Sans avoir, loin s’en faut, le talent de Bossuet, François Hollande est passé spécialiste de l’oraison funèbre. Depuis janvier dernier et le drame de Charlie Hebdo et de l’épicerie cachère de la porte de Vincennes, à grand renforts de formules creuses, il n’arrête plus, comme l’analysait récemment Thierry Desjardins, de s’incliner devant la mémoire des victimes de notre actualité la plus récente ou des siècles passés. Tout est bon pour lui, pour tenter de gagner quelques points dans les sondages. A son image, l’un de ses lointains prédécesseurs, sous la IIIe République, avait été ainsi surnommé « le chialant qui passant », et cela parce qu’il pleurait à l’époque, dans tous les cimetières, dans un clin d’oeil à une chanson alors à la mode « le chaland qui passe ». Dans cette lignée, l’entrée au Panthéon de quatre figures de la Résistance, mercredi dernier, vient s’inscrire dans les précédents hommages, cette fois-ci en ré-exhumant les fantômes du passé, de l’occupation et de la résistance. Seulement, n’est pas Malraux qui veut.
Le but de la panthéonade, selon le néologisme ironique de Régis Debray, est de rendre hommage à une personnalité de nationalité française dont l’oeuvre et l’existence ont marqué l’histoire de France. Cette tradition se veut aussi un moyen, pour le pouvoir en place, de placer sous les projecteurs une période de l’histoire et d’y graver son empreinte. Le journaliste torturé par la Gestapo, Pierre Brossolette ; la fondatrice d’ATD Quart-Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, et l’ethnologue Germaine Tillion, toutes deux déportées à Ravensbrück ; le ministre du Front populaire Jean Zay (à l’origine de l’ENA, dès l’entre-deux-guerres), assassiné par la Milice, à l’image de Georges Mandel. Ces deux femmes et deux hommes incarnent l’esprit de la Résistance, bien que plus méconnus que n’a pu l’être Jean Moulin, par exemple. Le Panthéon, dont le fronton proclame la devise « Aux grands Hommes, la patrie reconnaissante », n’accueillait jusqu’ici que deux femmes sur soixante-onze personnalités, la physicienne Marie Curie, et Sophie Berthelot, en sa qualité d’épouse du chimiste Marcellin Berthelot. Ces quatre figures de la Résistance sont entrés au Panthéon, ce mercredi 27 mai, suite à des cérémonies d’hommage débutées la veille. Le cortège funèbre a traversé la capitale, en empruntant le chemin de la libération de Paris. Parti de la porte d’Orléans, il a parcouru l’avenue du Général-Leclerc, l’avenue Denfert-Rochereau et le boulevard de Port-Royal. Après un hommage organisé par la Mairie de Paris place Camille-Jullian, le cortège a rallié la Sorbonne.
Portés par la Garde républicaine, les cercueils ont été déposés un à un sur le parvis, mardi 26 mai, devant la chapelle de la Sorbonne, alors qu’étaient entonnés le Chant des partisans et L’Affiche rouge par un choeur des lycées parisiens La Fontaine et Racine, suivi d’un hommage du monde scolaire, en présence de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Ils ont ensuite été transférés place du Panthéon, le lendemain, François Hollande présidant l’entrée de ces quatre personnalités, à l’occasion de la Journée nationale de la Résistance, remontant la rue Soufflot et prononçant alors un discours au pied des marches de ce temps laïc inauguré en 1791. Ce monument de style néo-classique situé dans le 5e arrondissement de Paris, au coeur du Quartier latin, sur la montagne Sainte-Geneviève, jadis église catholique et royale, est devenu ce temple laïc et républicain, au fil du temps. C’est en 1744 que Louis XV – qui n’est plus le « bien-aimé » – fait le voeu, pour guérir son corps et son âme, de regagner le titre de « roi très chrétien », en édifiant une église aux honneurs de Sainte Geneviève. En 1755, le célèbre architecte Soufflot fut chargé des travaux par… la maîtresse du roi, la Marquise de Pompadour. La construction prend du retard à cause des difficultés financières, et à la mort de Soufflot en 1780. L’édifice n’est achevé qu’en 1790. Le 4 avril 1791, la Révolution fait naître de l’Eglise Sainte Geneviève le Panthéon, « temple de la République ». Mirabeau est panthéonise le jour même, à l’image de Marat.
