Jibril Rajoub, Sepp Blatter et le sabre offert par l’Arabie saoudite au patron de la Fifa.
Avec le patron de la Fifa – Moammar Kadhafi, Saddam Hussein et quelques autres peuvent en témoigner –, c’est un peu comme avec les dictateurs arabes : on cajole le « parrain » pendant des années jusqu’au moment où on le lâche sans trop être regardant sur les moyens. Mais il y a un autre parallèle possible entre le monde du foot et la géopolitique du Moyen-Orient : il y a tellement de sombres combines entre « frères arabes » qu’à la fin c’est toujours Israël qui gagne. Moins relayé par tous les médias du monde que les affaires de corruption soulevées par la Justice étasunienne, le scandale de la Fédération de Palestine de football n’a pas fini de faire parler dans la région.
Le scandale est double en fait, puisqu’il concerne à la fois le vote de la Fédération de Palestine qui est allé à Sepp Blatter et non pas au candidat jordanien, le « prince Ali », mais également (et surtout) le retrait soudain de la demande d’exclusion de la Fifa de la Fédération israélienne, pourtant envisagée depuis (au moins) une bonne année (voir ce précédent billet). Au cœur de l’affaire, un même homme, dont la probité morale et politique est sans doute le reflet fidèle de ce que l’on trouve au sein de la Fifa, comme pourrait le confirmer Michel Platini…
Ayant purgé au total une vingtaine d’années de détention dans les prison israéliennes, Jibril Rajoub est expulsé (ce n’est pas si fréquent) au Liban. Après un détour du côté des organisations de la résistance palestinienne à l’étranger, il devient vers 2002 le Conseiller national de sécurité de Yasser Arafat, alors très affaibli tant politiquement que physiquement. Le major-général Jibril Rajoub, dont le nom est associé à la répression féroce des mouvements de la résistance islamique, ne fait pas vraiment mystère de ses ambitions politiques qui semblent pourtant sans espoir après son échec aux élections législatives de 2006 et ses nominations, moyennement prestigieuses mais certainement gratifiantes, à la tête du Comité olympique palestinien et de la Fédération locale de football.
Avec ses dernières maladresses, marquées de pas mal d’outrecuidance, cet homme, continue à se créer pas mal d’ennemis. En Jordanie pour commencer, où sa « trahison » – comprendre le fait qu’il n’ait pas voté pour le prince Ali, troisième fils de feu Sa Majesté Hussein, candidat à la présidence de la Fifa – a mis en fureur une bonne partie de l’opinion pour laquelle l’amour de la famille hachémite est presque aussi sacré que celui du ballon rond. Il faut dire qu’en l’occurrence Jibril Rajoub a eu un comportement d’une balourdise suicidaire. Au lieu de laisser planer le doute sur son vote, comme le lui aurait conseillé le président Abbas qui s’y connaît en louvoiements politiques, le patron de la Fédération palestinienne n’a rien trouvé de mieux que d’avouer à qui était allée sa voix, puis de se contredire en affirmant le contraire, avant d’avancer pour toute défense que cela n’avait guère d’importance au regard de la large victoire finale ! Mieux, son immense satisfaction s’est affichée sur tous les écrans du monde à travers une photo où on le voit brandir un sabre d’opérette en or massif (offert par les Saoudiens, les Palestiniens n’en ont pas les moyens sans doute) lors du sacre de son très cher (c’est le cas de le dire) Sepp Blatter, présent « par hasard » sur le cliché comme il ne craindra pas de l’affirmer !
On en rirait s’il n’y avait pas le risque de graves conséquences. En Jordanie où la situation économique et politique est déjà fort tendue, l’opinion publique s’est enflammée à la nouvelle de cet affront, en réclamant que Jibril Rajoub soit déchu de sa nationalité jordanienne (dont, c’est véridique, personne ne se souvient comment il l’a obtenue ) et qu’on l’empêche ainsi de rentrer en Palestine (car les Palestiniens des « Territoires » n’ont « naturellement » pas le droit de transiter par l’aéroport de Tel-Aviv). Les autorités jordaniennes ont calmé le jeu et, en se faisant tirer l’oreille, accepté un transit à la sauvette, sans même un passage par le salon d’honneur des VIP (quel affront!) Aux dernières nouvelles, Jibril Rajoub pourrait bien perdre son passeport jordanien, un élément de plus dans la question assez explosive du statut national des Jordaniens d’origine palestinienne qui se voient retirer pour certains, et selon toutes sortes de procédures fort complexes, leur nationalité depuis une bonne dizaine d’années.
J. Rajoub, S. Blatter et O. Eine, responsable de la Fédération israélienne.
Pour bien des observateurs, Abdel-Bari Atouan par exemple, cette faute politique n’est rien au regard de la gestion calamiteuse de l’autre dossier, relatif cette fois à l’expulsion d’Israël de la Fifa, en raison de ses pratiques discriminatoires à l’encontre des joueurs, arbitres et entraîneurs de football vivant dans les « Territoires ».
Annoncée de longue date et rappelée encore un mois avant la désormais célèbre réunion de Zurich, l’affaire se présentait plutôt bien pour la Fédération de Palestine de football. Il faut dire que la liste des exactions de la puissance occupante est fort longue : refus de création d’installations sportives et de laissez-passer pour les compétitions, sanctions à cause de drapeaux palestiniens alors que les insultes racistes des Israéliens sont ignorées, pour ne rien dire du reste, les footballeurs auxquels on brise les jambes par exemple (liste détaillée ici). A en croire certains témoignages, une majorité de fédérations étaient prêtes à voter l’exclusion, au moins temporaire, d’Israël, à l’occasion du fameux rendez-vous de Zurich.
Coup de théâtre, le jour même de la réélection de Sepp Blatter, Jibril Rajoub annonçait à la stupéfaction générale que la Fédération de Palestine retirait sa demande d’exclusion, pour se contenter de la mise en place d’un comité international de surveillance. Un repli stratégique, selon le responsable palestinien, qui a commis la nouvelle maladresse de se laisser prendre en photo avec son homologue israélien tandis que Benjamin Netanyahou exulte à ce triomphe ! En Palestine, des forces politiques comme le FDLP ou le Hamas crient au scandale, tandis que nombre d’observateurs, sur place ou à l’étranger, serrent les poings de rage en soulignant, une fois de plus, l’amateurisme (si on veut être très gentil) ou encore la servilité pathétique (pour les plus critiques) des dirigeants palestiniens.
Plusieurs explications sont avancées à ce revirement qui ne peut que décourager ceux qui s’efforcent de lutter pour les droits des Palestiniens, à commencer par les deux militantes qui avaient réussi à perturber la belle organisation du congrès de la Fifa. Certains pensent que ce sont les pressions de nombreuses fédérations occidentales qui ont réussi à faire plier la Fédération palestinienne, à moins que les responsables de l’Autorité aient pris peur des conséquences de leur acte, eux dont les privilèges sont encore plus fragiles que leurs maigres pouvoirs ; d’autres affirment que Jibril Rajoub aurait en réalité suivi les injonctions du Qatar, dans un vaste deal visant à assurer la réélection de Blatter et le maintien dans l’émirat du Mondial de 2022. En tout état de cause, la manière dont ce dossier a été mené renforce dans leurs certitudes tous ceux qui pensent que les actuelles « autorités » palestiniennes sont incapables de la moindre politique nationale.