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Quand on évoque SDZ records dans les colonnes d’Hartzine, le sentiment premier est celui d’une proximité, d’une connivence. D’un esprit, de goûts. Un lien affectif naturel consacré trop évasivement lorsque Nicolas, instigateur du label et de celui exclusivement cassette Crudités, prenait la plume pour nous sous l’alias Max Dembo le temps d’à peine plus d’une dizaine de chroniques, se réconciliant pour un temps à l’activité première de SDZ : le fanzinat 1.0. Une indicible adéquation avec le catalogue du label, dont on a souvent fait échos, qu’il s’agisse des plus ou moins récents Dan Melchior (lire), Old Mate (lire), Armure (lire) ou Space Blue (lire). Avec quinze années au compteur, SDZ est un témoin privilégié de la scène indépendante et expérimentale hexagonale, celle désormais consacrée par les identifiés Villette Sonique et autre Sonic Protest, mais qui se résout la plupart du temps à des salles de petites capacités, humant l’alcool, la transpiration et l’urine. La veille du top départ d’une série de quatre soirées itinérantes célébrant ces quinze plombes, entre Dj-set et concerts au Zak Bar, à l’Olympic, à la Mécanique Ondulatoire et à la galerie Treize, on lui a posé quelques questions et soutiré une mixtape anniversaire à écouter et télécharger plus bas. Fête.
Nicolas SDZ, l’interview
Nicolas w/The Rebel
SDZ Records a dix ans. Peux-tu nous dire d’où tu viens, quel est ton parcours et ce qui t’a conduit à créer ce label ?
Je suis de Paris mais le label s’est créé à Québec, rue d’Aiguillon, dans un appart situé au-dessus d’une quincaillerie. C’est un détail anodin mais qui donne un indice sur le côté bricolo et artisanal du label depuis ses débuts. A l’époque je traînais avec Les Vipères, un groupe punk dont le chanteur – Vince Posadzki – habitait dans la même rue. Leurs concerts étaient hyper sauvages et je n’en manquais pas un, ça mettait du piment dans ma vie étudiante. C’était un peu les petits cousins éloignés des Dogs et de Starshooter et ils se sont mis en tête de faire une tournée en France. J’ai sorti un 45 tours pour l’occasion, un split avec un groupe nancéen (dans lequel on retrouvait King Automatic), en co-production avec le label de Stéphane Dufour. Stéphane tenait depuis le milieu des années 90 un site web formidable, le Fourdu WWW, regroupant plein d’infos sur ses groupes et labels favoris. C’était, il me semble, un des premiers sites web musicaux en France. Les Vipères ont fait trois tournées dans l’hexagone et Vince est maintenant installé à Paris, il joue actuellement dans T.I.T.S et Délicieux Enfant. Suite à cette première sortie je ne pensais pas qu’il y en aurait d’autres. Mais SDZ était aussi et surtout, depuis 1997, un fanzine et un site web que je faisais avec mon pote Laurent. Etant en contact avec pas mal de groupes, d’autres disques sont sortis par la suite, petit à petit. Et puis en 2011 j’ai aussi créé un label K7, Crudités.
Si tu devais établir une chronologie de cette histoire, quelles dates retiendrais-tu et pourquoi ?
