Par un avis n°381560 du 29 mai 2015, le Conseil d'Etat vient d'apporter d'intéressantes précisions sur les conditions dans lesquelles un tiers peut former tierce opposition à une décision par laquelle le Juge administratif autorise l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement.
SynthèseL'autorisation d'exploiter une ICPE est en principe délivrée par l'autorité administrative compétente mais aussi, dans certains cas, par le Juge administratif saisi d'une demande d'annulation d'un refus d'autorisation.
Cette décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE peut faire l'objet d'une tierce opposition par un tiers qui n'était pas partie à l'instance qui l'a précédée.
Par un avis rendu ce 29 mai 2015, le Conseil d'Etat rapproche le régime de cette tierce opposition à la décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter de celui du recours en annulation d'une décision d'autorisation d'exploiter délivrée par l'administration.
L'avis rendu ce 29 mai 2015 par le Conseil d'Etat précise
- Que l'auteur d'une tierce opposition à décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE doit démontrer l'existence, non d'un " droit lésé " mais d'un " intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation. "
- Qu'une tierce opposition est possible contre la décision juridictionnelle qui ne porte que sur le principe d'une autorisation d'exploiter ICPE. Il appartiendra ultérieurement à l'auteur de la tierce opposition de contester également, s'il le souhaite, la décision par laquelle le Préfet fixera les prescriptions de fonctionnement.
- Que les tiers ne peuvent pas former tierce opposition à une décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE qui a fait l'objet de mesures de publicité, au-delà des délais de recours qui prévalent pour un recours tendant à l'annulation d'une décision administrative d'autorisation d'exploiter.
- Que le tiers peut invoquer à l'appui de sa tierce opposition tout moyen.
La tierce oppositionPour mémoire, il convient de rappeler qu'une personne peut former une " tierce opposition " contre une décision du Juge administratif rendue au terme d'une procédure dont elle n'était pas partie. Il lui appartient alors de démontrer que cette décision " préjudicie à ses droits ".
L'article R832-1 du code de justice administrative précise :
" Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. "
Le présent avis est rendu en réponse à plusieurs questions posées par la Cour administrative d'appel de Nantes. Ces questions peuvent être ordonnées autour d'une question centrale : la tierce opposition à un jugement autorisant l'exploitation d'une ICPE présente-elle des caractéristiques spécifiques par rapport au régime général de la tierce opposition ? Cette question se comprend dés lors que la décision par laquelle le Juge administratif autorise l'exploitation d'une ICPE est, certes, une décision juridictionnelle mais d'un type particulier en ce qu'elle comporte en son sein ce qui s'apparente à une décision administrative.
Le rappel des pouvoirs du Juge administratif du plein contentieux des installations classéesAprès la mention des dispositions de référence du code de l'environnement sur la police des ICPE, l'avis rappelle quels sont les pouvoirs du Juge administratif du plein contentieux des installations classées.
A titre liminaire, il convient de souligner, en résumant quelque peu, la différence entre le contentieux de la légalité et le plein contentieux ou " contentieux de pleine juridiction ". Dans le premier contentieux, le Juge exerce, principalement, un contrôle de la légalité de la décision qui fait l'objet d'un recours en annulation. Dans le contentieux de pleine juridiction, le juge administratif
Le contentieux des installations classées est un contentieux de pleine juridiction.
L'avis précise ici quels sont les pouvoirs du Juge en ce domaine :
" Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
Dans le cas où le juge administratif fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour autoriser le fonctionnement d'une installation classée, la décision d'autorisation ainsi rendue présente le caractère d'une décision juridictionnelle et se trouve en conséquence revêtue de l'autorité de chose jugée. "
Le contentieux de pleine juridiction présente cette particularité que le juge administratif ne borne pas son contrôle à celui de la légalité de la décision administrative objet d'un recours devant lui mais va au-delà. Il peut, en quelque sorte, se substituer à l'administration et, par exemple, délivrer lui-même une autorisation refusée par cette dernière.
