Après dix mois d'une neutralité tourmentée, le 24 mai 1915 l'Italie entre dans le conflit en déclarant la guerre à l'Autriche-Hongrie, empire auquel elle était liée depuis 1882 par le Traité de la Triplice. Un an plus tard (le 27 août 1916), le royaume italien déclare également la guerre à l'autre ancienne alliée: l'Allemagne.
Sur le plan diplomatique, les historiens ont longtemps considéré le changement de camp italien comme le résultat des longues tractations ayant eu lieu avec l' Entente au printemps 1915. Ces dernières, menées à l'insu du parlement italien, majoritairement neutraliste, sont scellées par le Pacte de Londres du 26 avril 1915 : en échange de son entrée en guerre, l'Italie obtient la promesse de récupérer les terres irrédentes (Trieste, Trente, Bolzano, une partie de l'Istrie), de nombreuses îles dalmates, d'exercer son protectorat sur l'Albanie, sur le Dodécanèse, sur le bassin houiller d'Antalya (Turquie) et de prendre part au partage des dépouilles coloniales de l'Allemagne en Afrique. En d'autres termes, contrairement à ses nouveaux alliés qui ont ouvert les hostilités à cause d'une agression - ou d'une menace d'agression - le choix italien est de nature essentiellement expansionniste. Sans être fausse, cette interprétation est cependant incomplète et ne rend pas compte de la complexité et de la spécificité de la situation italienne.
Un correspondant de guerre français rend compte des préparatifs de mobilisation en Italie du Nord.
Présentée par le gouvernement italien comme la quatrième guerre d'indépendance qui aurait enfin permis d'achever la construction de l' État national, elle ne fut perçue ainsi que par une partie de la population (intellectuels et bourgeoisie citadine). Par ailleurs, le gouvernement de 1915 qui conduit le pays à la guerre, est très loin du nationalisme romantique et démocratique de Giuseppe Mazzini et manque de la vision stratégique et clairvoyante de Cavour. Pour combattre contre ses propres ex-alliés, le président du Conseil, Antonio Salandra et son ministre des Affaires étrangères, Sidney Sonnino, soutenus par le roi Victor Emmanuel III, en complète violation du principe des nationalités, défendent la politique de l' " égoïsme sacré " et réclament, entre autres, l'annexion du territoire de Bolzano (Tyrol méridional), habité par 250. 000 austro-hongrois, mais abandonnent à son destin la ville de Fiume (réservée à la Serbie ou à ce qui aurait pu rester du double empire) où la population est majoritairement de langue et culture italiennes.
Pour beaucoup d'intellectuels, la guerre devait être l'occasion de "nationaliser les masses", c'est-à-dire souder les Italiens entre eux en démontrant ainsi que le royaume était devenu une seule et unique nation digne de siéger aux côtés des grandes puissances. En réalité, les émeutes sanglantes qui ont lieu dans plusieurs grandes villes italiennes pendant les " radieuses journées de mai ", ainsi appelées par l'écrivain interventionniste G. D'Annunzio, confirment que la péninsule entre en guerre déchirée par de profondes rivalités sociales et politiques. Les " interventionnistes ", dont le cœur est constitué par les nationalistes, la frange de syndicalistes et de socialistes bellicistes guidée par Benito Mussolini et les quelques socialistes démocrates menés par Gaetano Salvemini, affrontent les " neutralistes " (la plupart des catholiques et des socialistes, les conservateurs modérés) dont la figure politique la plus marquante est sans doute celle de Giovanni Giolitti.
Sur le plan militaire, il est connu que les généraux italiens sont les premiers à douter de la préparation et du sens patriotique de leurs troupes. Luigi Cadorna, chef d'État- major et commandant en chef, est persuadé que son armée est en large partie composée d'ouvriers pervertis par la propagande socialiste et de paysans analphabètes, parlant d'incompréhensibles dialectes, que seule une discipline d'acier peut encadrer.
Ces contradictions et ces paradoxes influencent profondément le déroulement de la guerre italienne. Nous y reviendrons, dans de prochains billets consacrés à ces questions.
Emanuela Prosdotti - Chargée de collections - Département Histoire, Philosophie, Sciences de l'Homme