La commission bancaire a publié récemment un rapport sur la gestion du risque de taux tel qu’il était pratiqué actuellement dans les banques françaises, d’où il ressort quelques pistes de progrès notamment en regard des évolutions apportées par Bâle 2.
Le risque de taux dans les banques, c'est-à-dire le risque encouru du fait des variations de taux d’intérêt, résulte principalement de quatre causes :
- Un décalage de volume et d’échéance entre les emplois et les ressources taux fixe d’une banque
- Un décalage de volume entre les taux fixe et les taux variables
- Un décalage de volume entre les repricing différents de deux taux variables
- Des options cachées (remboursement anticipés, renégociations…)
La manière de gérer le risque de taux d’intérêt global (RTIG) a commencé à évoluer ces dernières années suite à l’adoption des normes comptables IAS/IFRS[1] et à la publication d’une formule claire de calcul des taux réglementés (taux du Livret A et taux du CEL indexés sur une composante taux courts et une composante inflation). Mais le vrai facteur de changement dans l’approche de la gestion de ce risque a été l’adoption des nouvelles normes Bâle II, notamment celles qui concernent le pilier 2 et 3.
I Principaux changements introduits par les piliers 2 et 3 de Bâle II
Le pilier 2 introduit une appréhension de l’ensemble des risques de l’établissement, et non plus des seuls risques de crédit, risques de marché et risques opérationnels du pilier 1. Donc le périmètre d’analyse du pilier 2 recouvre le risque de taux sur le portefeuille bancaire[2] au même titre que d’autres risques non pris en charge par le pilier 1 (risque de liquidité, risque de concentration, risque d’image, etc.). Bâle 2 précise le rôle du superviseur qui évalue le caractère adéquat et prudent du dispositif interne de couverture des risques par des fonds propres économiques. Si l’analyse du système d’évaluation des risques ne donne pas satisfaction, des mesures correctrices et/ou un complément en fonds propres peuvent être exigés au titre du RTIG. Ainsi, le pilier 2, en préconisant un renforcement du processus de surveillance prudentielle, accentue la dimension prospective du superviseur : il intervient plus en amont pour anticiper des problèmes potentiels et éviter que les fonds propres ne descendent en dessous des exigences minimales.
Le pilier 3, quant à lui, a introduit de nouvelles exigences en termes de communication financière, dans le but d’établir un référentiel commun de principes de gestion et de bonnes pratiques. Les banques procèdent ainsi à la publication auprès du superviseur de la nature du RTIG et des hypothèses sous-jacentes (y.c. modélisation des remboursements anticipés et des dépôts non échéancés). Elles doivent aussi publier la variation des résultats et de la valeur économique à un choc de taux d’intérêt.
Pour se prononcer quant à la pertinence de l’évaluation de la mesure du RTIG chez un établissement, le superviseur a édicté 15 principes majeurs[3], parmi lesquels on pourra retenir les plus novateurs :
- La publication de « best practices » méthodologiques auxquelles devraient adhérer les établissements
- L’invitation à diversifier les scénarios de simulations de crise (choc sur les hypothèses de modélisation, scénarios catastrophes…)
- La nécessité de compléter l’analyse des gaps par une mesure de l’évolution de la marge nette d’intérêt (MNI)
- La mise en place d’un suivi spécifique de toutes les positions en devises représentant au moins 5% du total bilan
- La mesure de la sensibilité de la VAN du bilan à un choc de taux d’intérêt (translation parallèle de +/-200 bp). Les superviseurs seront particulièrement attentifs à un seuil de sensibilité de la VAN fixé à 20% des fonds propres. Cela veut dire que pour les banques qui subiraient, suite au choc standard, une perte de valeur économique au moins équivalente à 20 % des fonds propres, les superviseurs seraient amenés à prendre toutes les mesures appropriés pour diminuer l’exposition (couvertures) ou augmenter les fonds propres.
Cependant, Bâle 2 n’a pas pu aller plus loin dans la fixation de limites normatives ou de ratios réglementaires pour ce qui est du RTIG, car ce risque dépend très fortement des hypothèses sous-jacentes (lois d’écoulements du non échéancés, modélisation des options cachées…)
L’harmonisation des conventions d’écoulements entre les banques pourrait être une solution, mais elle risque de se révéler trop éloignée de la réalité de certaines banques qui ont des comportements clientèles spécifiques. (Lois modélisées sur l’historique individuel du comportement clientèle pour chaque banque, qui peut être très différent d’une banque à l’autre).
Bâle 2, en incluant le suivi de ce risque sur le portefeuille bancaire dans le pilier 2, aboutit à un calcul de capital économique regroupant l’ensemble des risques (ceux harmonisés du pilier 1 et ceux plus hétérogènes du pilier 2).
II Pistes de progrès pour les banques et besoin d’évolution de leur organisation
D’après la Commission Bancaire, l’état actuel des travaux sur la place fait apparaître certaines lacunes dans la mise en place de ces exigences réglementaires.
Tout d’abord, des pistes de progrès existent pour les modélisations, notamment concernant :
- une analyse critique des imprécisions qu’elles génèrent,
- l’absence de révisions périodiques des paramètres de modélisation dans le cadre d’un contrôle permanent
- la qualité des travaux statistiques servant de base à la calibration des modèles
- des biais à un niveau consolidé dû à l’agrégation sur des positions calculées à partir de méthodologie différentes.
Certaines faiblesses dans le back-testing de ces modèles ont également été révélées.
De plus, peu d’établissements ont intégré les calculs de sensibilité de la VAN et ont adopté le seuil d’alerte des 20% bâlois. Les travaux sont en cours, mais demandent souvent d’importants chantiers sur les systèmes d’information.
Les dispositifs de contrôle interne semblent assez souvent perfectibles (formalisation des procédures opérationnelles, documentation des politiques de gestion et de l’architecture des SI, représentation de la fonction ALM dans les comités de nouveaux produits, validation indépendante des modèles de mesure de risques, efficacité des pistes d’audit et des contrôles, rapprochements avec le contrôle de gestion ou la comptabilité)
Enfin, les travaux de mise en conformité au pilier 3 ne sont pas très avancés : il reste encore des insuffisances en termes d’information interne à destination des instances décisionnelles (sur les choix de modélisation et de couverture) et de documentation des modèles utilisés.
Tous ces besoins renforcent les nécessités d’évolution des organisations des banques concernées. Le changement est en cours et les chantiers nombreux. Parmi eux, on notera essentiellement la mise en route de nouveaux SI plus intégrés afin de limiter les opérations manuelles (retraitement, consolidation, suivi des risques optionnels et des couvertures) qui génèrent des risques opérationnels non négligeables. Renforcer les systèmes d’information offrirait également l’opportunité de pallier la faiblesse des pistes d’audit et l’absence de documentation sur les modes opératoires.
Enfin, une intégration plus poussée des systèmes ALM et Bâle 2 notation interne (méthode IRB avancée) permettrait d’affiner les analyses des risques et d’en augmenter la maîtrise, en permettant une modélisation plus fine (portefeuilles, classes de risque) tenant compte des paramètres bâlois (PD, taux recouvrement).