C’est difficile à dire car il n’y a pas eu tant de sorties – une vingtaine sur SDZ, une dizaine sur Crudités – et puis j’aime aussi tous ces moments, entre les sorties, où le label est un peu en veille. En fait, plus que des dates, ce que je retiens ce sont principalement des rencontres. A part Vince, il me faut citer le Anteenagers Music Club sans qui mon retour d’expatriation – c’est à dire mon sevrage de sirop d’érable et de Labatt 50 – aurait été beaucoup plus difficile. Ils organisaient des soirées au Ménestrel, sorte de vrai-faux bar clandestin dans la cave d’une pizzéria à la Butte aux Cailles et j’y croisais toute la clique de la boutique Born Bad des débuts (No Talents, Splash Four, etc.) et d’autres aux goûts et aux styles iconoclastes. Il y a eu aussi Ben R. Wallers (The Rebel, Country Teasers), un artiste anglais fantastique dont j’admire l’esprit, l’indépendance et l’humour. Comment ne pas aimer quelqu’un qui a sorti un disque intitulé Full Moon Empty Sportsbag ? Et puis bien sûr il y a Cheveu, un groupe définitivement ovni et attachant et des gars très drôles qui ont contribué à relancer la chenille en France et avec qui je suis devenu pote. Je ne peux pas oublier non plus la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est avec Plastobéton et tous ces groupes qui jouaient sous un pont de l’A31. Ils ont remis un peu de crasse dans les MP3, c’était salutaire. Je pourrais citer encore beaucoup de monde: des Mantles à Dan & Letha Melchior en passant par plein de labels (Les Disques Steak, Les Disques Flow, Killedbyanaxe, Bruit direct disques, etc.), des disquaires fermés (Sonic Machine, Bimbo Tower) et surtout des passionnés qui traînent dans des concerts d’assos parisiennes comme Les Barrocks, Arrache toi un œil, Le Non Jazz ou feu Get Action! – une asso qui officiait au Gambetta, un bar de la rue de Bagnolet dans le XXième.
Artwork Drosofile – Mal
Quelle est l’esthétique et la philosophie défendue par le label ? Quels sont tes modèles en termes de maisons discographiques ?
Je ne sais pas s’il y a une esthétique ou une philosophie particulière. Je recherche des musiques qui ont du caractère, sans guillemets abusifs. Des musiques que je peux écouter à l’infini, comme un visage qu’on peut regarder toute sa vie sans se lasser. Et puis il faut que le courant passe avec les groupes. Même si c’est en silence. Après c’est vrai que les premières sorties étaient plutôt punk ou garage mais ça c’est ouvert au fil des années à d’autres styles (pop, psyché, électro, je ne sais pas les étiquettes qu’il faut mettre) car je n’ai jamais écouté qu’un style en particulier. Au-delà de ça, je revendique simplement un côté artisanal. J’essaye de faire du sur-mesure et de me donner à fond pour chacun des groupes dont je sors un disque ou une cassette. Je ne vis pas de ce label donc je prends le temps d’écouter, de choisir, de traîner, de galérer. Je n’ai pas envie de trouver un distributeur, d’être sur les plateformes numériques, de bosser avec des agences de promotion ou des tourneurs. Tout ça, en grande majorité – il y a des exceptions heureusement – , ce n’est que l’industrie musicale et ça ne me parle pas du tout. Pour ce qui est des labels qui ont pu m’influencer je pourrais citer In The Red, Estrus, Siltbreeze, Mississippi, Goner, Honest Jon’s, Hozac, Sweet Rot, S-S records, RIP Society ou Bedroom Suck. Mais mes modèles ce sont avant tout ces labels amis qui m’ont aidé au fil des années: d’abord Lili & Jacko de Royal records & Polly Maggoo Records, Born Bad – qui, même s’il aime bien utiliser l’expression « machine de guerre » a gardé un côté artisanal, le défunt Yakisakana, Pouet!Schallplatten, Bruit Direct disques, Les Disques Steak, Killedbyanaxe, Tanzprocesz et beaucoup d’autres.
Entre Cheveu, Elg ou Dan Melchior pour ne citer que quelques exemples, comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu vas travailler et quelle relation as-tu envie de développer avec eux ? As-tu envie de suivre des artistes sur la durée, ou de piocher en fonction des opportunités ?
Je vais voir beaucoup de concerts, j’ai beaucoup d’amis passionnés de musique et je zone sur la toile au gré de clics hasardeux. Donc j’écoute, j’écoute, j’écoute inlassablement jusqu’à tomber sur quelque chose qui, j’espère, pourra devenir addictif, vital, en résonance avec un intérieur qui me constitue mais que j’ignore encore beaucoup. J’aime particulièrement les premiers enregistrements des groupes, un peu ratés, un peu bancals mais qui débordent d’amour ou de peur, de dégoût ou d’envie. Ceux-là sont rares. Ils sont dans le confort de l’anonymat, parfois derrières des murs de culpabilité ou de doute. Leurs auteurs souhaitent les préserver, ce qui veut dire autant les envoyer à des labels établis en qui ils ont confiance que ne jamais les sortir. En tant que label artisanal à moyens réduits et à activité inconstante, je n’attire pas forcément l’attention de ces artistes. J’ai donc tout un travail de recherche à effectuer et ma curiosité est mon seul guide. Le label n’a pas les moyens de suivre des artistes sur la durée, j’essaye donc d’ouvrir des pistes ou de mettre le pied à l’étrier. Cela ne m’a pas empêché de sortir plusieurs disques des Vipères & Vince Posadzki, les Bellas / Limiñanas ou The Mantles et de solliciter à plusieurs reprises pour des morceaux Anteenagers M.C, Pierre & Bastien ou des membres de Cheveu pour quelques side-projects sortis des oubliettes.