L'avis ne le rappelle pas mais, en outre, le contentieux de pleine juridiction présente cette autre particularité qu'en principe le juge contrôle la légalité de la décision objet du recours au regard du droit applicable à la date de lecture de son jugement et non à la date d'édiction de la décision querellée.
La tierce opposition à une décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE est-elle soumise à des conditions spécifiques ?La première question adressée par la Cour administrative d'appel de Nantes est libellée ainsi :
" 1°) Lorsque le juge de plein contentieux annule le refus opposé par l'autorité administrative à une demande d'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement et, statuant dans le cadre des pouvoirs qui lui sont dévolus par l'article L. 514-6 du code de l'environnement, autorise, par une décision juridictionnelle, une telle installation en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 de ce code, la recevabilité d'un tiers, telle une association locale de défense de l'environnement, à former tierce opposition contre ce jugement, est-elle subordonnée, eu égard à la particularité de la situation ainsi créée, à l'impératif de sécurité juridique et au droit au recours, à des conditions spécifiques pour l'application de l'article R. 832-1 du code de justice administrative en ce qu'il exige que la décision juridictionnelle préjudicie à ses droits ' "
La question peut être ainsi résumée : la personne qui forme tierce opposition d'un jugement par lequel le Juge administratif autorise l'exploitation d'une ICPE doit-elle démontrer que cette décision préjudicie à un de ses droits ou doit-elle simplement démontrer un intérêt à agir ?
Subordonner la recevabilité d'une tierce opposition contre une décision juridictionnelle d'autorisation d'une ICPE à la démonstration de ce que cette dernier préjudicie à un droit du requérant présente l'avantage d'assurer une application uniforme de l'article R.832-1 du code de justice administrative sans créer un régime particulier. Cela présente toutefois l'inconvénient de créer des conditions de recevabilité différentes selon que l'autorisation ICPE a été délivrée par l'administration ou par le Juge administratif.
L'avis ici commenté révèle que le Conseil d'Etat a entendu concilier le régime de la tierce opposition avec la garantie du caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement :
" Il résulte des dispositions de l'article R. 832-1 du code de justice administrative que, pour former tierce opposition, une personne qui n'a été ni présente ni représentée à l'instance doit en principe justifier d'un droit lésé. Toutefois, afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d'exploiter, cette voie est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées, après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l'autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, dès lors qu'ils n'ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l'instance. "
La personne qui entend contester une décision juridictionnelle d'autorisation d'une ICPE doit donc, non pas justifier d'un " droit lésé " mais un " intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation. "
Ainsi, la demande d'annulation d'une autorisation ICPE obéira aux mêmes conditions de recevabilité, selon qu'elle est présentée par un recours en annulation ou par tierce opposition. Le Conseil d'Etat a donc " préféré " introduire un régime particulier au sein de la procédure de tierce opposition de manière à garantir le droit au recours.
La deuxième question adressée au Conseil d'Etat par la Cour administrative d'appel de Nantes était la suivante :
" 2°) En cas de réponse positive à la première question, la réponse est-elle différente dans le cas où le juge de plein contentieux se borne à délivrer l'autorisation et renvoie à l'autorité administrative le soin de prendre les prescriptions spéciales que cette autorisation commande alors que, dans cette hypothèse, si une telle autorisation ne devient effective qu'avec l'édiction de ces prescriptions, la contestation éventuelle par ce tiers de la décision prise par l'autorité administrative ne peut porter que sur les prescriptions ainsi édictées et non sur le principe de l'autorisation ' "
Il est exact que le Juge administratif peut autoriser l'exploitation d'une ICPE tout en confiant à l'administration le soin de définir les prescriptions de fonctionnement de ladite ICPE. Dans ce cas l'autorisation d'exploiter n'est complète et effective que lorsque ces prescriptions ont été édictées.
La question posée par la Cour administrative d'appel de Nantes revient à demander si une tierce opposition est possible lorsque le Juge administratif ne se prononce que sur le principe de l'autorisation d'exploiter ICPE.
L'avis rendu par le Conseil d'Etat précise :
" 6. La circonstance que le juge des installations classées pour la protection de l'environnement ait renvoyé le pétitionnaire devant l'autorité administrative pour la fixation des prescriptions applicables à l'installation ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'introduction, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, d'une tierce opposition. "
Ainsi, une tierce opposition est possible contre la décision juridictionnelle qui ne porte que sur le principe d'une autorisation d'exploiter ICPE. Il appartiendra ultérieurement à l'auteur de la tierce opposition de contester également, s'il le souhaite, la décision par laquelle le Préfet fixera les prescriptions de fonctionnement.
La tierce opposition à une décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE est-elle soumise à une condition de délai ?La décision par laquelle le juge administratif délivre une autorisation d'exploiter ICPE peut être accompagnée de mesures de publicité, prises par le Juge ou par le Préfet. Ces mesures de publicité ont-elles pour effet de faire courir un délai de recours alors que la tierce opposition n'est en principe pas subordonnée à un tel délai ?
La troisième question adressée au Conseil d'Etat par la Cour administrative d'appel de Nantes était la suivante :
" 3°) Alors que la tierce opposition n'est pas soumise à une condition de délai en l'absence de notification au tiers du jugement contre lequel il exerce cette voie de recours, doit-il en aller de même lorsqu'il est justifié devant le juge, saisi de la tierce opposition, que l'autorisation délivrée par cette décision juridictionnelle a fait l'objet de l'accomplissement de mesures de publicité appropriées et regardées comme suffisantes pour faire courir vis-à-vis des tiers un délai de recours, que ces mesures de publicité aient été ou non prescrites par le jugement ' "
La tierce opposition à décision juridictionnelle n'est pas soumise à une condition de délai. La tierce opposition à décision juridictionnelle portant autorisation d'exploiter une ICPE devrait-elle être cependant soumise à une condition de délai pour garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation ?
Le Conseil d'Etat répond par l'affirmative :
" 4. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation, il est loisible au juge, lorsqu'il délivre une autorisation d'exploiter une installation classée, d'ordonner dans son jugement la mise en œuvre des mesures de publicité prévues par le I de l'article R. 512-39 du code de l'environnement. Le préfet peut également décider la mise en œuvre de ces mesures portant sur une autorisation délivrée par le juge administratif. Lorsque la publicité prescrite par le juge ou ordonnée par le préfet a été assurée, les tiers ne sont plus recevables à former tierce opposition au jugement après écoulement des délais prévus par les dispositions de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement. "
L'avis du Conseil d'Etat précise donc très clairement que les tiers ne peuvent pas former tierce opposition à une décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE qui a fait l'objet de mesures de publicité, au-delà des délais de recours qui prévalent pour un recours tendant à l'annulation d'une décision administrative d'autorisation d'exploiter.
La tierce opposition à décision juridictionnelle d'autorisation d'exploiter une ICPE peut elle être fondée sur tout moyen ?La quatrième question adressée au Conseil d'Etat par la Cour administrative d'appel de Nantes était la suivante :
" 4°) Au cas où le recours de ce tiers serait regardé comme recevable, y a-t-il lieu d'admettre que tout moyen peut être invoqué ou d'estimer que les moyens pouvant utilement être soulevés doivent être en rapport direct avec les droits dont il se prévaut et auxquels la décision juridictionnelle préjudicie ' "
Dans l'hypothèse où l'auteur de la tierce opposition devait démontrer l'existence d'un droit lésé, il était cohérent de penser qu'il ne pouvait opposer à la décision juridictionnelle contestée que des arguments (moyens) en rapport avec cette lésion. Dès l'instant où il doit simplement démontrer un intérêt suffisant à agir, son argumentaire peut-il être aussi étendu que pour un recours en annulation d'une décision d'autorisation d'exploiter prise par l'administration ?
L'avis du Conseil d'Etat est, sur ce point très clair :
" 5. Le tiers peut invoquer à l'appui de sa tierce opposition tout moyen. "
Il se confirme donc que le régime de la tierce opposition est ainsi dûment rapproché de celui du recours en annulation d'une décision prise par l'administration.
Arnaud Gossement
SELARL Gossement Avocats