LE LONG DE L’ADRIATIQUE
I
Podgorica
Podgorica ? C’est où ? Il semble qu’on ait le chic pour choisir des destinations inattendues – l’été dernier, c’était le Berry. À 4h30, l’agent d’escale à Roissy nous interroge et – ajoutant à l’heure matinale et la légère appréhension du voyage – ébranle quelque peu notre assurance.
Cela ne sert à rien de s’inquiéter maintenant. Le premier vol s’arrête à Rome. Nous embarquons avec Alitalia. Après les dernières catastrophes aériennes, peu téméraires, nous avons préféré une correspondance avec la compagnie italienne à un vol direct avec Monténégro Airlines.
À l’arrivée, un voile de brouillard enveloppe la cité aux sept collines et masque la visibilité. Incapable d’atterrir, l’appareil reste stationnaire pendant vingt bonnes minutes et grignote petit à petit le temps prévu pour se rendre au deuxième embarquement.
Inquiets, nous interrogeons l’hôtesse. Nous sommes dubitatifs quant à la possibilité que l’avion suivant nous attende et envisageons déjà de passer la journée et la nuit à Rome. Celle-ci nous rassure, l’aéroport de Fiumicino n’est pas si grand.
À ceci près que lorsque l’on se rend à Podgorica – et que l’on est les seuls à faire le changement – l’on a rendez-vous à la porte H08. Et avant H, il y a A, B, C, D, E, F et G. Et avant 8, il y a 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7. Commence alors une course insensée. Je ne sais pourquoi nous courons d’ailleurs, car c’est comme si l’avion s’avançait déjà sur la piste.
Le dernier appel pour le vol 0558 se fait entendre ; y croyant à peine, nous surgissons à la porte d’embarquement comme deux diablotins jaillissent de leur boîte. Avec un regard de désapprobation, l’hôtesse nous laisse passer. À bout de souffle, incapables de parler, nous renonçons à nous justifier, un peu contrariés tout de même d’être pris pour des négligents partis trop tard.
Un brasier dans les bronches, nous nous laissons tomber sur les sièges de la navette. Une minute plus tard, les portes se referment. Cela valait le coup de courir encore et encore, alors que l’oxygène nous manquait et que le poids du bagage à main – à peine moins chargé que le bagage en soute – asphyxiait nos muscles.
Un petit avion nous attend. Seulement deux sièges de chaque côté. Quinze passagers tout au plus. L’équipage se réduit à une hôtesse et un steward. Cheveux gominés, grand sourire, James (c’est James Bond, nous l’avons décidé) nous rassure d’un signe du pouce, nos sacs à dos ont bien suivi. Nous pouvons nous détendre. Et même nous étendre. De tout notre long ; enfin, autant que la largeur de deux sièges nous le permet. Dans cet avion vide, l’atmosphère est confidentielle, silencieuse.
Ce moment suspendu (dans le ciel aussi) n’est pas éternel et bientôt, nous allons devoir apprivoiser Podgorica, cette ville dont nous ne connaissions pas le nom avant de réserver nos billets d’avion, capitale d’un pays marqué par une Histoire qui s’est déroulée il n’y a pas si longtemps, alors que nous étions enfants.
À notre arrivée, l’aéroport est désert. Seul un chauffeur de taxi est venu chercher Flavia. Très vite, nous crevons de chaleur ; partis en pleine nuit à Paris, nous nous étions emmitouflés.
Nous récupérons les clés de notre voiture de location. L’employé nous met en garde. Be careful with the car in Croatia. Monténégrins et croates ne se portent pas dans leurs cœurs. Autre mise en garde. Don’t go to Albania. Message reçu.
Doucement, au volant de notre Polo noire, nous commençons notre périple balkanique. Nous n’avons rien prévu d’extraordinaire pour cette première journée, juste prendre nos marques et trouver un logement pour le soir. Nous rejoignons la périphérie de la capitale et découvrons des immeubles vétustes et sales, vestiges de l’ancienne Titograd, à l’époque où le pays faisait partie de la République de Yougoslavie. Sur les trottoirs, les habitants vendent à la sauvette des denrées alimentaires ou d’autres produits pour gagner quelques euros. Le salaire moyen ne dépasse pas cent cinquante euros par mois. Ceux qui ont la chance d’avoir une maisonnette cultivent leur lopin de terre, quelques mètres précieux entre les fenêtres et le trottoir où l’on voit souvent un pied de vigne. Le lendemain, nous devions d’ailleurs nous régaler d’un surprenant Cabernet monténégrin.
Bombardée pendant la seconde guerre mondiale, la ville garde peu de traces de la période ottomane. Une tour, deux mosquées et quelques ruelles étroites ont été épargnées. L’intérêt est limité.
Nous avions recensé quelques adresses de chambres chez l’habitant. Je ne sais si c’est l’heure (de la sieste) ou la saison qui n’a pas encore commencé, mais à chaque fois, nous trouvons porte close. La communication avec les habitants n’est pas aisée, ils ne parlent pas anglais ; par des gestes, nous essayons de nous faire comprendre. Cela ne sera pas aussi simple que nous l’avions imaginé. Un peu découragés, nous décidons de chercher un hôtel. Mais sans Internet, la tâche est ardue. La ville n’est pas touristique et les panneaux d’information ne semblent pas courir les rues.
Alors que nous errons un peu, une image me revient. Sur la route en venant de l’aéroport, j’ai aperçu une pancarte indiquant un hôtel. Epuisés par le manque de sommeil, nous capitulons et décidons de partir à sa recherche. Avec nos souvenirs, nous reprenons le chemin de notre arrivée, cherchant les panneaux, tentant de ne pas érafler Polo dès le premier jour, dans la circulation dense.
Soudain, le voilà. Hotel 30 m.
Houspillés par les klaxons qui retentissent au moindre ralentissement, nous nous engageons dans la rue et avançons à hauteur de l’hôtel.
C’est là. On y va ? Oui !
Sur la façade, trois étoiles sont joliment alignées. L’aventure, ce sera pour demain.
À suivre.