette fenêtre opportunément improvisée, Candélina engouffra son regard curieux et conquérant. Un grand hall bourgeois orné de colonnes infinies dévoilait ses atours dans une faible clarté malgré une lune rousse aux reflets irisés. Il distribuait les pièces généreusement.
La vision de cette entrée, qu'elle tint, dans sa fantasmagorie, pour un palais, lui valut une larme paraffinée mais non grossière. Elle se mit à rêver de l'immensité de l'une des salles, dédiée aux bals pompeux qu'elle éclairerait, à elle seule, de sa petite flamme dont la puissance souhaitée éblouirait tout candélabre dodéca-branché.
Sur la console d'en face, près de la porte d'en face, un lot de bougies d'en face. Cela tomba pile.
Le sieur Finé arriva et prit l'une d'entre elles qu'il mit sur un bougeoir modeste. Il entra par la porte d'en face dans ce qui s'avéra, un placard. Il en ressortit en y laissant la bougie puis en saisit une autre pour dérouler le même scénario avec la porte d'à côté qui était aussi une porte d'en face mais moins en face et plus à côté.
A nouveau déchue, le stress et l'angoisse l'envahirent peu à peu, une lueur d'espoir demeurant encore rassérénante.
Soudain Finé s'adressa à une tierce personne alors qu'ils n'étaient que deux :
" J'ai fait tous les placards sauf un et il me manque une bougie. "
A l'écoute de cette phrase, la petite bougie mauve fut atteinte d'un effroi brûlant, la condamnant au silence et à l'oubli pour éviter toute sélection impromptue. Mieux vaut être oubliée que mise au placard, pensait-elle.
La blanche quant à elle, affichait un air stoïque et discret.
Les heures passèrent mais arrêtèrent le temps qui lui, ne semblait pas passer.
Candélina se consumait sans être allumée, se lamentait :
" Pas le placard, pas le placard.... "
Alors que l'orgueil s'amenuisait au fur et à mesure que la sablier s'égrenait, sa maxime favorite évolua jusqu'à ce stade :
" Je suis lumière, j'éclaire, j'illumine, halo halo, je réponds à tous les appels de ma nuit pour irradier l'obscurci ! "
Des heures de réflexion pour une seule lettre changée, un M ?
Pourtant, cette lettre allait faire toute la différence.
A peine cette maxime revisitée et entérinée que Monsieur Finé surgit, muni d'un chandelier.
Il y plaça Candélina, rétive et la quiète blanche puis rejoignit la porte du fond d'en face et d'à côté qui jouxtait celle de l'autre côté du fond.
Elle avait peur la mauviette et en comprit l'étymologie aussitôt.
" Pas le placard, pas le placard ", serinait-elle.
Toutefois, la présence sobre de la blanche lui conféra quelque assurance.
Finé franchit le seuil, révélant son cabinet et, dedans, son bureau sur lequel il s'empressa de déposer le chandelier. En voyant l'honorabilité de cette pièce, fort bien pourvue au plan dimensionnel, Candélina se décontracta doucement ; elle goûtait progressivement la compagnie de la blanche, non plus en rivale mais en partenaire. Ses idées devinrent plus claires et lumineuses. Elles allaient, toutes les deux servir Monsieur Finé, le soutenir et l'inspirer par leurs flammes respectives durant son travail.
Cette perspective inattendue, dans le partage, lui ouvrit des horizons vierges d'à-priori mais regorgeant de promesses.
Vint le tour de la blanche qui, contre toute attente, exprimait sa magnificence également.
Le bureau de Monsieur Finé libéra ses couleurs changeantes sous un nouveau jour et accueillit les ombres dansantes harmonieusement.
" Mon futur bureau, dans la grand salle, est-il bientôt prêt ? " demanda Finé à la toujours tierce personne de la porte du fond d'à côté qui, en l'occurrence était en face dudit point de vue. "
- " Oui " , répondit celui-ci à la troisième personne, alors qu'ils n'étaient que deux.
Un bureau plus grand ? Avec la blanche dans la grande salle ? Et peut-être d'autre bougies ?
Houra, houra, houra ! S'écria Candélina.
" Dis-moi la blanche, comment t'appelles-tu au fait ? " lui lança t-elle avec respect.
- " Je m'appelle comme je suis, Blanche, car je suis ce que je suis ", confirma Blanche.