Créer un label, c’est avoir un rapport particulier à l’objet, le disque et l’artwork. Quel est le tien et jusqu’où as-tu envie de le pousser ?
J’aime laisser beaucoup de liberté aux groupes à ce niveau-là. C’est un dialogue mais, très souvent, quand j’aime leur musique, j’aime aussi leurs idées pour l’artwork. De toutes façons, il faut que le disque ou la cassette plaise aux groupes autant qu’à moi, c’est le seul et unique objectif. Parfois j’ai fait appel à des illustrateurs que j’apprécie comme Pierre Tatin de La Secte du Futur – les compilations Tartare de subconscient infini, Marécages Restauration et Réviviscence Ectoplasmique – ou Arturo Medrano – l’album de Space Blue. Et puis dans l’ombre, j’ai l’aide précieuse de mes amis Steak et Manue pour les finitions et autres vérifications. C’est important aussi et je considère qu’ils sont une partie intégrante du label !
Artwork Èlg – La Chimie
Quel est le format de prédilection du label et pourquoi ?
Je ne sors quasiment que du vinyle et mon format préféré est le 45 tours qui, malheureusement, semble de moins en moins populaire. La cassette c’est un peu de nostalgie mais aussi beaucoup de fun et ce n’est finalement pas si éloigné de l’esprit quincaillerie sonore des débuts, ça colle bien aux enregistrements maison qui se développent depuis plusieurs années.
Quel est le futur proche de SDZ Records, notamment en termes de sorties ?
Il n’y a rien de réellement fixé pour le moment. Je continue à scanner plein de trucs. Je reçois pas mal de démos. J’essaye de tout écouter. Parmi mes envies, il y a celle de de sortir des disques de rap car j’en écoute depuis longtemps. Et puis l’album de Space Blue est encore chaud, je le recommande pour cet été, c’est un bon trip (lire).
Tu fêtes du 4 au 7 juin les quinze plombes du label. Peux-tu nous présenter cette série d’événement : qu’as tu voulu faire ?
En 2010, j’avais organisé deux soirées pour fêter les dix ans. Je me suis dit que cette fois, pour les 15 ans, j’en voulais deux fois plus tout en gardant l’objectif d’essayer de représenter la diversité du label. Donc il y a quatre soirées, une pour faire l’apéro avec mes amis des Disques Steak en célébrant le rock atmosphérique et les chiens de prairie et trois avec des groupes que j’apprécie particulièrement: ça va du rock fiévreux d’Harlan T. Bobo (originaire de Memphis et proche du label Goner) à l’électro aventureuse de Spectrometers en passant par l’incontournable The Rebel ou encore le premier concert de Spectraal, tout nouveau combo monté par Nafi (A.H Kraken, Plastobéton, Scorpion Violente, Noir Boy George…) et Hess (A.H Kraken, Feeling of Love…). J’aime tous ces groupes à bloc, j’espère qu’il y aura du monde pour enchaîner ces trois soirées ! Au passage je souligne que la dernière est organisée à la Galerie Treize dans le cadre de l’exposition « Full Time Sofa ».
Peux-tu nous présenter en quelques mots ta mixtape ?
J’ai essayé de présenter un large panorama du label, des sorties les plus connues à celles plus confidentielles. C’est un gros morceau, 90 minutes, et y’a pas de mi-temps mais j’espère que ça reste digeste. Il y a quelques raretés, tel Benefits of a fool de Drosofile, et des inédits ou nouveaux venus qui sont coincés dans mon scanner musical. Bonne écoute !
Mixtape