Marquons cette semaine d’un caillou blanc: elle nous apporte un beau livre, d’un très noble écrivain: L’Hallali, de M. Camille Lemonnier. D’autres feront sans doute de ce roman un éloge plus éloquent et plus développé – il le mérite à tous égards – du moins j’aurai eu la joie vive d’être des premiers à lui apporter mon hommage dans cette chronique dont la diligence est le seul mérite. Avec L’Hallali M. Camille Lemonnier revient à un genre qu’il avait quelque peu délaissé en ces derniers temps, et qui nous valut jadis Un Mâle, ce chef-d’oeuvre: c’est une évocation de ces âmes paysannes qu’il a si bien pénétrées et peintes, avec leurs faiblesses, leurs roueries, leurs passions, leurs grandeurs. Voici le patriarche Gaspar de Quevauquant, le vieux, le maître autoritaire, descendant d’une race guerroyeuse et terrienne, «pareil à un pan de roc ancré au creux profond de la terre», – son fils, Jean-Norbert, si différent, «essoufflé et court, les gencives mauvaises avec l’humble mine et l’âme mauvaise d’un paysan», et sa petite-fille Sybille en qui se retrouvent l’orgueil et la noblesse de l’ancêtre, – et voici les deux autres enfants, Michel et Jaja, âmes falotes et grêles; d’autres encore, anciens serviteurs enrichis peu à peu et accourus à l’hallali, impatients de dépecer la terre, objet suprême de leur convoitise et de leurs désirs… C’est un drame rustique, farouche, émouvant, complexe, dont les personnages luttent et crient, et tuent pour l’honneur, pour l’argent, pour la terre surtout qui semble s’animer et devenir une vivante héroïne; tout cela est d’une intensité, d’une vigueur extraordinaires. À travers tout le livre il passe comme un large souffle, une senteur âpre et forte de nature et de vérité, et je ne crois pas que M. Camille Lemonnier ait rien écrit de plus poignant et de plus fort…Ouvrage disponible dans toutes les librairies proposant un rayon de livres numériques (prix de vente: 1,99€).
Magazine Culture
Pourquoi, avec André Baillon, avoir choisi Camille Lemonnier pour inaugurer la "Bibliothèque belgicaine"? Parce que j'ai passé bien du temps, pour des travaux sans véritable résultat, dans une oeuvre qui a toujours réussi à me surprendre, qui est vaste et dont on lit toujours les mêmes titres, ou à peu près. Rarement L'hallali, bien qu'il en existe une version sonore, qui méritait à plusieurs titres de sortir du relatif oubli où se trouvait ce roman. Par lui-même, d'abord, en raison de l'atmosphère sombre d'une déchéance familiale nourrie de haines recuites. Et dans le souvenir de Jacques Antoine, qui fut un grand éditeur belge et qui avait réédité L'hallali, me permettant ainsi de le lire en 1980, dans une collection "Passé Présent" où le patrimoine préfigurait un certain avenir...
A sa parution, Le Figaro saluait l'ouvrage sous la plume de Ph.-Emmanuel Glaser, le dimanche 9 décembre 1906: