Pour ce mois de mai 2015, mon choix se porte sur une expo à Dole, musée des Beaux Arts. Juste une remarque avant: l’entrée d’oeuvres contemporaines se fait chaque jour davantage dans ce musée. Presque chaque salle en accueille une qui vient se confronter, ou se marier, aux classiques des siècles précédents… J’aime! (comme on dit sur Face Book!)
Ce qui m’a intéressée là-bas c’est l’exposition de l’artiste contemporaine Morgan Tschiember (bretonne) intitulée « Taboo » . (Jusqu’au 30 août. Sauf dimanche matin et lundi, 10-12h et 14-18h). Elle s’est emparée littéralement du musée, modifiant l’agencement, « abimant » les sols ou les murs, utilisant les salles à sa façon etc
Certes, vous n’êtes pas encouragés quand vous arrivez au musée pour cette exposition! (Mais oui! C’est fait exprès!!). Dans le hall, face à vous, l’entrée aux salles est muré. Oké!! Vous cherchez donc par où vous allez commencer la visite. On vous indique une salle sur votre gauche. Hésitation: cette salle est visiblement en travaux, éclairée d’une sale lumière de néons rosâtres, les murs mal peints d’un rose (dé)lavé et le sol jonché d’une couche épaisse de gravats. Vous vous aventurez. Vous traversez cette « oeuvre »… Car, bien sûr, il s’agit d’une installation. Vous tapotez vos pieds, les semelles crissent encore de la poussière des débris de céramique (et autres) que vous venez de fouler!
La visite commence donc par ce chantier, et c’est très significatif.
Chantier? Oui, le travail d’un plasticien est en perpétuel chantier. Toujours en devenir, en évolution, en recherches, en enchaînements…Et, en outre, Morgan Tschiember a choisi de s’intéresser beaucoup aux matériaux de construction, béton, ciment, sable, acier etc.
Cette exposition semble suivre une idée, celle de matières contraires qui, d’une part se métamorphoseraient elles-mêmes, et d’autre part, entreraient en lutte. Le ciment qui se solidifie, le sable qui devient verre… Le mou et le dur, le solide et le fragile, le souple et le rigide qui s’opposent.
Démonstration: l’artiste a soufflé du verre (légèrement rosé) , ici et là, directement sur une structure d’acier. Les bulles genre gros chewing-gum se sont adaptées, se sont déformées, se sont mises à couler, à glisser sensuellement et, bien entendu, se sont figées en refroidissant. Superbe association de deux éléments, qu’on pourrait presque assimiler au mâle et femelle (mais alors, le féminisme en prend un coup!). L’ensemble, intitulé « bubbles », est vraiment intéressant, à plus d’un titre: d’abord d’une belle plastique, ensuite source de réflexion.
Autre moment palpitant dans cette expo: les « shibaris ». Morgan Tschiember a ligoté des pièces de terre cuite quand elles étaient encore souples (avant la cuisson). Bondages évocateurs… Elles les a suspendues par leurs cordes à des barres d’acier. L’oeuvre donne des frissons, faisant penser aux tortures érotiques, politiques, fanatiques ou tout ce qu’invente la folie humaine. Les pièces de poterie se tordent de douleur, prisonnières de leur bourreau… Alors qu’elles pourraient être de jolis vases tout bêtes et tout traditionnels. On y voit des formes organiques vivantes en pleine souffrance. Le comble, c’est que cette installation a une certaine beauté plastique, elle aussi, comme les « bubbles ». Avec ces dernières, on évoquait éventuellement des carafes, des flacons et, avec celle-ci, on imagine des pots, des pichets etc. Mais on a tout faux! L’art change la pensée, le regard, les habitudes… Tant mieux!
Les formes qu’on découvre dans les salles suivantes (et qu’on peut même surplomber en regardant du premier étage) sont dans le lignée du concept de l’artiste: elle a coulé du béton dans du carton. D’où, encore une fois, le liquide qui se pétrifie et deux matières qui s’opposent. Le carton s’humidifie et se ramollit, il supporte tant bien que mal la chose costaude qui l’envahit! Cela aboutit à d’étranges corps tordus, couchés comme des gisants (c’était la vision de ma complice d’expo). Des lambeaux de carton apparaissent là où il n’a pas résisté. Lambeaux de peau. Par endroits, le carton a disparu mais a laissé sa trace, son empreinte, dans le béton quand il était encore malléable… Morgan Tschiember a posé certains de ces « rash » sur des blocs de mousse (sans doute matériaux du bâtiment également), prolongeant son idée de contraires dans les sensations et les états.
Dans la cour du musée, si vous croyez, en arrivant, qu’il s’agit de travaux en cours… vous allez changer d’avis en ressortant, après tout ce que vous avez vu et compris lors de votre visite (enfin, j’espère!) C’est bien sûr une installation de Morgan Tschiember. Du sable semble avoir été jeté sur des grilles d’acier posées au sol, sur une sorte de scène en bois brut. Voilà! Vous retrouvez l’architecture métallique des bubbles, non plus dressée mais couchée, et le verre … est redevenu sable! La boucle est bouclée!!
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