Intrusion est une nouvelle minisérie de trois épisodes qui ont été diffusés le 28 mai sur les ondes d’Arte en France. L’action se déroule à Strasbourg alors que le célèbre pianiste Philippe Kessler (Jonathan Zaccaï) entame une nouvelle tournée de concerts le jour de son quarantième anniversaire. Cependant, il est assailli d’hallucinations tout comme sa vue et son ouïe qui se déforment et lors d’un concert, il s’affaisse. C’est à ce moment que commence une sorte de long voyage dans le temps où il devient bien difficile de faire la différence entre ce qui s’est réellement passé auparavant et ses affabulations. Réalisation de Xavier Palud qui effectue un premier saut au petit écran, Intrusion (qui a été auréolée du prix de la meilleure série au Festival des créations télévisuelles de Luchon), est une fiction en trois actes fascinante qui nous tient en haleine jusqu’à la fin, tant pour sa mise en scène que pour son intrigue qui nous offre diverses interprétations.
Le gris entre les touches noires et blanches
(*cet article contient plusieurs divulgâcheurs)
Stress, anxiété? Toujours est-il que Philippe semble émotionnellement au bout du rouleau. À plusieurs reprises avant son concert, il croit voir un jeune garçon tenant toujours un ballon rouge, que ce soit dans la salle d’attente d’un hôpital ou en pleine rue alors qu’un bus est sur le point de le percuter avant qu’il ne disparaisse complètement. Assis devant le piano à queue sur lequel il offrira sa prestation, un fa dièse n’est pas juste à ses oreilles, contrairement à ce qu’en pensent l’accordeur et toute l’audience une fois qu’il s’exécute. Sa chute subite dans les limbes nous ramène à ce qui est probablement son plus douloureux souvenir d’enfance : la mort de Marc, son frère jumeau qui à l’âge de dix ans a succombé à un accident de voiture alors que toute la famille s’y trouvait. Dès lors, on quitte le chic appartement de Philippe et de sa femme Astrid (Judith El Zein), pour s’immiscer dans la vie de Marc au même âge. Pour la deuxième fois en moins de dix ans, ce dernier est victime d’une sorte de black-out, si bien qu’il ne se souvient plus de rien. Son épouse Jeanne (Marie Kremer) tente de lui rappeler son quotidien : il travaille dans une usine d’impression de magazines et il a un fils, nommé Léo (Leo Kanier); celui-là même qui portait le ballon rouge dans les hallucinations de Philippe au début. Mais à mesure que le temps passe, Marc se persuade qu’il est Philippe et que c’est son frère qui a pris sa place. Toute la famille se résout à l’interner où il aura droit à des traitements par électrochocs, mais Marc parvient à s’enfuir de l’institut avec une seule idée en tête : il est bel et bien Philippe.
Rares sont les films ou séries qui à défaut d’un scénario classique, parvient avant tout à nous envoûter par sa mise en scène et c’est ce qui se produit avec Intrusion, une digne héritière du chef-d’œuvre de 1961 d’Alain Resnais L’Année Dernière à Marienbad, reconnu pour voguer entre la réalité et l’illusoire et entiché d’une structure narrative pour le moins ambiguë. Et bien que le film de Palud soit tourné en couleurs, il n’en reste pas moins que l’on retrouve sans arrêt ces contrastes entre le noir et le blanc, mais surtout entre le noir et le rouge, cette couleur référençant assurément au sang qui pour la première fois a dû marquer le personnage principal suite à l’accident qui a causé la mort de son frère. Quant au noir, on ne peut que penser au piano, lequel est un élément central du scénario puisque c’est la mélodie jouée par le protagoniste qui déclenche toute la chimère. Quand il ne joue pas, c’est la bande sonore de François-Eudes Chanfrault qui se compare aisément à celle de Bernard Hermann dans Psycho qui envahit l’espace et qui crée une tension absolument envoûtante. C’est dans cet univers qu’évoluent Philippe et Marc, mais ce dernier n’est-il pas mort il y a trente ans? Il faut bien revenir au scénario, mais comme rien n’est totalement expliqué, il nous est permis de stipuler sur ce qui s’est vraiment passé.
Marc ou Philippe?
Dans une entrevue, le réalisateur Xavier Palud a énoncé la particularité que l’on retrouve dans Intrusion :« Le spectateur n’a jamais d’avance, il est toujours dans une incertitude par rapport à ce qu’il voit. » Au troisième épisode, on apprend qu’à la naissance, il a fallu séparer Marc et Philippe puisque leur cerveau était collé. Résultat : un morceau d’os est resté pris dans la tête de Philippe et c’est durant cette opération très risquée que ce dernier a imaginé tout ce que l’on a vu au cours de la série. Au milieu de toutes ces séquences oniriques, on a droit à un seul souvenir authentique : le jour de l’accident. On y voit les jumeaux qui se chamaillaient et on comprend assez vite que le chouchou de leur mère est Philippe à qui elle offre une montre. C’est cet objet qui constitue un nouveau sujet de dispute entre les deux frères alors qu’ils sont en voiture et qui cause la mort de l’un d’eux. Justement, à ce moment, leur mère s’apitoie sur le cadavre de… Philippe. Marc, pas très loin a survécu et lorsque sa mère le voit, elle le prend pour son frère décédé. Il n’y a plus qu’à conclure que Marc a usurpé l’identité de Philippe, mais que l’âme de ce dernier vient le hanter alors qu’il subit son opération. Une fois rétabli, il rend visite à sa mère qui dit ne pas le reconnaître, ce à quoi il rétorque : « Depuis 30 ans, j’attends de reprendre ma place! » C’est en quelque sorte chose faite puisque ces mots ne pourraient sortir que de la bouche de Philippe; le vrai.
Alors qu’un nouveau chapitre de France Télévisions s’est ouvert avec la récente nomination de Delphine Ernotte en tant que PDG, la ministre de la Culture Fleur Pellerin énonçait quelques mois plus tôt son désir de voir l’audiovisuel public « plus audacieux, prendre davantage de risques, privilégier l’esthétique, des formes d’expression modernes, des sujets qui sortent un peu des sentiers battus… » Justement, Intrusion est l’exemple typique d’une fiction française capable de rivaliser avec celles de grandes chaînes comme la BBC. En espérant qu’à l’avenir, le talent d’Arte inspire France 2 et compagnie.