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En convoquant un sommet d'urgence à Berlin, Angela Merkel accepte de reconnaître que le défaut grec est aussi un problème pour les créanciers. Et, accédant à la demande d'Alexis Tsipras, elle convient que le problème est politique.Angela Merkel s'empare du dossier grec (Crédits : © Hannibal Hanschke / Reuters)Romaric Godin | 02/06/2015Les créanciers de la Grèce bougent enfin. Se rendant finalement compte de l'échec de la stratégie d'attente menée depuis quatre mois, Angela Merkel a convoqué une réunion de crise lundi 1er juin au soir à Berlin. On a donc vu François Hollande, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, mais aussi Mario Draghi, président de la BCE et Christine Lagarde, pour le FMI, rejoindre la chancelière dans la « machine à laver », comme les Berlinois appellent affectueusement le siège du chef du gouvernement allemand. Parallèlement, à Athènes, le premier ministre Alexis Tsipras a tenu un conseil de cabinet restreint, tandis que les négociateurs grecs surveillaient de près la réunion berlinoise.Selon l'agence Bloomberg, le but de cette réunion de créanciers était de présenter une proposition concrète à la Grèce qu'elle puisse accepter avant vendredi 5 juin, date de la prochaine échéance de remboursement au FMI. En cela, elle a échoué. Les créanciers ont simplement décidé « de poursuivre le travail avec davantage d'intensité. » Les quatre participants à ce mini-sommet sont donc particulièrement divisés sur la question.
L'échec du « nœud coulant »
Cet échec et cette réunion d'urgence permettent cependant de tirer d'ores et déjà quelques conclusions. D'abord, la stratégie du « nœud coulant » qui consistait à attendre l'asphyxie de la Grèce pour la faire capituler a bel et bien échoué. La rumeur qui voulait que les créanciers lancent lundi 1er juin un ultimatum à Athènes sous la forme d'une offre « à prendre ou à laisser » s'est révélé fausse. Les créanciers reconnaissent donc désormais qu'un défaut serait aussi, pour eux, un problème et il cherche à l'éviter en avançant des propositions. C'est clairement l'abandon de la posture de majesté consistant à demander simplement des « efforts » aux Grecs. C'est une bonne nouvelle pour la Grèce, car cette fois, les créanciers vont devoir prendre en compte, s'ils veulent éviter la rupture, prendre en compte certaines demandes grecques.
Politisation du problème
Deuxième leçon de cette réunion de Berlin : l'affaire se joue désormais au niveau politique. Angela Merkel reprend le dossier personnellement et tente de trouver une issue. C'était une demande d'Alexis Tsipras dans sa tribune au Monde : l'enjeu étant politique, la solution doit être politique. C'est là aussi un succès, car les discussions « techniques » du groupe de Bruxelles, entre négociateurs, ont lamentablement échoué, tandis que l'Eurogroupe, dominé par un Wolfgang Schäuble qui ne cachait pas sa préférence pour une expulsion de la Grèce de la zone euro, avait mené les négociations dans l'impasse. Là encore, c'est plutôt favorable au gouvernement hellène dans la mesure où les chefs de gouvernement vont devoir assumer leurs choix : celui du maintien ou non de la cohésion de la zone euro. Il ne sera plus possible de se dissimuler derrière d'interminables questions techniques. La politique va dicter sa loi à la finance, non plus l'inverse. Or, la Grèce dispose d'atouts politiques : la légitimité de son gouvernement, la cohésion de la zone euro, l'épuisement de la société grecque après cinq ans d'austérité...
Division des créanciers
Dernier point : la résistance grecque au « nœud coulant » a divisé le camp des créanciers. Ce lundi 1er juin, la troïka est bel et bien morte. Selon certaines sources européennes, le blocage viendrait en effet de l'intransigeance du FMI. Depuis quelques semaines, on sent certes un durcissement de l'institution de Washington. Sans doute le tournant « politique » de l'affaire est-elle faite pour déplaire fortement à cette dernière. Mais il convient de ne pas oublier que le FMI réclame aussi une restructuration de la dette que refusent les Européens pour des raisons politiques. Cette division est-elle une bonne nouvelle pour Alexis Tsipras ? Ce n'est pas certain a priori, puisqu'elle empêche, on l'a vu, de parvenir à une proposition claire des créanciers. Mais cette division est aussi une chance : s'il y a une « ligne dure » du FMI, ceci signifie qu'il y a une ligne « souple » ailleurs. Un compromis entre ces deux lignes pourrait constituer une « meilleure offre » que celle sur laquelle les créanciers s'arc-boutaient depuis le 20 février. Par ailleurs, Alexis Tsipras peut jouer sur cette division : il arracherait une solution « politique » avec les Européens sans le FMI et pourrait ainsi honorer ses paiements au FMI. Il pourrait ensuite « s'allier » avec le FMI pour arracher une restructuration de la dette. En tout cas, la résistance grecque a bel et bien brisé l'unité des créanciers. Et il n'est pas sûr que le FMI, au final, prenne le risque de devoir renoncer à ses remboursements pour arracher des « réformes » que ses équipes mêmes ont reconnu inopérantes.
Athènes tient bon
En tout cas, la Grèce a toute les raisons de tenir bon et d'attendre les propositions de ses créanciers. Des sources gouvernementales grecques ont démenti à la Tribune que l'information du quotidien allemand Die Welt de ce mardi 2 juin selon lesquelles Athènes aurait accepté de discuter de coupes dans les retraites. « Les seules propositions que fait la Grèce sur ce sujet sont l'unification des fonds de retraite et la suppression de certains dispositifs de préretraites », affirme-t-on. Ce matin, le vice premier ministre Yannis Dragasakis, très actif dans les négociations a réaffirmé que le pays demandait des objectifs d'excédents primaires inférieur à 1 % du PIB pour cette année et à 1,5 % du PIB pour 2016 (contre 3 % et 4,5 % respectivement prévus dans le mémorandum de 2012). Le ministre du travail, Panos Skourletis, a affirmé, de son côté sur la chaîne Skaï TV, que la Grèce avait accordé « le maximum de concessions possibles » et qu'elle avait atteint, de ce point de vue, ses limites. Les "lignes rouges" tiennent donc toujours.La balle est donc clairement désormais dans le camp des créanciers qui doivent faire un choix politique. A l'approche de la réalité du défaut, ils comprennent enfin que la dette grecque est aussi « leur » problème, pas seulement celui de la Grèce. C'était aussi une des leçons de la tribune au Monde d'Alexis Tsipras. Les vraies négociations peuvent (enfin) commencer.
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-les-vraies-negociations-peuvent-commencer-480650.htmlL'AUTEURRomaric Godin 02/06/2015
@RomaricGodin