S’en suit une histoire complexe, le Panthéon changea d’allégeance au gré des restaurations, des coups d’Etats, des révolutions, mais aussi des changements de majorité parlementaire. La croix qui domine sa coupole fut ôtée par trois fois. La devise qui orne son fronton fut plusieurs fois modifiée, de même que ses fresques intérieures. Les hommes de lettres plaisent au Panthéon. Parmi les cérémonies plus fortes en émotion populaire, on compte celles de l’entrée au Panthéon d’Hugo, en 1885, et de Zola, en 1908. La dernière panthéonisation en date est celle du poète Aimé Césaire. Le Panthéon plaît aux hommes politiques. Les débats d’hier résonnent encore aujourd’hui. Sous la Ve République, la « compétence de panthéonisation » est transférée au Président de la République, elle s’avère une arme redoutable, forte en symbole. Une entrée au Panthéon s’accompagne toujours d’un grand discours. C’est en tout cas, ce que nous attendions de François Hollande, et évidemment lui aussi. Tout le monde y avait pensé, et l’attendait au tournant, que ce soit les journalistes, les politiques, les spectateurs. « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège… », nous entendions encore la voix chevrotante de Malraux, à la fois émouvante et certains diront ridicule. C’était le 19 décembre 1964, un autre grand résistant faisait son entrée au Panthéon, accueilli par ce fameux discours. C’est le souffle lyrique des mots, l’histoire qui vous étreint, la seconde guerre mondiale, l’occupation, la résistance, la torture, la mort. L’histoire serait son truc, nous murmure les communicants, depuis des jours. Les grands mots étaient tous de cérémonie, aussi bien alignés que les cercueils drapés de tricolores. Toutes les familles politiques étaient honorées, même les royalistes qui vomissaient la Gueuze. Il est vrai que ces réprimés furent souvent les premiers à s’engager.
Il ne manquait rien, sauf l’essentiel, dixit Eric Zemmour, à savoir le style, le talent, l’âme. Ainsi, le texte était à la fois solennel, et ennuyeux, insipide et soporifique, l’auteur butant sur les mots et les syllabes, comme absent, du moins sans lyrisme aucun, flottant dans un costume trop grand pour lui. Nous avions affaire à un petit tâcheron sans souffle, ni force, ni vigueur, lisant ses notes, à la tonalité excessivement convenue, en passant par les parallèles mal établis avec l’actualité, de l’hommage au clin d’oeil, du clin d’oeil au pastiche. Souhaitant s’inscrire dans le temps présent, elle a ainsi assuré que l’ethnologue Germaine Tillion « serait dans le camp des réfugiés qui accueillent les exilés de Syrie et d’Irak », qu’elle appellerait à la solidarité pour les chrétiens d’Orient, elle se serait mobilisée pour retrouver les filles enlevées par Boko Haram. Seulement voilà, quand Malraux évoquait Carnot et Victor Hugo, Hollande pensait à ses électeurs, « la solidarité n’est pas l’assistance » ou « quand il y a des ratés d’intégration, ce n’est pas la faute de la République, mais faute de République ». Nous passions de Victor Hugo à Séguéla, de Chateaubriand à Marc Lévy. Ainsi, Hollande ne semblait pas habiter son texte, ni vivre cette grandiose histoire. Ce n’est pas parce qu’il est incapable de nous annoncer la moindre bonne nouvelle, ni à propos de l’inversion de la courbe du chômage, ni à propos de la réduction de nos déficits publics, ni à propos d’une baisse de nos prélèvements obligatoires, qu’il doit maintenant se cantonner dans la morosité la plus morbide et les hommages à toutes les victimes de la planète, du présent et du passé.
Un chef d’Etat doit donner de l’espoir, se tourner vers l’avenir, fixer un cap, l’annoncer et faire preuve d’une certaine volonté. Or, après près de trois ans de vacuité du pouvoir, d’impuissance la plus totale émanant de la tête de l’exécutif, ce pauvre Hollande n’ose plus nous promettre quoi que ce soit, ne sait où donner la tête et se tourne vers les pages les plus noires de notre passé, ou les pires drames de notre présent, comme pour nous convaincre qu’il y aurait pire que ce que nous vivons, au quotidien. Cherchant désespérément à remonter un tant soit peu dans les sondages, avant la prochaine échéance électorale des régionales, il s’imagine bien naïvement qu’en investissant le terrain du « devoir de mémoire », il va réinvestir sa fonction, mais hélas, sans le charisme, ni le lyrisme adéquat. Tout cela sonnait absolument faux, et creux. Il avait choisi la résistance, pour se hisser à la hauteur des plus grands, pour nous refaire le coup du 11 janvier. Ces prédécesseurs avaient été plus prudents, ou plus malin. Chirac avait pris Alexandre Dumas, et Mitterrand avait choisi Jean Monnet, à savoir le métissage, si l’on veut, pour l’un (Dumas était le petit-fils d’une quarteronne antillaise), l’Europe pour l’autre. C’était politiquement correct à l’outrance, nous n’en attendions rien, et nous fûmes servis. A cette image, Hollande a voulu joueur dans la cour des grands, il n’a fait que montrer sa petitesse.
J. D.